En arrivant arrivé au mythique lieu de réunion annuelle du parti agrarien, l'Albisgüetli, le président de la Confédération Ignazio Cassis n'entrait pas en terrain conquis: l'UDC zurichoise n'offre pas toujours un accueil chaleureux aux présidents de la Confédération, bien que ces derniers soient invités à chaque fois.
Ignazio Cassis pouvait s'attendre au pire, d'autant plus qu'il est également ministre des Affaires étrangères et responsable du dossier européen. Rappelons que l'opération anti-européenne a été le cheval de bataille de Christoph Blocher, le patriarche du plus grand parti de Suisse. L'Albisgüetli, comme Ignazio Cassis le dira très justement, c'est la fosse aux lions en matière de politique européenne.
«Vous serez réélu haut la main!»
Le Tessinois devait ainsi être un peu tendu avant de se rendre à l'invitation de l'UDC zurichois, après avoir enchaîné en 48 heures une visite d'État à Berlin et la rencontre américano-russe à Genève.
Mais il aura probablement été le premier surpris des discours chaleureux et élogieux à son égard. Benjamin Fischer, président de l'UDC zurichoise, s'est perdu en compliments: «Si cela ne tenait qu'à l'UDC, vous serez réélu dès le premier tour!», a-t-il lancé au président de la Confédération, dont le siège au sein du Conseil fédéral fait déjà l'objet de folles spéculations en vue des prochaines élections en 2023.
Dans son discours de près d'une heure, même le vieux loup Christoph Blocher a été – presque trop – aimable avec le PLR tessinois, félicitant le conseiller fédéral pour sa «décision courageuse» de couler l'accord-cadre avec l'UE l'année dernière. «C'est le mérite d'Ignazio Cassis. Merci, Monsieur le Président de la Confédération!», a lancé l'UDC schaffhousois à la salle. Et le pourfendeur de l'entrée de la Suisse dans l'EEE d'ajouter qu'Ignazio Cassis veillerait à ce que l'on ne se retrouve pas à nouveau dans une telle situation «d'accord colonial» avec Bruxelles. «Bravo Monsieur Cassis!»
Où était Ueli Maurer?
Le reste de son discours – qui est depuis 20 ans le point culminant incontesté de la manifestation – fut ponctué d'humour sur un peu tout, sans grandes nouveautés. Christoph Blocher s'est réjoui que le conseiller fédéral Ueli Maurer, «également présent, puisse cette fois rester un peu plus longtemps.» En effet, a lâché le milliardaire zurichois, le ministre des Finances aurait dû abréger les festivités ces dernières années pour «surveiller la caisse» afin que les autres conseillers fédéraux ne se servent pas. «Aujourd'hui, il peut rester plus longtemps, puisqu'il n'y a plus rien dedans!» Pourtant, Ueli Maurer n'a pas été vu dans la salle des fêtes...
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Christoph Blocher faisait allusion, bien sûr, aux mesures de lutte contre la pandémie qui ont englouti des milliards. Il s'est toutefois montré confiant: «Le Covid est terminé !», a-t-il promis aux quelque 400 invités du Schützenhaus Albisgütli. Il ne faudrait pas se laisser aveugler par le nombre de cas quotidiens: «pour la grippe, nous ne comptons pas non plus chaque personne qui tousse et doit rester à la maison un jour».
Beaucoup de personnalités politiques
Il n'a pas mâché ses mots contre les Verts et la gauche, contre la ministre de l'Energie Simonetta Sommaruga, dont la politique «mènera la Suisse à la catastrophe», contre la «classe politique», contre les pasteurs qui préfèrent accrocher des «drapeaux arc-en-ciel» à leurs fenêtres plutôt que de faire quelque chose d'utile... Un discours qui aura probablement plu à sa base. Ce qu'en ont pensé les conseillères d'Etat zurichoises Carmen Walker-Späh (PLR) et Silvia Steiner (Le Centre) restera leur secret.
De nombreuses personnalités politiques étaient également présentes: de nombreux UDC zurichois, bien sûr, de la conseillère d'Etat Natalie Rickli à l'ancien conseiller national Christoph Mörgeli, en passant par les conseillers nationaux Magdalena Martullo-Blocher, Thomas Matter et Roger Köppel. Ce dernier a été cité de manière frappante lors d'un sondage de Blick TV comme favori pour succéder (un jour ou l'autre) à Ueli Maurer.
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Il faut aussi noter que le chef du groupe parlementaire Thomas Aeschi avait fait le voyage de Zoug, tout comme l'ancien président du parti national Albert Rösti... Ces deux-là voudraient-ils se positionner pour 2023?
Ignazio Cassis caresse l'UDC dans le sens du poil
Ignazio Cassis, qui avait déjà été invité à l'Albisgüetli il y a quatre ans en tant que conseiller fédéral nouvellement élu, a remercié Blocher pour l'accueil chaleureux que lui a réservé «Caro Christoph». Bien qu'il ait aussitôt contredit ce dernier. «Nous souhaitons tous retrouver la normalité. Je peux vous assurer que le Conseil fédéral se réjouit lui aussi de voir le Corona redevenir tout simplement une marque de bière!»
Mais nous n'en sommes pas encore là, a-t-il averti de manière présidentielle dans la salle des fêtes: «En tant que médecin, je vous assure que le chemin vers la normalité ne passe que par des anticorps dans le sang, c'est-à-dire uniquement par la vaccination ou la guérison. Il n'y aura pas de miracle».
Pas d'«Insta 2.0»
Mais dans son discours, Ignazio Cassis s'est aussi attaqué aux «lions de la politique européenne»: le gouvernement du pays veut continuer à avoir des relations régulières et stables avec Bruxelles. «Elles sont bien trop précieuses pour que nous les rejetions en bloc», tout en avertissant qu'il ne fallait pas oublier qu'il s'agissait aussi d'un échange de marchandises d'un milliard de francs par jour.
Le Conseil fédéral est en train de définir ce qu'il adviendra de l'UE après l'interruption des négociations sur l'accord-cadre. «Mais je peux déjà vous dire une chose: il n'y aura pas d'Insta 2.0», a promis Ignazio Cassis. Le fameux accord-cadre est communément appelé «Insta» outre-Sarine, un abrégé d'«Institutionnelles Abkommen».
Grâce à ces dernières déclarations, le président de la Confédération s'est mis la salle dans la poche. Les applaudissements ont été aussi chaleureux que l'accueil, une «standing ovation» partant même du fond de la salle.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)