«Bulletins valables: 237. Bulletins rentrés: 237. Blancs: 30. Nuls: 4. Est élu avec 156 voix, Ignazio Cassis.» Le Palais fédéral avait fait le plein de médias et de curieux, ce mercredi peu avant midi, pour l'élection du président de la Confédération par les deux Chambres réunies. Mais l'annonce solennelle d'Irène Kälin, présidente de l'Assemblée fédérale, aurait tout aussi pu être «Masques distribués: 246. Masques portés: 151.»
Les observateurs l'auront noté: le port de la protection faciale est aléatoire depuis le début de la Session d'hiver, surtout lorsque les parlementaires sont à leur place de travail. Ce mercredi n'a pas fait exception. Alors que tous les spectateurs postés dans les tribunes surplombant l'hémicycle portaient un masque, les élus étaient moins disciplinés, avec une systématique certaine — plus Irène Kälin regardait sur sa droite, moins les visages étaient protégés.
Au sein du groupe UDC, par exemple, le masque jaune canari de la Zurichoise Barbara Steinmann tranchait avec les faciès souriants des conseillers nationaux qui l'entouraient. La sensibilité au Covid semble féminine chez les élus agrariens, puisque Magdalena Martullo-Blocher avait aussi enfilé un masque — au contraire de l'écrasante majorité des hommes dans les parages.
La fille de Christoph Blocher, visionnaire, montrait déjà l'exemple il y a 21 mois. Le 2 mars 2020, elle faisait sensation avec son masque FFP-2, que la présidente d'alors Isabelle Moret (PLR/VD) lui avait demandé d'enlever. L'UDC luttait à l'époque pour le droit de se couvrir le visage. Le parti a radicalement changé de cap, puisqu'il a demandé mardi lors d'une Session extraordinaire la levée de la «situation particulière» et de toutes les mesures de lutte contre le Covid.
Mais revenons au printemps 2020. Avec le recul, la lecture des articles de presse de l'époque est ironique. «Le virus se transmet par les mains dans la majorité des cas», assurait Alain Berset, tandis qu'Isabelle Moret estimait que renoncer aux poignées de mains suffirait à endiguer ce qui n'était alors qu'une épidémie. «Les enfants sont de mauvais vecteurs du virus, contrairement aux jeunes et aux jeunes adultes entre 20 et 40 ans», ajoutait le ministre de la Santé.
«Les plexiglas augmentent le risque»
Des soupçons infirmés au gré des progrès scientifiques autour du SARS-Cov-2. Une chose est désormais acquise: rien ne protège mieux que les masques, surtout dans les espaces clos. C'est d'ailleurs ce qui figure dans l'ordonnance adoptée par le Conseil fédéral en vigueur depuis ce lundi. «L’obligation de porter un masque s’applique en principe à toutes les manifestations se déroulant à l’intérieur», est-il précisé. Des exceptions existent, notamment «pour les personnes dans les établissements de restauration, les bars et les boîtes de nuit lorsqu’elles sont attablées», mais être parlementaire fédéral n'en fait pas partie.
Dès lors, comment expliquer que tous les visages ne soient pas protégés sous la Coupole? Renseignements pris, les élus ont le droit d'ôter le masque «une fois à leur place de travail» grâce aux séparations en plexiglas qui les isolent de leurs voisins directs. Une décision de la «DA», la délégation administrative du Parlement, nous informe mercredi le site du Parlement.
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Toujours ce mercredi, sur Twitter, le professeur Jimenez, de l'Université américaine du Colorado, ironise pourtant sur la politique helvétique. «La Suisse et son Parlement n'ont visiblement pas appris que la transmission principale du virus se fait par aérosols et que les vitres en plexiglas ne font qu'AUGMENTER la transmission, parce qu'elles empêchent la ventilation.»
L'OFSP, qui a conseillé la DA, est visiblement arrivée à une conclusion différente. Selon nos sources, l'aération est suffisante dans la salle du Palais fédéral, et irait du sol au plafond, ce qui optimiserait l'utilisation de telles séparations. Les parlementaires peuvent donc ôter leur masque lorsqu'ils se trouvent à leur place de travail. Et ce, même si l'accès au coeur du pouvoir helvétique est accordé sur présentation du certificat Covid et non sous le régime des «2G».
Près de 12'000 bougies
A Berne, l'affaire est — forcément — politique. De nombreux parlementaires de droite saluent la possibilité de travailler sans masque pour leur confort, tandis que les élus de l'autre côté de l'hémicycle font fi de cette autorisation et gardent le masque à leur pupitre. Malgré certaines grimaces, certains rappellent volontiers que le Conseil fédéral exhorte toutes les entreprises à respecter le port du masque au travail, taclant au passage l'UDC.
Quoi qu'il en soit, le spectre du coronavirus n'est jamais très loin des parlementaires. Mardi, un groupe de citoyens est venu installer 11'288 bougies devant le Palais fédéral, une par victime depuis le début de la pandémie.