Nom, coordonnées, lieu de réservation et informations de paiement: acheter un billet d'avion laisse des traces numériques. Rien qu'en Suisse, environ 60 millions de ces données sont collectées chaque année. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, plus de 60 pays du monde entier exploitent systématiquement ces informations.
Mais en Suisse, la base légale fait encore défaut. La ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter, veut changer cela avec une loi sur les passagers aériens. C'est ce que l'on attend de la Suisse au niveau international. Pour évaluer les données, l'Office fédéral de la police (Fedpol) créerait un service spécial doté de 20 à 30 collaborateurs.
La collecte de données va trop loin selon les partis
Seulement voilà: les projets de Karin Keller-Sutter se heurtent à une large résistance de la part des partis. C'est ce que montrent les prises de position sur le projet en consultation publique. Peu avant la clôture de la période de consultation fin juillet, il apparaît que la gauche comme la droite émettent de sérieuses réserves.
Ainsi, l'UDC salue, certes, l'échange de données concernant les personnes suspectes ou faisant l'objet d'une fiche de recherche, mais le parti estime que le stockage global de toutes les données des passagers va trop loin. La durée de conservation de six mois, voire de cinq ans sous forme anonymisée, est inutile, trop chère et trop longue, selon lui.
L'UDC se réfère aux directives de la Cour européenne de justice, qu'elle n'aime pourtant habituellement pas. Selon ces directives, toutes les données personnelles doivent être effacées après six mois s'il n'y a pas de soupçon clair. De plus, les informations ne doivent pas être transmises automatiquement, mais uniquement en cas de soupçons concrets.
Le PS doute de l'efficacité de la pratique
L'UDC constate que cela correspond presque à la pratique actuelle du Service de renseignement (SRC). Elle estime donc qu'il serait plus judicieux d'adapter les compétences de ce dernier plutôt que de créer un «nouveau service coûteux et trop bureaucratique» qui reprendrait exactement le travail du SRC.
Des critiques similaires émanent aussi de la gauche et des Verts. Le PS évoque le principe de proportionnalité et la protection des données. «Nous ne considérons pas comme convaincant l'argument selon lequel un tel traitement systématique de nombreuses données de passagers aériens permettrait de lutter réellement et efficacement contre le terrorisme et d'autres formes de criminalité, avance le parti. On peut se demander si les terroristes et autres criminels utilisent vraiment des vols de ligne, ce qui révèlerait ainsi leur véritable identité.»
De leur côté, les Verts parlent d'«atteintes massives et disproportionnées» aux droits fondamentaux des passagers aériens. L'association Digitale Gesellschaft parle même d'une érosion des droits fondamentaux de toutes les personnes en Suisse. L'organisation s'oppose expressément à la «nouvelle surveillance de masse prévue, et à la conservation des données», qu'elle ne peut justifier par «l'augmentation prétendue de la sécurité pour l'ensemble de la société».
Soutien uniquement au centre
Jusqu'à présent, Karin Keller-Sutter ne trouve de soutien que dans le parti du Centre, qui estime qu'en ayant la possibilité de traiter elle-même les données des passagers aériens, la Suisse se montrerait solidaire du reste de l'Europe, «car elle ne veut pas être la cause de failles de sécurité dans le système Schengen».
Il est important, selon le parti, que le projet s'oriente déjà vers la nouvelle loi sur la protection des données, qui doit entrer en vigueur en 2023. Le traitement des données ne serait autorisé que dans un but légal et les résultats positifs devraient être vérifiés deux fois: «Du point de vue du Centre, la protection des données des voyageurs est ainsi suffisamment garantie.»
La conseillère fédérale du PLR peut encore espérer une aide venue de ses propres rangs. Les radicaux ne semblent toutefois pas non plus sauter de joie face à son projet. Le parti libéral-radical a ainsi pris du retard dans sa prise de position et a dû demander une prolongation du délai.
Les Vert'libéraux, eux, ont même renoncé à prendre position par manque de ressources. Le conseiller national et expert en protection des données Jörg Mäder laisse également transparaître son scepticisme. «Pour moi, une telle conservation des données va dans la mauvaise direction», explique-t-il. En bref: Karin Keller-Sutter n'est pas sortie de l'auberge...
(Adaptation par Lliana Doudot)