L'affaire des fuites du Département de la santé fait de nombreux perdants. La corporation des communicateurs de l'administration publique est également touchée. Depuis la publication des e-mails de l'ancien porte-parole d'Alain Berset, Peter Lauener, ils font l'objet d'une suspicion générale et la confiance semble avoir disparu.
Et depuis que le président de la Confédération a fait savoir mercredi qu'il n'avait pas connaissance des activités de son ancien collaborateur, les observateurs n'en croient pas leurs oreilles - les fuites évidentes au sein du département de la santé n'ont-elles jamais entrainé une discussion?
Il s'avère aujourd'hui que les informations internes qui ont atterri dans les médias étaient bien un sujet de discussion au sein de l'administration fédérale. Plus encore: les nerfs de certains porte-parole du département ont été rudement mis à l'épreuve.
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Des extraits de procès-verbaux comme preuves
C'est ce que montrent des extraits de procès-verbaux de la Conférence des services d'information (CSI) des années 2019 à 2022, dont le Blick a eu connaissance. La CSI est une réunion mensuelle de tous les responsables de l'information des départements, de la Chancellerie fédérale (ChF) et des Services du Parlement. Cet organe est dirigé par le vice-chancelier et porte-parole du Conseil fédéral André Simonazzi.
Le thème des fuites a été mis à l'ordre du jour au moins six fois entre 2019 et 2022. Le Département de la santé et Peter Lauener n'étaient pourtant de loin pas les seuls à être au centre de l'attention.
Lors de la séance de la CSI du 18 avril 2019, donc avant même le début de la pandémie de Covid-19, on peut lire: «Le thème des indiscrétions sera à nouveau abordé.» A l'époque, André Simonazzi s'était contenté d'un rappel. Chacun devait lui-même veiller en interne au respect des «règles du jeu», à savoir: «les fuites d'informations ne sont pas acceptables et ne contribuent pas à la crédibilité du gouvernement.»
La veille, la «NZZ» avait rapporté, dans le cadre du débat sur les observations secrètes par les assurances sociales, que le Conseil fédéral «prévoyait de modifier l'ordonnance correspondante».
Mise en garde contre une perte de confiance dans le gouvernement
Le 29 août 2019, André Simonazzi se sentait à nouveau obligé de faire une mise en garde: «Les départements sont rendus attentifs au fait que le Conseil fédéral ne tolère pas les indiscrétions.»
L'appel n'avait eu aucun effet. Le 1er décembre 2020, les journaux Tamedia ont annoncé que le service de renseignement de la Confédération surveillait depuis peu «également les défenseurs des animaux». Le même jour, les journaux CH-Media savaient que le WEF avait «informé deux conseillers fédéraux d'un possible départ pour Singapour», ce qui «fait également parler au sein du gouvernement».
Deux semaines plus tard, la CSI se réunissait. «Il y a toujours beaucoup d'indiscrétions dans les médias concernant les séances du Conseil fédéral», peut-on lire dans le procès-verbal. «On essaie souvent de présenter son propre chef sous un jour favorable et de dénigrer les autres membres du Conseil fédéral.»
Cela rendrait le travail de l'exécutif plus difficile, a déploré André Simonazzi. Il a mis en garde contre une perte de confiance dans le gouvernement «si l'image d'un ou de plusieurs membres du Conseil fédéral était dénigrée ou si le public avait l'impression que le Conseil fédéral était divisé.»
Pas de changements malgré les nombreux avertissements
Le porte-parole du Conseil fédéral a donc lancé un nouvel appel à éviter les indiscrétions et s'est vu contraint de confier une mission à ses collègues: les porte-parole devaient diffuser son exhortation dans les secrétariats généraux et les offices.
Comme le montrent les procès-verbaux, André Simonazzi est également intervenu auprès du chancelier fédéral Walter Thurnherr. En décembre 2020 - la pandémie avait entre-temps duré un peu plus d'un an - ce dernier s'est adressé personnellement aux secrétaires généraux des départements pour leur adresser un avertissement.
Malgré cela, des informations confidentielles ont continué à filtrer dans les médias au cours des semaines et des mois suivants. Le 27 février 2021, la «Schweiz am Wochenende» rapportait par exemple que la «querelle sur l'ouverture des terrasses qui oppose la Confédération et les cantons» était terminée - «mais la dispute sur les compétences se poursuit, comme le montrent les recherches».
Les fuites ne semblaient pas favorables à une bonne ambiance interne. Le 3 mars 2021, le procès-verbal indique que les indiscrétions «ne servent en aucun cas une politique de communication transparente» et qu'il s'agit «d'une pure manipulation accompagnée d'une instrumentalisation des médias». Les membres de la CSI ont été invités à «réfléchir à ce qui pourrait être fait» pour mettre un terme au ruissellement.
Peter Marti en tête de l'enquête
Parallèlement, l'enquêteur spécial Peter Marti a commencé son travail. Des collaborateurs du Département fédéral des affaires étrangères ainsi que Peter Lauener, qui a même passé quatre jours en détention à cause de l'enquêteur, ont notamment été pris pour cible.
Le 6 juin 2022, Peter Lauener a quitté le Département de l'intérieur. L'enquête de Peter Marti a également occupé les porte-parole: le 14 septembre 2022, on pouvait lire que le thème des fuites avait été rediscuté «en raison des récents événements de cet été concernant deux services d'information.» «Il est très fortement souligné que les indiscrétions nuisent profondément à l'activité du Conseil fédéral, sont particulièrement préjudiciables et peuvent être sévèrement sanctionnées.»
En réaction, la Chancellerie fédérale de Thurnherr a envoyé «immédiatement» la brochure contenant les lignes directrices internes en deux langues à tous les services d'information des départements. La ChF a donné le mandat de «mener une discussion interne sur ce sujet» et de faire rapport au vice-chancelier.
Lors de la réunion suivante de la CSI, le 13 octobre 2022, un bilan a été dressé: «Les départements ont tous discuté de ce sujet en interne afin de rappeler clairement à tous qu'un tel comportement n'est pas acceptable.»
Mercredi dernier, André Simonazzi a dû blanchir Alain Berset devant les médias et expliquer que le président de la Confédération n'avait «pas connaissance» d'indiscrétions.
(Adaptation par Lliana Doudot)