Derrière Marco Odermatt qui attire évidemment la lumière, les lauriers et les louanges, Loïc Meillard trace son ski. Alors qu’il ne reste que quatre courses à disputer, lors des finales de Saalbach, le skieur d’Hérémence n’a jamais paru aussi solide, aussi fort. Si tout se passe bien en Autriche, le Valaisan devrait terminer deuxième du classement général derrière son compatriote, pour un doublé historique pour le ski suisse.
Il s’agirait alors d’un accomplissement mais pas d’une fin en soi pour l’athlète de 27 ans, que certains comparent volontiers à Stan Wawrinka, qui a vécu toute sa carrière dans l’ombre de Roger Federer. Loïc Meillard en rigole, fier du chemin parcouru jusqu’ici. Car il se veut résolument ambitieux. Interview.
Loïc Meillard, il y a deux semaines vous avez remporté le slalom d’Aspen et terminé deuxième lors des deux géants disputés. Avec le recul, comme décririez-vous ce week-end dans le Colorado?
C’était exceptionnel. Avec de tels résultats, il était difficile de faire mieux. Je me suis immédiatement senti à l’aise sur cette neige américaine. J’avais le sentiment que mon ski revenait gentiment, que tout se mettait en place et j’ai pu le prouver lors de ces trois jours de courses.
Vous réalisez une fin de saison complètement folle avec cinq podiums lors des neuf dernières courses auxquelles vous avez pris part et ce, dans trois disciplines différentes. On a l’impression que vous être dans la forme de votre vie, non?
C’est clair. Mais j’ai plutôt l’impression que cette fin de saison se déroule de la façon dont je l’avais imaginée au départ. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme prévu au début de l’hiver.
Après ce début de saison qui ne répondait pas à vos attentes, avez-vous vécu ce déclic au mois de février comme un soulagement?
Je ne sais pas si on peut parler de soulagement. Mais c’est la preuve qu’on travaillait correctement et que l’on se trouvait sur le bon chemin. Cela démontre également que tout ne peut fonctionner comme attendu, mais cela ne veut pas dire non plus qu’il ne faut pas persévérer à aller dans la direction dans laquelle nous voulions aller. Nous avons continué à croire en notre projet en général et il était nécessaire surtout de reprendre confiance. Celle-ci peut se perdre en deux courses, mais pour la retrouver, il en faut dix derrière. C’est toujours plus facile à dire qu’à faire. Et malgré quelques bons résultats ici ou là, il est important de prendre le temps, de faire des kilomètres, de se sentir vraiment à l’aise. Après, tout s’est mis en place au bon moment, nous sommes parvenus à enchaîner en utilisant notamment l’expérience accumulée ces dernières années pour, en fin de compte, ne pas être sur le podium juste un jour, mais chaque jour.
Comment expliquez-vous les deux visages que vous avec montrés cet hiver?
Avec le matériel que j’avais aux pieds, je savais que je pouvais gagner des courses. Je l’avais déjà démontré par le passé, ce n’était donc pas la question. Le problème est venu avec le nouveau projet de fixations cette année, car tout ne s’est pas passé comme prévu (ndlr: Loïc Meillard a notamment perdu deux fois un ski en course, à Sölden et à Adelboden). Cela fait partie du métier. Ce n’était pas facile et je ne vais pas mentir, à une certaine période, c’était très dur mentalement. Mais je suis peut-être parvenu à accepter le fait que cela ne se passe pas forcément comme souhaité, alors que j’avais des grosses attentes. On tombe vite de haut et c’est là que ça fait un peu mal. Après, je suis conscient que ce que Marco (Odermatt) réalise est hors du commun. Il ne faut pas prendre cela comme une référence. Parfois, il ne faut pas oublier que terminer 4e ou 5e, sachant que c’est le meilleur résultat que l’on peut espérer compte tenu de la forme du moment, du parcours, des conditions, c’est bien également. Mais être à nouveau là, sur le podium en cette fin de saison, être tout devant tous les week-ends, être au départ d’une course avec le sentiment de pouvoir jouer la victoire, c’était l’objectif. Et désormais, j’arrive à mettre en place tout ce que j’avais imaginé.
Il est fort probable que vous terminiez pour la première fois de votre carrière sur le podium du classement général.
Si on m’avait dit à mi-janvier que j’allais me battre pour le podium du général et dans deux disciplines (ndlr: il est aussi 3e en géant et en slalom)… On en a encore discuté avec Julien (Vuignier, son entraîneur) avant ces finales, je lui ai rappelé qu’en janvier, j’avais tout effacé. Ce n’était alors de loin pas un objectif. Cependant, c’est la conséquence d’être constant tout un hiver, à performer week-end après week-end. Et je ne pense pas que c’était le cas cette saison (rires)... Mais mes bonnes dernières semaines me permettent de me retrouver dans cette situation.
Savez-vous que vous ne seriez que le quatrième skieur romand après Lise-Marie Morerod, Roland Collombin et Didier Cuche à terminer sur le podium du classement général. C’est fou quand on y pense!
Vous me l’apprenez (rires). Réussir à être sur le podium du général, c’est quelque chose d’exceptionnel! Cela fait plaisir de se battre jusqu’au bout pour les médailles de ce classement, mais ce n’est pas une fin en soi. Encore une fois, c’est la conséquence des bons résultats, du bon travail.
Existe-il une part de frustration parfois, lorsque l’on songe justement que vous vous retrouvez deuxième derrière un extraterrestre, comme vous le dites, en la personne de Marco Odermatt qui s’accapare les Globes? Que, peut-être, vous n’avez pas toute la médiatisation ou la reconnaissance que vous mériteriez?
En tant qu’athlète, c’est une chance et une malchance d’avoir un gars comme Marco. La chance, c’est qu’il tire le sport vers l’avant, il bat des records, il amène une population qui suit notre discipline et on peut lui en être reconnaissant. Et cela nous pousse à travailler encore plus dur pour essayer d’aller le titiller. Après, c’est une malchance, car des fois on se demande comment est-ce possible? On travaille tous très dur, mais il n’y a pas un athlète qui a ce niveau-là, qui ne bosse pas, qui ne donne pas le meilleur de soi-même pour y arriver. Marco, avec la confiance qu’il a en ce moment, peut se permettre des choses, des fautes que nous autres athlètes ne pouvons faire. Et parfois, c’est frustrant.
Certaines personnes aiment vous comparer à Stan Wawrinka qui performait souvent dans l’ombre de Roger Federer alors que ce dernier prenait presque toute la lumière. Cela ne vous énerve-t-il pas?
Honnêtement, je m’en fiche pas mal. Je l’ai déjà dit, mais Wawrinka a une carrière exceptionnelle. Énormément de tennismen auraient aimé avoir la carrière de Stan. Ce n’est pas parce qu’il a eu moins de résultats, qu’il a remporté moins de tournois, qu’il n’a pas eu une carrière exceptionnelle, que ce n’est pas un super gars, qu’il ne peut pas en profiter. Chacun a son niveau, chacun donne le meilleur de soi-même et on atteint ce que l’on peut atteindre.
Toujours est-il qu’avec Marco Odermatt, vos coéquipiers, Lara Gut-Behrami et les autres athlètes, vous faites partie d’une génération dorée du ski helvète. Êtes-vous conscients que vous être en train de marquer l’histoire du sport suisse?
On s’en rend surtout compte en discutant avec des gens qui nous disent qu’ils ont de plus en plus tendance à se retrouver entre amis le samedi et le dimanche pour regarder les courses et ensuite manger ensemble. Réussir à procurer des émotions à tout un peuple, à les faire regarder à nouveau notre sport, qu’ils aient du plaisir à le faire, c’est assez fantastique.