Baisse des prix de laboratoire contestée
Mis au régime tarifaire par Berne, les hôpitaux contre-attaquent en justice

Le Conseil fédéral voulait économiser 140 millions et freiner l'explosion des coûts de la santé en réduisant les tarifs des laboratoires. Mais l'association faîtière des hôpitaux H+ veut renverser cette décision devant les tribunaux. Explications.
Publié: 15.01.2024 à 08:56 heures
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La pandémie de Covid-19 a mis en lumière le travail des laboratoires.
Photo: Keystone
Lino Schaeren

L'association faîtière des hôpitaux H+ veut saisir la justice sur la question des prix des laboratoires. Le litige porte sur la baisse des tarifs des analyses de laboratoire ordonnée par le Conseil fédéral en été 2022.

Il s'agit d'un des rares succès de l'ancien ministre de la Santé Alain Berset, qui a tenté, en vain, de stopper l'explosion des coûts de la santé. Grâce à cette mesure, les caisses maladie – et donc les assurés – devraient économiser environ 140 millions de francs par an. Or, les hôpitaux estiment que cette baisse des tarifs est arbitraire et illégale, et veulent l'annuler un an et demi après son introduction.

Monsieur Prix mécontent

Rappel des faits: au printemps 2022, le Surveillant des prix Stefan Meierhans a vivement critiqué les tarifs élevés des laboratoires en Suisse. Une comparaison avec l'étranger montre qu'un milliard de francs pourrait être économisé en faveur des assurés. La dernière adaptation des tarifs remonte à 2009 et l'automatisation les a rendus obsolètes.

Depuis 2020, l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) planche sur un nouveau calcul des prix. Les résultats devraient être disponibles au plus tôt en 2025 – trop tard pour le Surveillant des prix, les assureurs et le Parlement. 

A leur demande, le Conseil fédéral a alors élaboré une solution transitoire rapide par une réduction linéaire des tarifs de 10%. Une mesure qui n'a pas vraiment convaincu Stefan Meierhans, qui l'a décrite comme «une baisse de tarif à dose homéopathique».

La faîtière des hôpitaux passe à l'attaque

Les laboratoires privés et les hôpitaux ont pourtant manifesté une forte opposition face à la décision du gouvernement. Pour eux, la comparaison avec l'étranger du Surveillant des prix est trompeuse et la baisse des prix au moyen d'un tarif transitoire est une mesure politique qui ne règle rien.

Il est impossible de faire appel contre une ordonnance du Conseil fédéral. Pour faire examiner la baisse de tarif par un tribunal, les fournisseurs de prestations n'ont pas d'autre choix que d'intenter une action en justice contre un assureur sur la base d'un décompte concret. L'Association des laboratoires médicaux suisses (FAMH) indique avoir examiné cette possibilité et l'avoir rejetée, notamment pour ne pas torpiller davantage le processus de calcul des tarifs en cours à l'OFSP.

La faîtière des hôpitaux H+, en revanche, a opté pour l'offensive. Kristian Schneider, directeur du Centre hospitalier de Bienne et vice-président de H+, mène la charge. H+ finance un procès lancé par l'hôpital de Bienne qui doit faire jurisprudence.

Inégalité de traitement?

Pour Kristian Schneider, il ne s'agit pas d'attaquer les tarifs de laboratoire eux-mêmes, mais la manière dont les tarifs sont «fixés par le Conseil fédéral sans argumentation objective». H+ reproche au gouvernement de traiter les fournisseurs de prestations de manière inégale en leur imposant la réduction linéaire.

Depuis août 2022, cette même réduction ne s'applique qu'aux laboratoires privés et aux hôpitaux, mais pas aux cabinets de médecins de famille. «Les hôpitaux sont défavorisés de manière ciblée, cette détermination sélective des prix est une nouveauté que nous ne pouvons admettre», déclare Kristian Schneider. Le timing de H+ n'est pas un hasard. En 2024, le monde politique posera des jalons importants concernant le financement du système de santé suisse.

Elisabeth Baume-Schneider a du pain sur la planche

Pour Elisabeth Baume-Schneider, les défis sont de taille. La Jurassienne, qui succède à Alain Berset à la tête de la Santé, doit aller de l'avant avec le dossier électronique du patient, mettre en œuvre l'initiative sur les soins infirmiers, introduire un nouveau tarif médical ambulatoire, remédier à la pénurie de médicaments et rendre l'activité hospitalière stationnaire plus économe en introduisant des benchmarks. Enfin, la mise en œuvre d'un financement uniforme des prestations hospitalières et ambulatoires occupera aussi la ministre de Santé.

En période de forte hausse des primes, les caisses maladie disent savoir comment freiner l'explosion des coûts: outre des tarifs de laboratoire réduits, l'association des assureurs Santésuisse exige des économies sur les médicaments et des critères d'efficacité clairs pour les tarifs hospitaliers. 

De leur côté, les fournisseurs de prestations se plaignent que les tarifs ne couvrent déjà plus les coûts, que de plus en plus d'hôpitaux sont dans les chiffres rouges et que les mises en garde contre un effondrement du système de santé se multiplient.

200'000 francs en moins à Bienne

Dans le domaine ambulatoire en particulier, les tarifs sont 30% trop bas, a récemment indiqué à Blick la directrice de H+ Anne-Geneviève Bütikofer. Les prix controversés des laboratoires étaient jusqu'à présent une exception et permettaient aux hôpitaux de gagner encore beaucoup d'argent.

Kristian Schneider, le directeur du Centre hospitalier de Bienne, ne le conteste pas. Mais selon lui, les bénéfices sont absolument nécessaires pour financer d'autres domaines. A Bienne, la baisse des prix de laboratoire a entrainé un manque à gagner de 200'000 francs par an, une manne qui était jusqu'à présent destinée à la clinique pédiatrique ou à la logopédie, sous-financées.

Sous-financement «aggravé»

«Avec des prix de laboratoire plus bas, le sous-financement est globalement aggravé et s'étend à un domaine jusqu'à présent rentable», regrette Kristian Schneider. Il demande désormais que des reports de prix plutôt que de réductions soient sur la table des discussions avec l'OFSP.

Kristian Schneider s'apprête à lancer le procès contre les tarifs réduits de laboratoire. Pour cela, son hôpital facture les analyses de laboratoire sur la base des anciens prix, dans le but qu'une caisse maladie refuse le calcul et que cela puisse ensuite être contesté juridiquement.

Une première tentative de Kristian Schneider a échoué: les analyses facturées numériquement à l'assureur bernois Visana selon l'ancienne grille tarifaire ont été payées sans contestation, affirme le directeur de l'hôpital.

La dernière offensive juridique des hôpitaux a échoué

Interrogé à ce sujet, Visana conteste: «Nous n'avons jusqu'à présent eu aucune raison de refuser des factures du Centre hospitalier Bienne.» Selon Kristian Schneider, des factures trop élevées continuent d'être envoyées – cette fois-ci par recommandé. Les caisses maladie pourraient être confrontées à des demandes de remboursement de plusieurs centaines de millions de francs, si les hôpitaux obtenaient gain de cause dans le litige relatif à la baisse des tarifs du Conseil fédéral.

La dernière action en justice des hôpitaux contre une ordonnance du Conseil fédéral remonte à 2014, lorsque le gouvernement est intervenu dans le litige sur le tarif médical Tarmed. Une clinique lucernoise avait alors intenté un procès contre un assureur afin de faire capoter l'adaptation des prix, mais sans succès.

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