La politique de sécurité de la Suisse sera bientôt au centre de débats houleux. Le 29 août, le Département de la défense (DDPS), dirigé par la présidente de la Confédération Viola Amherd, présentera le rapport d’une commission d’étude chargée de donner des «impulsions pour la politique de sécurité des années à venir».
Allant du chef du Parti libéral-radical (PLR) Thierry Burkart à l’ancien chef de l’armée Philippe Rebord, en passant par l’ex-directeur de la Conférence de Munich sur la sécurité Wolfgang Ischinger, cette commission esquisse une stratégie qui ne devrait plaire ni à la gauche ni à l’Union démocratique du centre (UDC). Et pour cause: il y est question d’une collaboration plus étroite avec l’Union européenne (UE), d’une adaptation de la politique de neutralité… et d’accords secrets avec l’OTAN!
L’invasion russe en Ukraine a dramatiquement modifié la situation sécuritaire sur le continent. Alors que la plupart des pays européens font partie d’une alliance de défense, soit par le biais de l’OTAN, soit par celui de l’UE, la Suisse est la seule nation à avoir renoncé à tout accord militaire. Comme l’a appris Blick, l’OTAN a passé un message clair à la commission d’étude lors d’une visite à Bruxelles: la Suisse ne doit pas constituer une faille de sécurité, en particulier en ce qui concerne les infrastructures critiques dans le domaine de l’énergie et du trafic des paiements. De quels sujets brûlants la commission d’étude a-t-elle discuté?
Pas de traité d’interdiction des armes nucléaires
L’OTAN tient beaucoup à ce que la Suisse ne signe pas le traité d’interdiction des armes nucléaires et fait valoir la stratégie de dissuasion. Ce point est justement considéré comme délicat, car la tradition humanitaire de la Suisse exigerait de ratifier ce traité. En même de temps, la Confédération profite du parapluie nucléaire de l’OTAN.
Il serait «difficilement compréhensible pour les membres de l’OTAN, qui financent cette protection contrairement à la Suisse, que ce soit précisément la Suisse qui s’oppose à ce parapluie, conclut la commission d’étude. Au vu des récentes menaces nucléaires de la Russie, la dissuasion nucléaire est plus importante que jamais. Une signature à l’heure actuelle reviendrait à nier la réalité et abandonner la communauté de sécurité occidentale.»
Rapprochement avec l’OTAN
«L’OTAN reste, dans un avenir prévisible, le garant de la politique de sécurité de l’Europe. Il est la référence pour les armées occidentales modernes et définit les standards pour la technologie d’armement, constate la commission d’étude. Une coopération avec l’OTAN peut renforcer la capacité de défense de la Suisse.»
Une coopération renforcée serait particulièrement importante dans les domaines du numérique, de la guerre hybride, de l’innovation et de la résilience, ainsi que sur le thème du changement climatique et de la sécurité. La commission d’étude ne recommande pas d’adhérer à l’OTAN, même si elle laisse transparaître de la sympathie à son égard. Après tout, la Russie n’a jusqu’à présent attaqué que des pays non-membres de l’OTAN.
Accords secrets avec l’OTAN
Comment la Suisse réagirait-elle en cas d’attaque contre un membre de l’OTAN? Elle pourrait soit invoquer sa neutralité, soit participer à la défense de l’Europe. Plutôt que prendre position de manière officielle, la Confédération pourrait conclure des accords secrets pour clarifier le comportement de chaque partie dans tel ou tel scénario. De tels pactes ont déjà existé par le passé. Le général Guisan avait par exemple conclu des accords secrets avec la direction de l’armée française en 1939/40, sans consulter le Conseil fédéral.
L’histoire suisse est faite d'«avant-contrats secrets, non contraignants, qui règle ce que chaque partie contractante doit fournir dans chacun des cas supposés». La commission d’étude souligne: «Aujourd’hui, de tels accords pourraient par exemple porter sur la menace d’armes guidées à longue portée, une cyberguerre à grande échelle contre des États européens ou des violations de l’espace aérien.» À noter toutefois qu’aucune discussion dont on ait connaissance n’a encore eu lieu à ce sujet avec l’OTAN. Il est donc impossible de savoir si l’organisation nord-atlantique serait prête à conclure de tels accords.
Davantage d’exercices avec l’OTAN
Au vu des différentes menaces, il est important pour la commission d’étude que la Suisse ne se contente pas de renforcer la défense commune, «mais qu’elle la prépare aussi sérieusement». Cela implique de s’exercer. Il revient au Conseil fédéral d’autoriser ou non la participation à de tels exercices. Une compétence contestée par le Conseil national: celui-ci a récemment averti que la participation à des exercices qui permettraient de s’entraîner à une situation d’alliance avec l’OTAN était en contradiction avec la neutralité suisse.
Rapprochement avec l’UE et cours de répétition à l’étranger
La Suisse a déposé une demande d’adhésion auprès de l’Agence européenne de défense (AED) pour participer à son initiative internationale dans le domaine de l’innovation HEDI. De son côté, l’UE souhaite un «Framework Participation Agreement» (accord-cadre de participation) qui règlerait les détachements dans les missions de l’UE. Pour une coopération renforcée, les bases juridiques doivent toutefois être adaptées, surtout dans le domaine de la formation militaire.
«Les membres de l’armée de milice ne peuvent pas être obligés à suivre des cours de répétition à l’étranger. Or, cela serait nécessaire pour pouvoir participer régulièrement à des exercices bilatéraux et multilatéraux communs avec des formations de milice», écrit la commission d’étude. Un tel changement ne remettrait pas en question le principe de base de l’armée de milice. Les exercices communs sont présentés comme décisifs «pour se préparer à un cas d’urgence et pour vérifier et améliorer effectivement l’interopérabilité».
Loi sur le matériel de guerre
La loi en vigueur sur le matériel de guerre interdit de livrer des chars helvétiques directement à l’Ukraine. Même les chars vendus par la Suisse à des pays de l’OTAN il y a des décennies ne peuvent pas être transmis à l’Ukraine. Cette pratique suscite l’incompréhension de l’UE comme de l’OTAN: «L’interdiction de réexportation n’est pas comprise et n’est en fait plus acceptée. En principe, toute coopération est un échange de bons procédés. Sans coopération, pas de capacité de défense, et sans capacité de défense, pas de coopération», relève la commission d’étude.
Ailleurs dans le rapport, elle indique: «Du point de vue de la politique de sécurité, la Suisse est actuellement une profiteuse.» Le Conseil fédéral devrait disposer d’une plus grande marge de manœuvre lors de la révision de la loi sur le matériel de guerre. La commission d’étude en est convaincue: l’industrie suisse de l’armement ne peut guère survivre sans l’exportation et l’importation.
Adaptation de la politique de neutralité
Les experts mandatés par Viola Amherd recommandent de réviser la politique de neutralité suisse: «La politique de neutralité doit avoir un poids plus important par rapport au droit de la neutralité.» Une telle adaptation permettrait de formuler à temps la position de la Suisse «face à d’éventuels conflits (Chine-Taïwan, Russie-OTAN) et d’anticiper d’éventuelles exigences à leur égard». La discussion sur la révision de la neutralité, interrompue en septembre 2022, devrait être rapidement relancée, selon la commission.
C’est une bonne nouvelle pour le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis. Le conseiller fédéral PLR voulait réinterpréter la neutralité suisse, mais s’est cassé les dents face au reste du gouvernement.
Une zone d’ombre persiste sur ce qu’il adviendra concrètement de ces recommandations. Le Département de la défense les recevra et les examinera. Et la gauche et l’UDC feront tout pour empêcher plus d’OTAN, plus d’UE et moins de neutralité.