Crise à la prison de Palézieux
Deux feux de cellules et un maton viré!

Deux incendies se sont déclarés le 20 mars dernier dans deux cellules de la prison pour mineurs de Palézieux (VD), a appris Blick. Pour tenter d'apaiser une situation explosive, un maton est intervenu... puis a été viré. La grogne monte au sein du personnel. Enquête.
Publié: 09.04.2022 à 07:13 heures
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Dernière mise à jour: 10.04.2022 à 16:30 heures
L'établissement pénitentaire Aux Léchaires a frôlé «l'émeute» le 20 mars dernier, affirment plusieurs membres du personnel.
Photo: Darrin Vanselow/Blick
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Une épaisse fumée noire envahit rapidement toute une cellule de la prison pour mineurs et jeunes adultes des Léchaires, à Palézieux (VD). Une jeune fille mineure y est enfermée. Selon toute vraisemblance, elle vient de bouter le feu à son propre matelas. Nous sommes le 20 mars, il est environ 17h.

Deux agents de détention se précipitent. Après avoir entrouvert la porte, ils appellent l’adolescente. Pas de réponse. Impossible de voir à travers la chambre sécurisée, où les condamnés sont autorisés à tirer sur des cigarettes. L’angoisse monte, la peur aussi. Pendant un court instant, le pire est envisagé.

Soudain, l’ombre d’une silhouette. Dans un réflexe, un des deux matons la saisit. Il extirpe la détenue in extremis, l’autre agent lutte avec les flammes et finit par les éteindre. Une première victoire. Mais cette journée traumatique pour l'établissement pénitentiaire, racontée à Blick par plusieurs sources qui souhaitent rester anonymes de peur de perdre leur travail, est loin d'être terminée.

Tous les détenus évacués

Pompiers, ambulanciers et policiers sont sur la route. L’incendiaire présumée est isolée, quand les autres mineurs détenus tambourinent sur leur porte. La fumée monte, il faut agir vite. Le personnel présent, éducateurs et agents de détention, se mobilise dans l’urgence et organise une évacuation dans la salle de sport située dans un bâtiment annexe.

L’air y est plus respirable. Mais l’atmosphère est suffocante. Les prisonniers sont stressés, angoissés, en colère. Le ton monte. Le maton qui a éteint l’incendie est présent. À ses côtés, un collègue. La situation s’envenime: l’agent dont la réaction a été «héroïque» face au feu, selon des pairs, plaque un détenu contre le mur. Pourquoi? Les témoignages recueillis par Blick sont unanimes. Le gardien aurait été menacé par le jeune homme. Les mots sont crus, violents: «À 15 contre deux, on te nique ta race.»

Cette intervention physique, suivie d’une discussion, aurait immédiatement apaisé les tensions. Tensions qui seraient toutefois remontées en flèche à l’arrivée des forces de l’ordre. «Les policiers ont été insultés et menacés par des détenus», murmure-t-on à travers les épais murs de la prison pour mineurs et jeunes adultes.

«C’était une poudrière»

«Au moment de ramener les détenus dans leur cellule, plusieurs ont dû être maîtrisés, plaqués au sol et menottés par les forces de l’ordre, après s’être montrés agressifs ou après avoir tenté de partir en courant», assure une source. Elle soupire: «C’était une poudrière.»

Tout le monde finit par retrouver sa place. Le chaos laisse place au bilan: l’incendiaire présumée et une membre du personnel sont emmenées au CHUV pour passer des contrôles, après avoir été incommodées par la fumée. Les agents de détention et éducateurs qui sont intervenus durant la crise sont tout de suite entendus par leur hiérarchie. Certains se retrouvent ensuite autour d’une pizza, pour souffler un peu. Un répit de très courte durée.

La situation a failli dégénérer au sein de la prison de Palézieux, le 20 mars dernier.
Photo: Keystone

Il est maintenant environ 20h30. Un nouvel incendie se déclare dans une autre cellule, occupée par un détenu qui aurait mis le feu à sa poubelle. Rebelote. Les secours sont rappelés. Tous les embastillés sont à nouveau emmenés dans la salle de sport.

Deux coups de poing au visage

L’agitation est cette fois trop forte, beaucoup craignent une émeute. Un détenu refuse de s’asseoir. Le maton qui a précédemment éteint les premières flammes avant de montrer les muscles intervient à nouveau. Il pousse contre un banc la forte tête, pour la faire asseoir. L’adolescent riposte en lui envoyant son poing au visage. L’agent de détention le pousse à nouveau et s’avance pour le maîtriser. Un second coup lui atteint l’œil.

Le gardien s’écroule sur celui qui l’a frappé. Des collègues affluent et immobilisent le détenu. Groggy, l’homme se relève et fait quelques pas en direction de la sortie de la salle de sport. Il s’arrête et envoie trois coups de poing dans un mur. «Pour décharger émotionnellement», justifie un informateur.

Droit derrière, la police aurait dû, une fois encore, maîtriser plusieurs détenus pour réussir à les ramener dans leur cellule. «On pense que ces incendies servaient à créer du stress et de la panique pour permettre à des détenus de s’évader, appuient des membres du personnel. Nous n’avions jamais vécu une situation aussi intense, aussi éruptive. Mais le pire a été évité, c’est une fierté. Et l’incendiaire, après contrôles au CHUV, va bien. Il y a eu plus de peur que de mal.»

L’agent de détention, quant à lui, a souffert d’un hématome à un œil et d’une fracture à une épaule. Il est placé en arrêt de travail par son médecin dès le lendemain des faits. Nous sommes maintenant le lundi 21 mars.

Félicité puis licencié

Ce père de famille est d’abord appelé par un supérieur qui l’aurait «félicité pour son professionnalisme». Puis le directeur de la prison aurait lui aussi décroché son téléphone pour remercier son maton, qui a une solide expérience et un parcours «sérieux et engagé», assure un de ses collègues.

Mais la discussion aurait pris une tournure désagréable lorsque l’agent aurait signifié à son patron son intention de déposer une plainte contre le détenu bagarreur. «La hiérarchie nous décourage lorsque nous voulons faire valoir nos droits après avoir été agressés ou menacés par des prisonniers, affirme un collaborateur. Il faut faire le moins de bruit possible, que rien ne se sache. Sinon, on vous met sur le côté…»

Certains membres du personnel jugent leurs conditions de travail «dangereuses».
Photo: Keystone

Toujours en arrêt de travail, le gardien serait subitement passé «de héros à paria». Il reçoit sa lettre de licenciement pour justes motifs le vendredi 25 mars. Ses interventions auraient été jugées disproportionnées par son autorité et ses coups de poing dans le mur auraient été interprétés comme une perte de sang-froid.

Une source s’emporte: «C’est un scandale! Il a risqué deux fois sa vie dans des incendies intentionnels, a réussi à éviter que les événements dégénèrent en émeute ou en rixe, et c’est ainsi qu’il est remercié? La hiérarchie en a fait un exemple, parce qu’il voulait se faire entendre.»

Elle enchaîne: «En se basant uniquement sur les images de vidéosurveillance, les interventions de cet agent pourraient paraître disproportionnées. Mais en étudiant le contexte et les témoignages des personnes présentes au moment des faits, les gestes se révèlent appropriés.» L’homme incriminé en serait aussi convaincu et s’apprêterait à entamer une procédure pour licenciement abusif.

Des critiques à la pelle

Depuis que le couperet est tombé, la grogne monte au sein des membres du personnel. Quatre employés nous ont dressé leur liste de doléances. «Nous manquons d’effectifs pour encadrer les détenus, ce qui fait que nos conditions de travail sont très difficiles psychologiquement, voire dangereuses, lancent-ils. Notre semaine de travail s’étale sur sept jours, avec des horaires conséquents. C’est légal puisque nous avons des récupérations derrière, mais c’est une organisation inadaptée à nos professions. Nous devons toujours être en forme et en pleine possession de nos moyens pour agir correctement, ce qui est compliqué avec la fatigue qui ne fait que s’accumuler.»

Plusieurs membres du personnel de la prison dressent la liste de leurs doléances (image d'illustration).
Photo: Keystone

Le management de la hiérarchie est jugé «beaucoup trop autoritaire» et la direction serait «trop éloignée» du personnel de terrain. «Nous ne sommes pas entendus, nos dirigeants penchent du côté des détenus et pas du nôtre, déplorent les quatre employés. Si ceux-ci s’en prennent à nous, les sanctions qui leur sont infligées sont ridicules. Il y a beaucoup de problèmes et de mal-être ici, il faut qu’un audit externe soit ordonné au plus vite!»

Le Service pénitentiaire se défend

Contactée, la police cantonale livre quelques informations. «Deux interventions de police ont effectivement eu lieu dimanche 20 mars Aux Léchaires à la suite de départs d’incendies, atteste Alexandre Bisenz, porte-parole. Au vu de la situation et du contexte, ces deux interventions se sont déroulées dans un climat tendu et des détenus ont effectivement dû être maîtrisés. Toutefois, les policiers engagés n’ont pas été menacés ou agressés au point de devoir déposer une plainte.»

Interrogées sur les gestes de l’agent de détention déboulonné, les forces de l’ordre renvoient vers le Service pénitentiaire (SPEN), que nous avons confronté à tous les éléments recueillis lors de notre enquête. Son appréciation des faits tranche radicalement, même s’il refuse de répondre à toutes les allégations. «Nous confirmons qu’il y a bien eu deux départs d’incendies à l’Établissement de détention pour mineurs et jeunes adultes (EDM) Aux Léchaires», écrit dans un courriel Marc Bertolazzi, responsable de la communication.

Il juge important de relever «qu’une alarme feu a bien été déclenchée à chaque fois par un dispositif sécuritaire pleinement opérationnel. Ces alarmes ont d’ailleurs permis une intervention rapide du personnel de l’établissement et ainsi évité une issue dramatique à ces feux. Une enquête a été ouverte sur leur origine.»

Concernant les interventions reprochées au maton licencié, «il est clairement apparu qu’il n’a pas agi de façon proportionnelle envers des personnes détenues mineures, notamment après le visionnage et l’analyse des images de vidéosurveillance».

Dénonciation au Ministère public

Le responsable de la com insiste: «Au vu de la gravité des faits reprochés et après avoir entendu l’agent de détention en question, il a été décidé de mettre un terme immédiat à son contrat de travail. De plus, au vu des éléments en sa possession, le Service pénitentiaire a également décidé de dénoncer les faits au Ministère public.»

Marc Bertolazzi rappelle le cadre général. «Il convient en tout temps de garder son sang-froid, de maintenir une action proportionnée visant à désescalader les tensions et de savoir gérer ses émotions. La contrainte doit être utilisée en dernier recours et toujours de façon proportionnée.»

Palézieux, une première en Suisse romande

Ouverte en mai 2014, la prison de Palézieux, dévolue initialement à la prise en charge des délinquants mineurs en provenance des cantons romands et du Tessin, était une première du genre en Suisse romande. Elle avait été confiée au canton de Vaud par la Conférence latine des chefs de départements de justice et police, à la suite de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal des mineurs en 2007.

Sa mission, outre de protéger la société, est d’assurer à chaque jeune une prise en charge éducative adaptée à sa personnalité, écrivait la RTS, à la fin 2014. L’objectif est de faire un bilan, de former le mineur et de l’aider à se resocialiser, afin qu’il en sorte avec un projet de vie.

L’établissement pénitentiaire, qui n’a jamais fait le plein, accueille aussi depuis l’été 2016 des jeunes adultes âgés de 18 à 22 ans révolus sous le coup d’une décision relative au Code pénal. L’intérêt? «Prendre en charge spécifiquement la population des jeunes adultes, particulièrement marquée par son taux de récidive, en ciblant une action socio-éducative et socioprofessionnelle tout en exécutant la sanction», expliquait Sylvie Bula, cheffe du Service pénitentiaire, dans un entretien paru dans la Feuille des avis officiels début 2016.

Ouverte en mai 2014, la prison de Palézieux, dévolue initialement à la prise en charge des délinquants mineurs en provenance des cantons romands et du Tessin, était une première du genre en Suisse romande. Elle avait été confiée au canton de Vaud par la Conférence latine des chefs de départements de justice et police, à la suite de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal des mineurs en 2007.

Sa mission, outre de protéger la société, est d’assurer à chaque jeune une prise en charge éducative adaptée à sa personnalité, écrivait la RTS, à la fin 2014. L’objectif est de faire un bilan, de former le mineur et de l’aider à se resocialiser, afin qu’il en sorte avec un projet de vie.

L’établissement pénitentiaire, qui n’a jamais fait le plein, accueille aussi depuis l’été 2016 des jeunes adultes âgés de 18 à 22 ans révolus sous le coup d’une décision relative au Code pénal. L’intérêt? «Prendre en charge spécifiquement la population des jeunes adultes, particulièrement marquée par son taux de récidive, en ciblant une action socio-éducative et socioprofessionnelle tout en exécutant la sanction», expliquait Sylvie Bula, cheffe du Service pénitentiaire, dans un entretien paru dans la Feuille des avis officiels début 2016.

Alors pourquoi avoir appelé le gardien le lendemain des faits pour le congratuler? «Comme le veut la pratique, l’ensemble du personnel a reçu les remerciements d’usage dans la foulée des événements, concède-t-il. Toutefois, dans de telles circonstances, une enquête interne est systématiquement ouverte.»

L'objectif? «Évaluer les éventuelles suites disciplinaires ou pénales à l’encontre des personnes détenues et de tirer les éventuels enseignements aux plans organisationnels, pratiques, formation, etc. Dans ce cas de figure, ce n’est donc qu’à l’issue de l’enquête interne qu’il a été signifié à l’agent les griefs qui lui étaient reprochés.»

Quid des conditions de travail?

Le communicant balaie d’un revers de main les critiques des membres du personnel, qui assurent notamment être parfois en infériorité numérique face aux détenus. «Les effectifs en personnel de l’EDM sont conformes au taux d’encadrement défini dans les exigences de l’Office fédéral de la Justice. La prise en charge de mineurs et de jeunes adultes aux profils par définition compliqués, avec des parcours de vie accidentés et souvent en rupture avec l’autorité, implique un engagement sans faille de nos collaborateurs, ce qui est le cas au quotidien et nous les remercions pour cela.»

Concernant les horaires irréguliers, notre interlocuteur affirme «qu’ils font l’objet de directives strictes, respectueuses du temps de repos nécessaire entre deux prises de fonction». Il rebondit: «L’établissement a récemment revu les horaires de ses collaborateurs dans le cadre d’un processus participatif avec ces derniers. Les horaires actuels ont été soutenus par une très grande majorité des collaborateurs. Enfin, si l’un de nos collaborateurs subit une agression dans le cadre de son activité professionnelle, le Service a la possibilité d’accompagner le collaborateur dans un processus de dépôt de plainte.»

Pas d’audit envisagé

Le SPEN répond encore à une dernière critique de taille. «L’établissement, après avoir entendu la personne détenue impliquée, peut prononcer une sanction disciplinaire au sens du Règlement disciplinaire pour détenus mineurs. Il convient de préciser que l’utilisation des arrêts disciplinaires — sanction la plus sévère — est régie par des normes très strictes, notamment sur le plan des normes internationales. Il va de soi que nous faisons preuve de toute la vigilance requise dans ce contexte.»

Sans réelle surprise, l’appel à l’aide des témoins qui demandent un audit externe ne sera pas entendu: «Sur la base des informations en possession de la Direction de service à ce jour, cette solution n’est pour l’heure pas privilégiée.» Ce camouflet mettra-t-il le feu aux poudres au sein de l’établissement pénitentiaire de Palézieux?

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