Il y a un peu plus d'une semaine, Nemo enchantait toute l'Europe avec sa chanson «The Code» à Malmö (Suède). Sa victoire à l'Eurovision a ravi sa ville natale de Bienne qui s'est soudainement retrouvée sous les projecteurs avec fierté.
La ville a envoyé deux membres de son exécutif accueillir l'artiste lors de son retour à l'aéroport de Zurich. Tandis que le maire faisait appuyait une participation biennoise à l'organisation du concours en 2025 en Suisse, la directrice de la Culture soulignait devant les médias à quel point Nemo représentait les valeurs de la cité bernoise: «Nemo est aussi divers, multiple, créatif, innovant et engagé que Bienne.»
La ville bilingue polit ainsi son image de métropole culturelle. Et à juste titre: Nemo est loin d'être la seule exportation de la scène culturelle locale. Avec ses quelque 56'000 habitants, la dixième ville du pays produit un nombre étonnant d'excellents musiciens – et ce dans des registres variés. Outre le vainqueur de l'Eurovision, Pegasus, Dana, Death by Chocolate, Puts Marie, Caroline Alves, James Gruntz ou La Base sont issus de la scène locale.
«Découvrir des talents fait partie du jeu»
Bienne, un haut lieu de la culture? Le chanteur suisse Stephan Eicher en est convaincu. C'est «the place to be» disait-il du moins dans une récente interview accordée à la plateforme Starzone. «Si tu veux trouver de nouvelles choses, va à Bienne!» Le musicien parle en connaissance de cause puisqu'il s'est associé au guitariste biennois Roman Nowka. Avec deux autres membres du groupe, ils sont actuellement en tournée en Suisse pour présenter leur hommage à la musique de Mani Matter (1936-1972).
Mais qu'est-ce qui fait de la patrie de Nemo un microcosme culturel si particulier? Blick s'est rendu à Bienne pour le savoir.
Au cœur de la vieille ville, Daniel Schneider nous ouvre la porte de sa salle de concert. Il connaît le milieu comme personne et propose pratiquement tous les styles au «Singe». Il donne aussi de la place aux talents du coin. Financièrement, cela n'en vaut pas la peine. «On me dit toujours que je devrais faire de la programmation commerciale», rigole-t-il. Mais il n'en est pas question. «Découvrir des talents, essayer de nouvelles choses et donner de la visibilité à de petits groupes fait partie de ce que nous proposons.»
Le premier baptême de disque de Nemo
Beaucoup d'artistes ont donc profité de ce lieu ces dernières années, dont Nemo. En 2016, Le Singe a présenté le tout premier disque de la future star, alors âgée de 17 ans. Huit ans plus tard, iel a raflé la mise à Malmö, devant les caméras du monde entier. Nemo, avec ses capacités et son histoire, est la meilleure publicité que Bienne puisse souhaiter, estime Daniel Schneider. Pour lui, Nemo a eu le courage de voir grand et c'est ce qu'il souhaite également de la part des autorités lorsqu'il s'agit de promotion culturelle. «Quand on me demande d'où je viens, je réponds toujours: de la plus petite ville du monde - de Bienne», sourit-il.
L'homme se réfère au poète et écrivain biennois Robert Walser (1878-1956), qui a qualifié sa ville natale de «plus petite métropole du monde». Selon Daniel Schneider, cette description n'a rien perdu de son actualité. «Bienne est ouverte, mélangée, multiculturelle: c'est ce qui donne l'impression inspirante d'être dans une grande ville.» Il connaît de nombreuses personnes qui sont venues à Bienne et qui y sont restées par amour pour l'endroit.
Bienne, ville de possibilités. Elle ne possède pas de centre-ville centenaire, ce n'est qu'avec l'industrie horlogère que le village est devenu une ville au XIXe siècle. Aujourd'hui encore, la cité est marquée par l'industrie et soumise aux cycles de l'économie mondiale. La capacité fiscale est faible, le chômage et le taux d'aide sociale élevés, tout comme l'endettement de la ville. En revanche, les loyers sont bon marché et les espaces de liberté nombreux. Les visiteurs allemands y font souvent le lien avec certains quartiers de Berlin: au premier abord, ce n'est pas très beau, mais on découvre vite de nombreux oasis cachés.
L'ancien stade de football du FC Bienne, qui y a fêté son unique titre de champion de Suisse en 1947, en est un exemple. Un jour, des logements coopératifs devraient être construits ici. Mais d'ici là, la ville a libéré le stade pour une utilisation intermédiaire. Des jardins ont été aménagés sur le terrain, il y a des ateliers et même deux terrains pour le tennis sur gazon. Les vestiaires sous les tribunes ont été transformés en salles de musique.
«Se connecter est facile»
Simon Spahr, guitariste de Pegasus, joue régulièrement dans sa ville. Il participe à des projets de groupes et donne des cours de guitare. «Il y a une densité incroyable de gens talentueux à Bienne», se réjouit-il. Mais selon lui, la scène ne peut s'épanouir que s'il y a des espaces de liberté et des possibilités de se produire.
Cela a également été décisif pour Pegasus, se souvient le guitariste: lorsque le groupe a décidé de se lancer professionnellement, d'autres ont également tenté leur chance en même temps. «Nous nous sommes poussés les uns les autres, nous nous sommes produits pratiquement chaque semaine, ne serait-ce que dans des restaurants suivis d'un tour de chapeau», raconte-t-il.
La chanteuse/compositrice biennoise Dana prenait un temps des leçons de guitare avec Simon Saphr. S'affirmer sur la scène musicale biennoise n'est pas compliqué: «C'est tellement facile de trouver des contacts», s'exclame-t-elle.
La musicienne professionnelle de 26 ans se souvient qu'elle recevait de temps en temps un feedback de Nemo sur une nouvelle chanson, et que les gars de Pegasus répondaient à ses questions sur le business. «Je n'avais aucune idée de cela à l'époque.» Selon elle, la population biennoise serait curieuse et ouverte à la nouvelle musique. «Bienne est un peu comme un terrain de jeu, on peut y essayer des choses et aussi échouer une fois», explique Dana.
Marqué par le hip-hop
À l'est de la ville, on trouve le X-Project. Cette ancienne usine est une pièce importante du puzzle de la promotion culturelle. Elle offre aux jeunes adultes la possibilité de s'essayer pour peu d'argent au skatepark, au studio de danse ou encore au mur d'escalade. Le X-Project, subventionné par la ville, existe depuis bientôt 25 ans, il est encore aujourd'hui imprégné de la culture hip-hop. «Nous offrons aux acteurs culturels une possibilité de se lancer», explique son directeur Manuel Stöcker. «Ils doivent pouvoir prendre pied et se mettre en réseau.» Selon lui, la demande est forte et le bâtiment est toujours rempli. Il y a des années, Nemo fréquentait lui aussi de temps en temps le X-Project pour travailler sur des interludes rap.
Sa victoire à l'Eurovision est une grande confirmation pour la scène culturelle biennoise, estime Manuel Stöcker. Anne Birk, présidente de l'association X-Project, abonde: «Ce succès montre aux jeunes artistes ce qui est possible quand on croit en soi.» Malgré l'euphorie, elle rappelle toutefois qu'une telle attention peut aussi comporter des dangers pour le biotope culturel biennois.
Elle fait aussi remarquer que récemment, de plus en plus d'artistes zurichois, lausannois ou genevois se sont installés à Bienne parce que le prix du mètre carré y est encore abordable. En tant que Berlinoise, elle a elle-même vécu une telle situation en Allemagne: «Si un lieu devient à la mode, les sous-cultures sont soudainement évincées.» Pour elle, il est donc primordial de défendre les espaces libres: «Si nous épurons trop Bienne, la magie disparaîtra», conclut-elle.