Les économistes considèrent l’inflation comme le lubrifiant de l’économie. Dans une modeste mesure, le renchérissement n'est pas forcément un mal. S'ils s'attendent à une hausse constante des prix, les consommateurs sont plus enclins à mettre leur argent en circulation tout de suite, pour éviter de dépenser plus pour le même produit à l’avenir. Un comportement qui stimule l’économie: elle devient florissante.
Mais, à l’inverse, si l’inflation est trop élevée, les consommateurs réfléchissent à deux fois avant de dépenser leur argent, et n'achètent que le strict nécessaire. Ce qui est également un problème pour les producteurs. Si la demande baisse en raison de la hausse des prix, les entreprises se voient forcées d'augmenter les prix pour couvrir les coûts. Elles investissent donc moins: la croissance économique faiblit.
Plus forte hausse depuis 14 ans
En tant que petite économie ouverte, la Suisse n’est pas épargnée par l'inflation de ses voisins. En comparaison avec l’étranger, le renchérissement suisse actuel de 2,9% est certes encore modéré. Mais pour que les prix soient considérés comme stables, leur variation ne doit pas dépasser 0 à 2% selon la Banque nationale suisse (BNS).
La hausse actuelle se situe donc déjà au-dessus de cette fourchette. Les consommateurs suisses connaissent la plus forte augmentation des prix depuis quatorze ans. Qu’il s’agisse de pâtes, d’essence ou de beurre, de nombreux produits de consommation courante ont sensiblement augmenté, c'est-à-dire de plus de 5%, au cours des derniers mois.
Les frais annexes explosent
Mais ce ne sont pas les seuls, et la pression sur certains prix va encore en s’accentuant. Les hausses de l’énergie sont les principaux moteurs de l’inflation locale. Si les frais de logement ont pris l'ascenseur de façon générale, les frais annexes ont complètement explosé. Le mazout, par exemple, coûte plus de 80% de plus que l’année dernière. En l’espace d’un an, l’essence et le diesel ont augmenté respectivement de 25 et 30%. «La dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz étrangers pousse les prix à la hausse», explique un chercheur du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).
Yngve Abrahamsen parle d’une inflation importée qui se fait désormais «pleinement sentir». Depuis le début de la guerre en Ukraine, la situation s’est encore aggravée, se désole le chercheur. Ce pays est l’un des plus grands exportateurs de céréales. De plus, il fournit de nombreuses matières premières dans le monde entier. «Or, la guerre a entraîné de nouvelles pertes de production et des perturbations des chaînes d’approvisionnement», poursuit Yngve Abrahamsen. Il déplore une pénurie due aux interruptions en Ukraine de production et de livraison en Ukraine. Ce qui a entraîné une augmentation considérable du prix de ces produits.
Sans compter que l’économie mondiale souffre toujours des conséquences de la pandémie de Covid-19. Le secteur des services a vu son chiffre d’affaires dramatiquement piquer du nez. Certains ménages en ont profité pour mettre de l’argent de côté pour la reprise du tourisme et de la restauration. Ce qui n’était finalement pas une si bonne idée.
«L’effet de rattrapage, c’est-à-dire la hausse fulgurante de la demande, se heurte désormais à des chaînes d’approvisionnement coupées et à une offre limitée», avance Yngve Abrahamsen. De nombreux fournisseurs l’ont bien compris: les coûts de leurs produits ont pris l’ascenseur. Une conséquence de la pandémie bien visible par exemple sur le secteur aérien, où les prix des vols long-courriers se sont envolés.
Les plus pauvres sont les plus durement touchés
Le renchérissement n’a pas le même poids selon les ménages. «Les consommateurs aux revenus plus modestes ressentent actuellement plus d’inflation», affirme Sarah Lein, professeure d’économie à l’université de Bâle. «Les ménages à faible revenu dépensent une part plus importante de leur revenu pour l’alimentation, le logement et l’énergie que les ménages à revenu élevé», éclaire la spécialiste. C’est-à-dire précisément pour les biens qui sont soumis au renchérissement de manière particulièrement forte ou continue – et dont la consommation est en grande partie indispensable.
Or, il ne faut pas s’attendre à ce que les prix des denrées alimentaires ou de l’énergie baissent dans un avenir proche, selon Sarah Lein. En cause: le changement climatique, la politique environnementale européenne et la situation en Ukraine. «Et si l’inflation dérape, les gens perdront confiance dans la stabilité du pouvoir d’achat de leur argent», avance la macro-économiste.
L’économie doit être freinée
Ce sont aux banques centrales de veiller à la stabilité des prix. Ils sont donc les gardiens de la confiance de la population en l’économie. La semaine dernière, la BNS a relevé son taux directeur d’un demi-point de pourcentage. C’était la toute première fois depuis 2007. Ceci dans le but de freiner l’économie et, ainsi, de réduire les pressions inflationnistes. La professeure Sarah Lein parle d’un signal important. «Il était décisif que la BNS réagisse rapidement», assène-t-elle. Mais cette seule hausse des taux ne suffira probablement pas à maîtriser l’inflation. La spécialiste part donc du principe que la Banque nationale relèvera encore une fois les taux d’intérêt à la fin de cette année.
La force du franc lui fait caresser l’espoir que le renchérissement ne se fasse pas sentir aussi fortement qu’à l’étranger. En effet, lorsque le cours du franc augmente, cela freine l’inflation importée. Cette dernière étant la principale voie d’entrée de la hausse des prix actuelle.