Si le Canton de Vaud a (enfin) interdit les puffs aux mineurs, c’est un peu grâce à elle. La députée au Grand Conseil Vert’libérale Graziella Schaller déposait en 2019 son postulat intitulé «Soumettre la cigarette électronique au même cadre légal que les produits du tabac», avant même l’arrivée de ces e-clopes jetables et colorées sur le marché. Cinq ans plus tard, voilà le souhait de l’économiste de formation exaucé.
La décision annoncée mardi par le Conseil d’État vaudois prendra effet le 15 juillet. Genève, Neuchâtel, Fribourg, Berne et le Valais avaient tous pris une longueur d’avance en légiférant sur les puffs alors qu’elles prenaient de l’ampleur dans les établissements scolaires romands. Entre lenteur à la vaudoise, pression des cigarettiers et responsabilité des adultes, interview de la discrète ex-cheffe du groupe Vert’libéral au législatif vaudois.
Graziella Schaller, vous avez lancé ce postulat en 2018. Pourquoi Vaud a-t-il tant de retard sur ses voisins?
Les Vaudois ne sont pas toujours très rapides. Je pense qu’il y avait un manque de volonté de s’attaquer à ce problème. J’ai aussi le sentiment que le fait d’avoir le siège d’importants fabricants de tabac dans le canton a peut-être joué un rôle. Étonnamment, ils sont dans le canton de Vaud et nous sommes le canton qui a le plus de retard.
Soyons clairs, la présence du siège social de Philippe Morris à Lausanne a-t-elle joué un rôle dans cette lenteur relative de cette interdiction?
Je n’ai strictement aucune preuve. Les gens se connaissent et le lobby se fait. Donc je pense que oui, ça joue un rôle. Moi-même, je n’ai jamais subi de pression quelconque. En fait, il faut se rappeler que les cigarettes électroniques dont je parlais à l’époque n’étaient pas encore les puffs. À l’époque, le sujet c’étaient les vaporettes de type Iqos et d’autres marques développées par les cigarettiers. J’avais déposé ce postulat pour les soumettre au même cadre légal que les cigarettes et éviter que les jeunes ne les consomment.
Et les puffs?
Les puffs sont arrivées par après, sur un autre marché que celui des grands cigarettiers. Mais ils avaient tout de même un intérêt à ce que la loi ne s’y applique pas non plus. Maintenant, les études montrent que les jeunes qui consomment des puffs sont plus nombreux à se tourner ensuite vers la cigarette.
Cette décision d’interdiction aux mineurs, c’est une victoire personnelle?
Oui. Disons que ça me fait plaisir de voir qu’un objet que j’ai déposé en 2018 finit par aboutir. Même si ça prend beaucoup de temps. Mais je suis surtout contente par rapport aux jeunes et à leur consommation. Voilà ma victoire. Beaucoup de parents m’écrivent régulièrement. Ils attendent impatiemment cette interdiction, se disent désespérés que leur enfant consomme et ne savent plus que faire pour y faire face. L’interdiction va aider, mais il faudra rester vigilant. Malheureusement, il est toujours très facile de s’en procurer ailleurs que dans des magasins.
Voir d’autres politiciens tirer la couverture à eux, cela ne vous dérange pas?
Non. Sur des sujets comme ça, il vaut mieux travailler ensemble à faire avancer les causes. D’autres collègues ont aussi déposé des questions au Grand Conseil. Je ne suis pas seule. C’est suffisamment un phénomène d’ampleur pour qu’on n’en fasse pas qu’un combat personnel. Après, en tant que politicienne, c’est satisfaisant de voir mon nom inscrit sur ce projet qui a abouti. De voir que j’ai apporté à la cause.
C’est une problématique qui dépasse les désaccords entre partis?
Je dirais que oui. Mais je trouve stupide et je ne comprends pas très bien que cela reste une cause beaucoup plus portée par les partis de gauche que par les partis de droite. Lors des discussions au Grand Conseil, j’ai vu la droite essayer de baisser les exigences légales par rapport à la publicité. Je trouvais incroyable de dire qu’il faut protéger la liberté de commerce, même dans un cas où on parle de la santé des jeunes. J’ai trouvé triste d’observer certains de mes collègues, plutôt à droite de l’hémicycle, vouloir rendre la proposition du Conseil d’État moins contraignante. C’est notre responsabilité d’adultes de mettre un cadre qui protège davantage les jeunes.
Vous restez une économiste libérale. Est-ce que vous iriez jusqu’à dire qu’il faut interdire la cigarette tout court?
Non. Même si je pense que pour une question de santé publique, il faut tenir compte du coût qu’engendre la consommation des produits du tabac. Mais je pense que les adultes sont absolument responsables de leur consommation et de leur santé. Il faut les laisser libres de leur choix. Mais qu’il faut absolument préserver les jeunes en rendant les achats plus compliqués. Et puis faire beaucoup plus de prévention qu’actuellement. N’oublions pas l’impact écologique des cigarettes jetables. Les puffs contiennent du matériel électronique, et pourtant elles finissent au mieux à la poubelle ou au pire dans la nature. Les jeunes qui se préoccupent du climat devraient s’en rendre compte.
Est-ce que vous en voulez aux kiosquiers et aux vendeurs d’e-cigarettes et de puffs d’avoir profité de ce marché ouvert aux 16-18 ans?
Les kiosquiers ont le droit de gagner de leur vie et de vendre ces produits. Même s’ils avaient pu prendre la responsabilité de mettre des mesures en place. Maintenant, ils seront obligés de demander aux jeunes leurs documents d’identité. Mais je ne leur en veux pas. Il faut les laisser exercer leur activité économique au plus près de leur conscience. C’est un peu schizophrénique, c’est sûr. Par contre, j’en veux un peu plus aux grands magasins qui n’ont rien à voir avec ces produits, mais qui les présentent sur des stands. C’était il y a quelques années à Manor, qui avait présenté des e-cigarettes de type Juul, qui ressemblent à des puffs et sont désormais interdites aux Etats-Unis.
Au-delà de cette interdiction obtenue, c’est un combat que vous allez continuer à mener d’une manière ou d’une autre?
C’est une victoire d’étape. Il y a besoin d’une prévention à plus large échelle. C’est vraiment au niveau de la prise de conscience et de la formation dans les écoles que je vais continuer à agir pour inciter le Département de la Santé à en faire plus. Cela fait peur de voir à quel point il est facile de se procurer des puffs sur internet. Je ne vois pas trop, à ce stade, comment on peut faire pour maîtriser ce marché.