«Tu mérites de te faire gicler du pays de mes ancêtres. T’es même pas Suisse, t’as vu ta gueule???!!! […] Pauvre demeuré.» «Sûrement un Pakistanais réfugié en Suisse.» «Heil Amit!» «Hey Amit — tiens, ça pourrait être un nom hébraïque — t’as envie de goûter à ma sucette circoncise?» «Peut-être qu’Amit est un homosexuel refoulé.» «[Sa pride s’est terminée] autrement que dans son pays.» «Gros, t’as une morphologie de phasme et sûrement la mentalité qui va avec. Les Suisses se passeront bien de ton avis.»
L'édito du rédacteur en chef de Blick Suisse romande
Lorsque, comme moi, on est journaliste en Suisse romande, ouvertement homosexuel, racisé et Suisse, qu’on prend des positions pro-minorités, qu’on se montre critique face au discours de l’Union démocratique du centre (UDC), qu'on mène des interviews jugées pro-palestiniennes ou qu'on révèle des informations perçues comme anti-police, les insultes pleuvent. Sur les réseaux sociaux, dans ma boîte mail.
Ligne rouge franchie
Très violents, les messages présentés en introduction du présent article — reçus entre 2021 et 2023 de différentes personnes, souvent anonymes — ne tombent cependant pas forcément sous le coup de la loi, d’avis de juristes. Mais parfois, la ligne rouge est franchie. Comme ce 18 février 2023.
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Ce jour-là, je signais un article traitant des résultats d’un sondage représentatif, réalisé en collaboration avec l’institut M.I.S Trend, sur la sexualité. Son titre correspondait aux résultats obtenus: «De plus en plus de Romandes et Romands s’adonnent au sexe homo!» Le papier était illustré par une image d’archives montrant deux hommes barbus, torse nu, s’embrassant sur la bouche lors de la pride de Madrid en 2018. Deux heures et demie après la publication ce samedi matin là, je reçois un mail.
Jours-amende, sursis et amende
Simple. Direct. Dont le contenu relève du Code pénal. «Arettez la propagande homosexuels vulgaires maudit pede! Envoyé de mon iPhone» (sic).
Ce 18 octobre, l’ordonnance pénale tombe. Le Ministère public genevois n’entre pas en matière sur la nature homophobe des propos. Pour que l’article 261bis du Code pénal puisse être invoqué, il faut que ceux-ci aient été tenus publiquement. En revanche, la procureure Séverine Stalder le «déclare […] coupable d’injure» pour l’usage du terme «pédé» et «le condamne à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à 70 francs (1400 francs) avec sursis pendant trois ans.
Mais «à titre de sanction immédiate», lui met une amende de 500 francs. L’auteur de l’insulte — au bénéfice d’une rente de 3000 francs par mois — doit également s’acquitter de 510 francs de frais de procédure. Il doit donc régler un montant de 1010 francs au total.
«Pas conscience de créer une injure»
Le retraité est naturalisé suisse, a vécu dans un pays d’Europe de l’Est jusqu’à ses 35 ans et vit plutôt chichement. Dans sa déposition, il s’étonne d’abord d’être convoqué pour le contenu d’un e-mail. Avant de se justifier. «Je n’avais pas conscience de créer une injure au moment décrire ce texte. S’il le faut, je veux m’excuser. Je ne pensais pas à mal, je ne visais pas directement ce monsieur.»
Mais alors, pourquoi avoir écrit ces mots? «Vous savez, il y avait une photo dans le Blick de deux hommes qui s’embrassaient sur la bouche et cela m’a choqué, a-t-il déclaré à la police. Je trouvais que c’était de la propagande et pas convenable.» Le lecteur l’assure pourtant: «Je n’ai rien contre les homosexuels». «Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, mais je suis contre la propagande. J’ai utilisé des mots inappropriés dans l’énervement. Encore une fois, je tiens à dire que je regrette et je m’excuse.»
«On ne peut plus rien dire»
Son objectif était clair: faire en sorte que le «rédacteur» ne publie plus ce genre d’images. «Je comprends que mon message est mal perçu […]. On ne peut plus rien dire aujourd’hui. J’insiste sur le fait qu’à aucun moment mon intention n’a été d’insulter M. Juillard. Je visais juste la propagande.»
Il précise qu’il ignorait tout de mon homosexualité, dont j’ai ouvertement parlé dans divers reportages et autres newsletters. Il l’assure à nouveau, il ne voulait pas m’injurier, mais exposé un point de vue général. Avant de conclure: «Après réflexion, […] je vais arrêter d’envoyer des mails comme cela. C’était un acte irréfléchi, sous le coup de la colère.» Il ne s’est pas opposé à la sanction. L’ordonnance pénale est donc définitive et exécutoire, en langage tout à fait juridique.
«Connard toxique»
Fin novembre, un utilisateur de X (ex-Twitter) m’a traité, dans un premier post, de «connard toxique» et de «petit fasciste de la pensée» après être «retombé» sur un «Temps présent» traitant de la «cancel culture» auquel j’avais participé. Puis, quelques jours plus tard, d'«antisémite communautariste islamistocollabo» qui reçoit des ordres de Gaza (et donc du Hamas). Et ce dans la foulée de la publication d’un scoop en lien avec l’affaire Mike Ben Peter, du nom du Nigérian mort après l’intervention musclée de six policiers lausannois. Une plainte a été déposée le 6 décembre.
Être journaliste, exposer ses opinions et sa vie privée, c’est se montrer vulnérable, c’est accepter la critique, c’est provoquer des réactions parfois fortes, des débats. C’est aussi ne pas se laisser bâillonner par les attaques illégales visant directement sa propre identité. Oh, tiens, un autre instantané de deux mâles qui échangent leur salive.