Une «source de pression», de la «ségrégation universitaire» ou encore une «chasse aux sorcières»? Après les critiques de la liste nommant les profs qui bossent avec Israël, parole à la défense. Il faut dire que la publication du collectif pro-palestinien d’occupation de l’Université de Lausanne (UNIL), le 14 mai dernier, a fait grand bruit.
Des médias ont d’abord dénoncé cette liste, en premier lieu «Le Temps» le 27 mai. Le recteur Frédéric Herman s’est exprimé sur le plateau du «19h30», après un reportage. Les politiciens vaudois ont fini par s’emparer du sujet, surtout à droite. Certains — comme le Vert’libéral David Vogel, élu au Grand conseil (législatif) — veulent remettre à l’ordre aussi bien les étudiants militants que le rectorat, jugeant sa réaction trop mesurée.
Le groupe «Occup’Unil’Palestine» s’est exprimé sur Instagram. Il estime ne pas avoir eu de vrai droit de réponse à ces accusations, Blick l’a contacté. Anna s’est proposée pour s’exprimer au nom du collectif, sans trop en dévoiler sur elle-même.
Cette étudiante en faculté de Sciences sociales et politiques (SSP) fait partie du groupe de travail qui a rédigé le rapport de 30 pages sur les agissements en lien avec la guerre des universités israéliennes partenaires de l’UNIL. C’est au sein de celui-ci que se trouve ce série de noms de profs qui fait polémique. Interview.
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Anna, votre collectif établit une liste de chercheurs et chercheuses qui collaborent avec Israël. Au moins symboliquement, vous ne voyez pas où ça peut coincer?
Nous avons publié ce rapport pour appuyer nos négociations auprès du rectorat. Il contient uniquement des informations publiques, transmises par le rectorat ou trouvées simplement sur internet. Notre liste de noms est juste un état des lieux. C’est tout. Nous avons par ailleurs beaucoup plus protégé ces chercheurs et chercheuses sur la question que ne l’ont fait les médias et les politiques.
Comment ça?
On a pu discuter avec certains des chercheurs et chercheuses cités. On a pu leur assurer que ce ne sont pas elles et eux qu’on boycotte, mais bien les relations institutionnelles. Le dialogue a été constructif et intéressant, sans jamais rentrer dans cette frénésie. Pour nous, il est complètement aberrant que cette liste soit reprise à ce point-là dans les médias, surtout avec des termes aussi choquants et graves.
Ce n’est pas un peu hypocrite de dire que vous ne visez que des institutions, tout en nommant individuellement les profs qui bossent avec Israël?
Non, notre démarche est transparente. En détaillant nos recherches, les noms seraient de toute manière apparus dans les sources. Ce rapport était destiné au rectorat. Il l’avait en main en l’état, avec les noms à l’intérieur, trois jours avant sa publication dans les médias. Et il a décidé de ne pas le lire, ce qui nous a conduits à le publier.
L’élu Vert’libéral David Vogel estime que vous faites de la «ségrégation universitaire», de «l’intimidation» ou encore que vous «mettez une cible sur le dos» des collaborateurs de l’UNIL. C’était votre but?
Ces accusations sont très graves, infondées, voire diffamantes. Personne ne nous a contactés pour nous demander si c’était notre objectif. Nous avons longuement précisé que ce n’était pas le cas. Ces accusations sont une manière de détourner l’attention du fond du problème.
Pourquoi votre collectif reste-t-il anonyme alors même que vous dévoilez les noms de ces chercheurs et chercheuses?
L’anonymat de notre collectif est relatif. Il a un nom et des membres ont pris la parole à visage découvert lors de conférences de presse. Nous n’avons pas vocation à mettre qui que ce soit en avant. Notre but est de dénoncer une situation extrêmement grave et un système qui reste silencieux. Un génocide en train de prendre place dans la complicité et le silence de nos institutions. Nous ne sommes pas des personnalités publiques ou politiques et ne souhaitons pas nommer de porte-parole.
Dès lors, il ne serait pas envisageable de dresser la liste des membres du groupe Occup’Unil’Palestine?
Je ne peux pas vous répondre, parce que ce n’est pas ma décision. Je suis membre d’un collectif. Quel serait l’intérêt de faire ça, à part exposer les personnes se mobilisant pour sensibiliser la population et le monde académique au génocide en cours?
Donc votre collectif et votre rapport sont inattaquables?
Rien n’est incritiquable. Nous ne refusons pas de répondre. Nous souhaitons juste avoir du temps dans les médias pour le faire. Et non 30 secondes en début de reportage, comme nous l’a proposé la RTS pour le «19h30». Ces remarques, on comprend qu’elles nous soient adressées. On prend note pour la suite de celles qui sont constructives, mais ça s’arrête là.
Des politiciens s’inquiètent que la politique prenne le pas sur la recherche dans les universités. C’est votre but?
On met simplement en avant qu’on souhaite que des droits humains fondamentaux soient respectés. On entend certains membres de partis politiques dire qu’il faudrait «recadrer l’université». C’est complètement aberrant et déplacé que des politiques soient aussi impliqués dans cette question que nous avons adressée au rectorat de notre université. Leur intervention est délétère. Elle empêche une discussion entre membres de l’université.
Le souffle des manifestations pro-palestiniennes sur les campus suisses est un peu retombé. Les examens passent-ils avant la Palestine?
Le souffle des manifestations sur le campus a surtout changé de forme. Cette nouvelle phase n’exclut pas que nous nous remobilisions. Pour l’instant, nous n’avons pas obtenu ce que nous demandons: la justice. Une de nos grandes lignes, c’est de dire qu’il n’y a pas de paix sans justice et il n’y a pas de fin des mobilisations sans justice.
Qu’entendez-vous par là?
Nous estimons insuffisantes les réponses de la part de notre rectorat. Le dialogue est coupé. Nous restons en attente des mesures que la direction a déclaré prendre. L’objectif de notre mouvement, c’est le boycott académique des collaborations avec Israël. Des universités partout dans le monde, aussi en Europe, ont d’ailleurs déjà pris ces mesures justifiées.
David Vogel évoque la Chine, l’Iran. Pourquoi n’existe-t-il pas les mêmes rapports et la même mobilisation pour d’autres situations que la Palestine?
Cette question est une manière de se détourner de l’actualité que l’on dénonce. Toutes les universités sont détruites à Gaza. Le régime israélien est un régime d’apartheid, qui occupe le territoire palestinien depuis 76 ans et a déjà massacré 40’000 personnes. On ne nie pas l’existence d’autres situations horribles dans le monde. Mais il est impossible de se mobiliser pour tout. Actuellement, le sujet de la Palestine est pertinent. Parce qu’on est en train d’assister à ce massacre en direct.
Les résultats de votre mobilisation ne sont pas à la hauteur de vos revendications initiales…
Oui. Mais des commissions d’éthique vont être créées dans certaines universités, à la suite de nos mobilisations. Le fonds «Scholars at risk» (ndlr: réseau international de défense des droits humains des universitaires) sera remis en avant, à l’Université de Lausanne en tout cas. On pose une question de fond sur l’éthique de nos universités, qu’elles refusent de se poser. Cela concerne la Palestine aujourd’hui, mais les retombées de ces mouvements pourront ensuite profiter à d’autres situations humanitaires catastrophiques.
La Suisse qui ne reconnaît pas l’État de Palestine, c’est la honte selon vous?
Oui. Énormément de prises de parole et de positions du Conseil fédéral sont honteuses, tout simplement. Beaucoup de pays à travers le monde le font, et le Conseil fédéral aurait dû réagir. Notre collectif essaye de rester cohérent dans ses propos. Notre rapport porte sur les relations entre les universités, on ne se permet pas de déborder sur la géopolitique.
Justement, est-ce qu’il est nécessaire de dénoncer un enseignant qui pratique l’archéologie en collaboration avec une université israélienne? Sa pratique n’entre pas particulièrement en contact avec l’armée ou avec les agissements d’Israël…
Le domaine d’études ne nous importe pas. Nous dénonçons que les universités israéliennes, de par leur existence, leur manière de fonctionner et leur imbrication dans le régime israélien, sont complices et soutiennent l’effort génocidaire de l’État d’Israël.
Vous avez un exemple?
Typiquement, l’Université hébraïque de Jérusalem et des chercheurs d’autres institutions israéliennes vient de produire un rapport, présenté dans la presse comme scientifique et sans biais. Ce rapport se base sur les chiffres de l’armée israélienne. Il nie complètement la famine à Gaza, dénoncée par des organisations humanitaires internationales. Pour nous, c’est de la propagande en faveur du régime israélien. Il faut mettre fin au silence: l’État d’Israël tue les Palestiniens et Palestiniennes en les affamant.