Tout ce qu'il faut savoir
Quelle est la situation juridique et politique des personnes non-binaires?

La victoire de Nemo à l'Eurovion a relancé le débat sur l'introduction d'un troisième sexe en Suisse. Quel est le contexte juridique et politique dans notre pays et nos voisins? Blick vous apporte toutes les réponses.
Publié: 14.05.2024 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 14.05.2024 à 11:44 heures
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Nemo a remporté la victoire pour la Suisse à l'ESC.
Photo: AFP
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Tobias Ochsenbein et Sophie Reinhardt

Après la victoire de Nemo à l'Eurovision, le débat sur l’introduction d’un troisième sexe a été relancé en Suisse. Depuis dimanche matin, des politiciens et politiciennes ont saisi le triomphe de Nemo pour lancer des discussions sur le sujet.

Nemo s’identifie comme non-binaire. Pour rappel, les personnes non-binaires ne s’identifient à aucun genre. Elles ne se sentent donc ni homme ni femme – ou les deux en même temps. La chanson «The Code», avec laquelle Nemo a remporté l’Eurovision, traite de sa réflexion sur sa propre identité.

Mais que signifie exactement «non-binaire»? Et pourquoi n’existe-t-il pas en Suisse de troisième sexe dans le registre civil? Quel est le contexte juridique et politique? Blick dresse le tableau de la situation en Suisse.

Que signifie non-binaire?

Le sexe et le genre sont deux choses différentes. D’un côté, le sexe est ce qui a été attribué à la naissance sur la base de caractéristiques biologiques, alors que le genre est une expression d’identité intérieure, aux rôles ou aux comportements issus d’une construction sociale. En résumé, le sexe est inné, le genre est construit.

Chez les personnes trans, l’identité de genre ne correspond pas au sexe que la société leur a attribué à la naissance. Les personnes non-binaires, en revanche, ne s’identifient ni comme homme ni comme femme, ou ne se sentent pas complètement appartenir à l’un ou à l’autre. Lors de son coming-out en novembre 2023, Nemo a écrit sur Instagram qu’iel ne s’était jamais senti à l’aise dans son propre corps. La découverte de son identité a été l’expérience la plus libératrice pour l’artiste.

Combien de personnes non-binaires y a-t-il en Suisse?

Il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre de personnes non-binaires en Suisse. Le rapport de la Commission nationale d’éthique de 2020 estime entre 103’000 et 154’000 le nombre de personnes non-binaires en Suisse.

Selon une étude de l’institut de sondage Ipsos, la Suisse a, parmi 30 pays, la plus forte proportion de personnes trans, non-binaires ou gender-fluid. En 2023, 6% des personnes interrogées se sont définies comme transgenres, non-binaires, gender-fluid ou autres qu’homme ou femme.

Quelle est la situation juridique?

En Suisse – et dans de nombreux autres pays – les seules options actuellement disponibles pour définir son identité de genre sont «féminin» ou «masculin». Depuis 2022, le changement de sexe est simplifié en Suisse: toutes personnes souhaitant modifier son sexe civil peuvent en faire la demande auprès des autorités compétentes. Toutefois, l’inscription d’un troisième sexe pour les personnes non-binaires n’est pas encore possible dans notre pays.

Pourquoi la pratique suisse est-elle critiquée?

Les personnes non-binaires se plaignent souvent d’une discrimination structurelle en ce qui concerne leur identité de genre. Certes, en l’anglais (they/them) ou au français (iel), des pronoms non-genrés sont progressivement intégrés dans le langage, il existe encore de nombreuses structures sociétales et sociales discriminantes qui sont – de par la loi – uniquement basées sur la binarité. Quelques exemples: le sexe civil, l’absence de choix dans les formulaires administratifs, les toilettes ou les vestiaires, les installations sportives, les prisons ou le service militaire.

Comment les pays voisins ont-ils réglé la question?

Dans de nombreux pays, le modèle binaire est largement questionné. Mais correspond-il encore à un état social moderne? Nos voisins allemands et autrichiens, notamment, ont introduit d’autres désignations de sexe, voire la possibilité de renoncer totalement à une inscription de sexe.

En Allemagne, depuis 2018, les personnes non-binaires peuvent choisir deux autres formes d’inscription en plus de «masculin» et «féminin». Elles peuvent par exemple inscrire la mention «divers» ou supprimer complètement la mention de sexe. La possibilité de supprimer la mention du sexe existe d’ailleurs depuis 2013.

Depuis 2018, la Cour constitutionnelle autrichienne a confirmé l’importance d’introduire une troisième option dans les actes de naissance pour les personnes non-binaires ou intersexuées. Mais le pays ne s’est pas arrêté là: depuis 2020, il existe six options pour qualifier son genre: féminin, masculin, inter, divers, ouvert ou «sans indication».

Pourquoi cela n’existe-t-il pas en Suisse?

Acter un tel changement engendre un travail administratif important. Rien que pour la Constitution, il faudra appliquer de multiples adaptations, comme la formulation «l’homme et la femme sont égaux en droit». Mais il faudrait aussi changer, par exemple, les conditions d’admission dans le domaine du service militaire et ainsi créer de nouvelles réglementations pour les personnes inscrites comme non-binaires.

Pour se justifier, le Conseil fédéral écrivait dans un rapport datant de décembre 2022 que les modifications des nombreuses lois au niveau de la Confédération et des cantons impliqueraient «un travail législatif considérable».

Que signifierait la reconnaissance d’un troisième sexe?

«Jusqu’à 154’000 personnes non-binaires vivent en Suisse. Toutes sont à ce jour invisibles et ne peuvent pas faire enregistrer leur identité de genre. C’est psychologiquement lourd de faire semblant chaque jour d’avoir un sexe auquel on ne se sent pas appartenir. Cela changerait si la Suisse introduisait un troisième genre», explique Lio Brändle, membre de We Exist, un collectif qui s’engage pour la reconnaissance juridique des citoyens non-binaires. Avec une telle reconnaissance, les personnes non-binaires seraient également protégées juridiquement contre les crimes de haine, insiste Lio Brändle.

Où en est le débat politique en Suisse?

Dans son rapport de 2022, le Conseil fédéral s’est prononcé contre l’égalité des personnes non-binaires. Le gouvernement n’a pas suivi les recommandations de la Commission nationale d’éthique. Celle-ci s’était clairement prononcée en 2020 en faveur de la suppression de l’inscription du sexe pour toutes les personnes, ou du moins de l’introduction d’autres options afin de pallier les discriminations. Car la situation actuelle est intenable pour les personnes non binaires, justifiait-elle.


Dans une lettre ouverte, le Conseil fédéral et le Parlement ont été invités à créer les bases légales pour un troisième sexe. Parmi les signataires figurent la coprésidence du PS Mattea Meyer et Cédric Wermuth ainsi que la présidente des Vert-e-s Lisa Mazzone ou de la personnalité littéraire Kim De l’Horizon.

Que déclenche la victoire de Nemo?

Nemo s’engage pour une troisième inscription du sexe en Suisse. Le fait qu’il n’existe pas dans notre pays de reconnaissance officiel des personnes non-binaire est inacceptable et devrait être modifié, a déclaré l’artiste après sa victoire. Le ministre de la Justice, Beat Jans, s’est montré prêt dimanche à rencontrer Nemo pour un entretien «portant également sur les droits des queers». De son côté, Nemo a déclaré qu’il se réjouissait de prendre prochainement un café avec le conseiller fédéral. On ne sait pas encore quand cet entretien aura lieu.

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