Chaque pièce est inondée de lumière. Les portes-fenêtres s'ouvrent sur une large terrasse ensoleillée. La vue sur les contreforts des Alpes vaudoises est censée caresser l'âme meurtrie, l'air de la montagne renforcer les poumons affligés.
Les sœurs de l'Ordre du Rosaire se pressent dans les couloirs avec leurs bonnets ailés. Des halètements angoissants émanent des chambres. Des chiffons imbibés de sang sont transportés hors des dortoirs des malades dans des seaux en fer-blanc. Les patientes sont principalement des jeunes filles, venues invoquer le pouvoir guérisseur de la nature du Haut-Intyamon (Fribourg). Car dans les années 1930, il n'existe aucun médicament contre la tuberculose pulmonaire mortelle. Le Rosaire est alors le seul espoir des malades.
La «peste blanche» a tué des dizaines de milliers de personnes dans la période d'avant-guerre. Ce n'est qu'au début des années 1950 que des antibiotiques permettent de traiter l'infection bactérienne. De nombreuses stations thermales et sanatoriums - devenus inutiles - ferment leurs portes. Le Rosaire perd ainsi sa raison d'être. Dans les années 1990, une famille fribourgeoise achète le beau bâtiment Art déco. «A cette époque, cinq religieuses vivaient encore dans le bâtiment abandonné. Elles se sont senties presque libérées lorsque nous avons repris la maison», déclare le copropriétaire Jean-Louis Dubler.
Des rénovations trop coûteuses
Pendant plus de deux décennies, le Rosaire a continué à servir de colonie de vacances pour les enfants et les jeunes. Mais lorsqu'il a fallu investir des millions dans la protection contre les incendies, le chauffage et l'isolation, Le Rosaire a dû fermer ses portes. L'eau et l'électricité y sont désormais coupées depuis longtemps. Un panneau coloré prévient: halte aux personnes non autorisées. Comme une baleine échouée, l'ancien magnifique bâtiment désaffecté gît désormais dans le paysage pittoresque de la Gruyère.
En 2015, vie et souffrance reviennent dans ce lieu oublié — mais seulement pour quelques semaines, et pour un scénario précis. C'est en effet le lieu choisi par la RTS pour tourner la série fantastique «Anomalia» dans les salles et les anciennes chambres de malades du sanatorium. Des plateformes en fer, des lumières de salle d'opération, des blouses blanches: il est facile de créer une atmosphère d'hôpital. La protagoniste est une neurochirurgienne, qui pratique dans une mystérieuse clinique reculée. Tout à coup, elle a des visions. Elle rencontre des êtres mystiques et reconnaît leurs mystérieux pouvoirs de guérison. La tension augmente avec chaque épisode jusqu'à la dernière prise. Depuis, Le Rosaire a retrouvé sa léthargie.
Plateau de luxe pour réalisateurs
Pierre Monnard n'est pas le seul réalisateur suisse à avoir découvert la magie de ce «lieu perdu». Un an plus tard, Michael Schaerer a également utilisé ce cadre extraordinaire pour le drame historique en plusieurs parties «Frieden», écrit par la scénariste Petra Volpe. L'Argovien a transformé Le Rosaire en un camp de réfugiés pour les survivants du camp de concentration de Buchenwald, avec beaucoup d'accessoires et un grand souci du détail. Des jeunes, dont l'héroïne du film, Klara Tobler, la fille du propriétaire des lieux, s'est occupée avec zèle.
Outre pour le cinéma ou la télévision, Le Rosaire sert aussi de scène de crime dans la vraie vie, ou presque: «La police organise des exercices ici et entraîne ses chiens policiers», explique le propriétaire, tandis qu'un cordon rouge et blanc s'étend le long de la rampe de l'escalier.
Les autres visiteurs se font rares. Parfois, des acheteurs potentiels prennent contact. Jean-Louis Dubler rêve d'un autre avenir pour ce joyau niché au milieu d'un décor paradisiaque. Ni une clinique d'effroi, pas un plateau de tournage ou un terrain de jeu pour les policiers — le Fribourgeois veut préserver autant que possible le bâtiment historique et espère que des investisseurs l'achèteront pour en faire, peut-être, un hôtel de luxe.