Allo le Comité International Olympique (CIO)? Allo Lausanne? Certains, au sein du comité d’organisation des JO 2024 à Paris, commencent à se demander s’ils ne devraient pas décrocher leur téléphone pour joindre, au bord du Léman, les plus hautes autorités de l’Olympisme.
Motif? Les mauvaises nouvelles s’accumulent autour de la reine des compétitions dont il est encore bien difficile, pour tout visiteur étranger dans la capitale française, de percevoir la future présence. Aucune débauche de publicité. Aucune ferveur populaire à cinq mois de la cérémonie d’ouverture des Jeux sur la Seine, le 26 juillet. Et voilà que maintenant, le président du comité français, l’ancien triple médaillé d’or de Canoë Tony Estanguet, est sous enquête du parquet national financier!
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Tony Estanguet est pourtant au four et au moulin. Il est peut-être le seul, d’ailleurs, à être habité par l’envie folle d’accueillir cette année ces JO dans la capitale française, en particulier sur le site de Saint-Denis, au nord de Paris. La maire socialiste de la première ville de France, Anne Hidalgo, multiplie pour sa part les colères et les rebuffades, jouant des coudes pour préserver son pouvoir municipal.
La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse (droite, Les Républicains) est, elle, aux abonnés absents sur le plan médiatique, consciente des difficultés attendues dans le domaine qui la concerne le plus: les transports urbains, malgré les chantiers du «Grand Paris Express» qui desservira 68 nouvelles gares.
Tout passe par Tony
Tout passe donc par Tony, l’homme-orchestre, reconnaissable à sa fine barbe, à ses t-shirts noirs et à son sourire qui ne fane jamais. Sauf que l’intéressé est peut-être en train de voir sa bonne étoile pâlir. Selon l’Agence France Presse, la justice financière s’intéresse de près à une société qu’il a créée, et qui facture des prestations au comité d’organisation. La «réalité et la qualité» de celles-ci intriguent les enquêteurs.
Le problème est que cette enquête judiciaire, à laquelle Tony Estanguet a bien sûr promis de répondre, pose des questions qui passent mal dans l’opinion, et auprès du gouvernement. Le triple médaillé d’or de canoë slalom a en effet de solides détracteurs au sein de la haute administration.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a ainsi plusieurs fois regretté que des membres du comité d’organisation olympique français (le COJOP, au budget de 4,4 milliards d’euros) déplorent des «violences policières» et critiquent les forces de l’ordre.
Un infatigable porteur de flamme
Estanguet, qui a perçu une rémunération annuelle de 270'000 euros jusqu’en 2020, selon des chiffres anciens cités par France Info, a été membre du Comité international olympique de 2013 à 2021. Il fut, tout le monde le reconnaît, un infatigable porteur de la flamme française, jusqu’à l’attribution des JO à Paris en 2017 à Lima (Pérou) à l’unanimité.
Mais depuis, son leadership est questionné. Il manque de poids politique. Il n’a jamais mis les pieds dans le plat pour dénoncer les inquiétants problèmes tels les risques sécuritaires liés au choix d’une cérémonie d’ouverture sur la Seine, les dysfonctionnements des transports en commun, les difficultés à recruter des sociétés de sécurité privées, les difficultés d’hébergement rencontrées par les 45 000 volontaires, dont le COJO ne prend pas les frais de logement en charge…
Cité par «Le Monde», le délégué interministériel aux JO, c’est-à-dire l’interlocuteur principal coté gouvernement, a reconnu le malaise: «Il y a des contraintes de coût d’hébergement, c’est une réalité, je ne la nie pas (...) Mais pour les volontaires, elle était posée dès le départ et acceptée par eux, avec l’envie de participer à quelque chose qui, pour eux, n’a pas de prix. Ils savaient qu’ils ne seraient ni payés ni hébergés, à part quelques milliers d’entre eux.»
Quel motif pour ces factures?
Les factures payées à Tony Estanguet via sa société sont-elles seulement la conséquence de son statut de travailleur indépendant? Ou bien un moyen de détourner l’encadrement de sa rémunération, pour augmenter ses revenus et lui permettre de dépasser un plafond légal? Ou bien, ce qui poserait un énorme problème dans ses rapports avec la puissance publique, une façon de payer moins d’impôts, dans une France où un salaire mensuel de 20'000 euros est taxé à plus de 40%?
Le COJOP promet que toutes ces prestations ont fait l’objet d’un audit indépendant. Et pendant ce temps-là, la ferveur sportive et populaire se fait toujours attendre dans les rues de Paris, qui sera la ville lumière du sport mondial entre le 26 juillet et le 11 août, puis entre le 28 août et le 8 septembre pour les Jeux paralympiques.