Alors qu'approche la redoutable saison des «bonnes résolutions», nous sommes probablement nombreuses et nombreux à se faire une promesse annuelle: celle de moins scroller et d'investir ce temps gagné dans des hobbies plus «productifs».
D'après notre sondage représentatif réalisé en collaboration avec l’institut M.I.S Trend au mois d'octobre 2024, 45% des Romandes et Romands se disent «assez dépendants» à leur téléphone portable, contre 24% «très dépendants» et 26% «peu dépendants». Seuls 5% des sondés ne se sentent «pas du tout dépendants».
À noter que 64% de la population se demande «souvent» ou «parfois» si une vie dépourvue de smartphone ne serait pas plus heureuse et épanouissante. Dans ce sens, il ne semble pas étonnant qu'on s'auto-flagelle après avoir perdu quinze (ou cinquante) minutes à scroller sur Instagram, au point de perdre l'habitude de lire un livre ou de regarder un film jusqu'au bout.
Mais pour Niels Weber, psychologue et psychothérapeute FSP spécialisé en hyperconnectivité, il ne faudrait pas forcément bannir complètement le smartphone pour modifier notre lien à cet objet et les habitudes qu'il entraîne.
Éviter de se culpabiliser
La «dépendance» au smartphone (ou la «nomophobie») est le terme qu'on emploie généralement pour qualifier les gestes machinaux qui invitent cet outil dans la plupart de nos actions quotidiennes. En attendant que le feu passe au vert devant le passage piéton, on scrolle. Pendant que notre compagnon de café se rend aux toilettes, on scrolle. Et c'est devenu tellement normal qu'on se qualifie facilement d'«accro»., avec une pointe de culpabilité. Or, la «nomophobie» n'est actuellement pas reconnue en tant que diagnostic clinique.
«Ces termes sont trompeurs, car ils sont initialement associés à l’alcool ou à la drogue, alors qu'on n’est pas dans le même registre, estime Niels Weber. On n’est pas addict au smartphone, mais son utilisation est ancrée dans une habitude très puissante et révèle des choses sur notre fonctionnement ou nos craintes. Puisqu’il est si présent dans notre quotidien, il reflète automatiquement nos angoisses et nos vies. Mais le seul usage du téléphone n’est pas une pathologie en soi.»
En d'autres termes, l'expert constate que le smartphone reflète surtout le mode de fonctionnement de notre société anxiogène. Nos fragilités peuvent ainsi être révélées ou exacerbées par nos habitudes numériques, mais réduire notre temps de «scrolling» ne pourra pas nécessairement régler tous nos soucis: souvent, le réel problème est plus profond.
Se poser les bonnes questions
Si vous avez cliqué sur cet article, vous vous interrogez sans doute quant à votre utilisation de votre smartphone: mes habitudes sont-elles saines? Suis-je accro? Est-ce que je me grille le cerveau à force de scroller sur Tik Tok..?
Niels Weber se montre rassurant: «Avant tout, il faut se demander si ces habitudes, ces comportements liés au téléphone nous posent vraiment un problème, suggère-t-il. On peut déjà y réfléchir pour soi-même, sans jugement moral, sans se laisser influencer par l’injonction sociale à moins scroller. Est-ce que ces habitudes nous empêchent de dormir? Est-ce qu’elles impactent nos relations? Est-ce qu’elles nous rendent malheureux? Si la réponse est 'non', il n’y a pas forcément de problème.»
Interroger nos habitudes numériques
Par contre, si vous ressentez que les réflexes créés par votre smartphone entravent vos relations, certaines passions ou hobbies, et que vous en souffrez, il faut plutôt se demander pourquoi il vous est si difficile d'abandonner les distractions offertes par cet outil. Cherchez-vous à fuir l'ennui, vos pensées, vos soucis, une situation en particulier...?
Si l'on se rend compte qu'on plonge dans des univers virtuels (réseaux sociaux, jeux vidéo...) dans le but d'échapper à un certain mal-être ou d'oublier nos émotions désagréables, Niels Weber conseille de prendre ce constat très au sérieux et consulter un ou une thérapeute au plus vite, afin d'identifier et régler le problème de fond.
«C’est aussi pour cela que l’idée de dépendance n’est pas bonne, pointe-t-il. Elle nous rend passifs, nous ôte toute marge de manœuvre, alors que le téléphone peut justement révéler ces difficultés, nous aider à en prendre conscience, puis à agir!»
Observer notre style d'attachement
Notre sondage révélait également que 42% des Romandes et Romands craindraient principalement de perdre leurs relations interpersonnelles, s'ils et elles devaient se passer de leur smartphone. Pour notre expert, cela peut constituer un indicateur essentiel:
«Si toute notre sécurité relationnelle passe par un objet, cela révèle un souci de confiance en nous, analyse-t-il. On peut comparer cela aux petites flammes qui apparaissent sur l’écran, lorsqu’on s’envoie beaucoup de messages sur Snapchat.» Pour rappel, cette représentation graphique symbolise les efforts fournis pour maintenir l’échange, comme si on remettait des bûches dans la cheminée pour entretenir la flamme. «Quand on perd ces flammes, on peut craindre que l’autre se dise qu’on a négligé la relation et, par conséquent, on a peur de perdre le lien. Si on reconnaît cette crainte, on peut se demander d’où vient cette pression. Cela peut effectivement révéler une fragilité plus profonde.»
Or, si les flammes ne portent pas d’enjeux majeurs et qu’on trouve juste cela amusant, le psychologue estime il n’y a pas de réel souci. Tant qu'on n'en souffre pas, que notre quotidien garde un bon équilibre, il n'est pas nécessaire de s'alarmer. Voilà, il ne vous reste plus qu'à revoir – ou allonger – votre liste de bonnes résolutions!