«Chers amis suisses, soyez raisonnables!» Tel est le résumé rapide du rapport sur les relations avec la Confédération que vient d’adopter le parlement européen ce mercredi 4 octobre, lors de sa session plénière à Strasbourg. Par 538 voix pour, 42 contre et 43 abstentions, une large majorité d’eurodéputés a souligné le vif intérêt de l’Union européenne à coopérer avec la Suisse en tant que «partenaire de même sensibilité sur les questions de paix, de sécurité, de droits de l’homme et de défense».
Mais attention: les réalités comptent. Les élus européens estiment que «la relation est actuellement déséquilibrée» entre leur ensemble de 450 millions d’habitants et la Suisse. Pour les eurodéputés, «un nouvel accord global est indispensable pour générer de la confiance et de la stabilité».
Raisonnable? Le terme sera sans doute médité par Alain Berset dans l’avion qui va le conduire jeudi 5 octobre à Grenade (Espagne) pour le troisième sommet de la Communauté politique européenne, ce vaste ensemble de 47 pays membres réunis autour des 27 États de l’Union. Le précédent avait eu lieu en juin à Chisinau, en Moldavie. Cette réunion n’a pas du tout pour but d’examiner les relations bilatérales entre la Suisse et l’UE. Restent que les sujets à l’agenda, sur la sécurité du continent, sont les mêmes que ceux évoqués par le parlement européen pour justifier une meilleure coopération avec la Suisse.
Or pour les eurodéputés qui devront approuver tout nouvel accord entre Berne et Bruxelles: «Le modèle actuel basé sur des accords bilatéraux individuels est dépassé. D’où la nécessité d’une relation modernisée, étayée par un accord ambitieux, qui réduirait les barrières commerciales et créerait des conditions de concurrence équitables pour les citoyens et les opérateurs économiques de l’UE».
Pour rappel, le Conseil fédéral réfléchit toujours à un mandat de négociation pour parvenir à des accords avec l’UE, à la suite de sa dénonciation unilatérale du projet d’accord-cadre le 26 mai 2021. Un tel mandat pourrait être donné au négociateur suisse Alexandre Fasel au plus tôt en fin d’année, après les élections fédérales du 22 octobre.
Est-ce suffisant pour rassurer Bruxelles? La réponse est non. «Nous regrettons la décision du Conseil fédéral suisse de mettre fin aux négociations sur le cadre institutionnel UE-Suisse en mai 2021», acte le rapport qui note aussi que «la relation entre l’UE et la Suisse est actuellement déséquilibrée, les citoyens et les entreprises étant affectés par l’absence d’une relation structurelle. De nombreux accords doivent être révisés pour assurer la sécurité juridique et pour consolider et développer les relations entre l’UE et la Suisse.»
Les députés européens appellent enfin la Confédération à «appliquer uniformément les règles de l’UE et à se conformer aux obligations découlant des différents accords, en particulier en ce qui concerne les travailleurs détachés» peut-on lire dans le rapport préparé par le conservateur autrichien Lukas Mandl. Autant dire que le message est clair de la part de celui considéré comme un ami par les Helvètes: La Suisse est priée de s’aligner!
Ce rapport n’a pas de valeur diplomatique. C’est avec la Commission européenne que Berne négocie et «explore». Reste que les eurodéputés font pression: «Ce rapport témoigne d’une vision plus large des opportunités communes pour l’UE et la Suisse», explique Lukas Mandl. «Par le passé, des opportunités dans les domaines de la géopolitique et de la sécurité ont été manquées et celles dans la recherche et l’innovation ont été sous-estimées. Dans le nouvel ordre géopolitique, l’UE et la Suisse auront plus que jamais besoin l’une de l’autre.» La neutralité helvétique est de nouveau soumise à un rude questionnement. La Suisse, selon ce texte, doit reprendre les sanctions de l’UE comme elle l’a fait pour la Russie, mais pas pour la Chine.
Raisonnables les Suisses? A la veille d’une nouvelle réunion de la Communauté politique européenne, la question qui se pose est surtout: de quels leviers dispose Berne pour faire en sorte que ses voisins européens et leurs centaines de milliers de frontaliers, acceptent une fois encore, de lui ménager un statut particulier?