Rien de tel que des critiques adressées par des puissances étrangères influentes à la Suisse pour faire démarrer l'UDC au quart de tour. C'est notamment ce qui s'est produit lorsque Scott Miller, ambassadeur des Etats-Unis à Berne, a lancé une pique à notre pays, il y a un an et demi de cela, dans une interview de la «NZZ»: «L'OTAN est en quelque sorte un donut – et la Suisse en est le trou au milieu.»
Scott Miller avait alors conseillé à la Suisse de coopérer plus étroitement avec ses alliés européens, et avait critiqué l'attitude hésitante de Berne en matière de sanctions contre Moscou, ainsi que l'interdiction de réexporter des armes qui manquaient à l'Ukraine dans sa lutte contre la Russie.
La neutralité, avait déclaré l'ambassadeur, n'est pas une construction statique. «La Suisse traverse sa crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale», avait-il martelé.
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Indignation de la droite
L'interview avait fait l'effet d'une bombe. «Monstrueux!», s'était indigné le conseiller national UDC Franz Grüter, alors président de la Commission de politique extérieure. Son collègue de parti Thomas Aeschi avait ironisé sur le fait que le conseiller fédéral devait envisager de céder sa place de ministre des Affaires étrangères à l'ambassadeur à Scott Miller.
Lors de l'assemblée générale de Pro Suisse, l'organisation de droite conservatrice qui a succédé à l'Action pour une Suisse indépendante et neutre, son président Stephan Rietiker (UDC) avait lancé en anglais à l'ambassadeur américain Scott Miller: «Puisse le donut vous rester en travers de la gorge!»
La figure de droite avait alors dénoncé une ingérence scandaleuse, les diplomates devant selon lui s'en tenir aux us et coutumes du pays d'accueil. Le ton était ainsi donné pour ce qui allait suivre.
«Biden détruit notre souveraineté et bafoue notre Constitution»
Lorsque trois mois plus tard, il a été dit que les Etats-Unis prévoyaient d'envoyer des fonctionnaires pour examiner de près les entreprises locales, Stephan Rietiker a souhaité dire ses quatre vérités à l'ambassadeur.
Dans un mail adressé à Scott Miller, que Blick a pu consulter, le médecin et entrepreneur écrivait le 23 juillet 2023: «Pro Suisse ne restera pas les bras croisés pendant que l'administration Biden détruit notre souveraineté et bafoue notre Constitution.» La majorité du peuple suisse ne tolérera jamais une telle ingérence, a-t-il ajouté. Elle «considère une telle démarche comme un acte hostile»
La réponse de Scott Miller ne s'est pas fait attendre. Elle ne comportait que deux phrases et consistait en une définition du rôle de la Commission américaine pour la sécurité et la coopération en Europe, dite Commission d'Helsinki. Celle-ci a adressé des reproches de corruption à la Suisse, ce qui a eu le don d'énerver Stephan Rietiker. La Commission Helsinki, a expliqué Scott Miller, est un organe indépendant du Congrès américain. «Le gouvernement Biden n'a aucune influence directe sur ses activités.»
Mais Stephan Rietiker, l'une des têtes pensantes derrière l'initiative pour la neutralité, ne s'est pas contenté de ces quelques lignes. Ce mail a donné lieu à un échange de courriels au cours duquel le président de Pro Suisse a visiblement renoncé aux formules diplomatiques.
Que le gouvernement Biden accepte que des parlementaires américains fassent des choses qui ne les regardent pas semble étrange, écrit Stephan Rietiker. Il poursuit: «J'espère que vous ferez tout pour éviter une confrontation sérieuse. Il va sans dire que nous examinons actuellement nos options, mais nous sommes toujours ouverts à un dialogue constructif.»
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Une menace implicite
Treize minutes plus tard, l'ambassadeur a envoyé une réponse où le principe de la séparation des pouvoirs aux États-Unis était expliquée. Ce qui a poussé Stephan Rietiker – 18 minutes plus tard – à passer à l'attaque: «Avec tout le respect que je vous dois, votre vision est trop simpliste.»
Que se passerait-il si des parlementaires suisses se rendaient aux Etats-Unis pour inspecter des entreprises américaines, a demandé rhétoriquement le président de Pro Suisse: «Ils seraient probablement arrêtés et interrogés.» Il a conclu son mail hostile par une autre question rhétorique: «Perhaps we should consider doing the same????» – Peut-être devrions-nous faire de même?
Lorsque Scott Miller a demandé en retour de quelles inspections il parlait, Stephan Rietiker a répondu: «C'est partout dans les journaux.» Un groupe de politiciens américains veut contrôler les entreprises suisses pour voir si elles respectent les sanctions contre la Russie, a-t-il poursuivi. Et d'ajouter sur le même ton: «L'époque où les huissiers de justice contrôlaient la population suisse est révolue depuis longtemps.»
L'ambassadeur a insisté comme quoi il n'avait pas connaissance de tels contrôles, en mettant fin à cet échange inhabituel. Il y a certes habituellement des réunions à Genève, mais elles ont lieu depuis plus d'une décennie, car l'industrie des matières premières est très réglementée, tant aux Etats-Unis qu'en Suisse. «Les journaux ont été très imprécis sur ce sujet», conclut-il.
Une étiquette diplomatique non respectée?
Franz Grüter, membre du parti de Stephan Rietiker, a lu à l'époque tous les mails puisqu'il était en copie. Aujourd'hui, le conseiller national déclare à Blick: «Stephan Rietiker a souligné à juste titre une situation intolérable: les Etats-Unis envoient directement des fonctionnaires en Suisse pour contrôler les entreprises suisses.»
Selon lui, Pro Suisse est une association privée et Stephan Rietiker une personne privée. En tant que tel, il n'a pas à se conformer aux usages diplomatiques.
Le Département fédéral des affaires étrangères confirme ce point de vue. Les règlements protocolaires, explique un porte-parole du DFAE, ne s'appliquent qu'aux représentants officiels de la Confédération. «Il n'existe pas de directives écrites pour les contacts entre les citoyens et les représentants diplomatiques.»
Néanmoins, il est conseillé aux personnes privées de respecter l'étiquette, dit-on dans les milieux diplomatiques. Et on ne peut pas attendre d'un ambassadeur qu'il discute ouvertement de sujets politiquement controversés avec n'importe qui.
Exprimer son opinion de citoyen
Stephan Rietiker nie avoir proféré des menaces à l'encontre de l'ambassadeur américain: «Je n'ai pas proféré de menaces et je n'aurais jamais la prétention de menacer l'ambassadeur d'un pays étranger.»
En tant que citoyen suisse, il devrait avoir le droit d'exprimer librement son opinion, affirme-t-il. Avant l'échange de courriels, Scott Miller s'est exprimé à plusieurs reprises de manière très peu diplomatique sur la neutralité suisse – «pour ne pas dire présomptueuse», poursuit-il. Le politicien de l'UDC conclut: «Des déclarations claires s'imposaient donc.»
La position de l'ambassade des Etats-Unis sur ce va-et-vient tient en moins de lettres que tous les mails précédents: par l'intermédiaire d'une porte-parole, la représentation à Berne fait savoir – assez sèchement – que «l'ambassade des Etats-Unis ne s'exprimera pas sur les conversations de l'ambassadeur».