Lorsque l’on dit que Chris DiDomenico a les clés d’une série, c’est peut-être plus vrai que pour n’importe quel autre joueur de la ligue. Le Canadien de Fribourg Gottéron a fait basculer celle face à Lausanne avec des prestations impressionnantes, surtout lors des actes IV et V. Auparavant, il avait failli coûter cher aux Dragons avec une pénalité de frustration en prolongation lors du troisième match, qui n’a finalement pas eu de conséquence.
Mais au fait, quel est le vrai Chris DiDomenico? Celui qui se regarde les patins en répondant aux interviews et ne semble jamais avoir envie de parler ou le blagueur qui tire les oreilles de ses coéquipiers ou les embête lorsque ceux-ci sont eux-mêmes face aux journalistes? Depuis son arrivée sur les bords de la Sarine voici deux saisons, il n’a jamais été vraiment possible de cerner le personnage. Introverti dans les couloirs de la BCF Arena, il se transforme en agitateur et en harangueur de foule sur la glace.
Pour tenter (enfin) de le comprendre, il faut parler aux gens qui le connaissent le mieux. Ceux qui l’ont accompagné durant une partie de sa carrière. Florilège d’avis — unanimes et dithyrambiques — sur Chris DiDomenico.
Jörg Reber, directeur sportif qui l’a fait venir à Langnau:
«C’est un joueur de NHL qui évolue en Suisse»
«Je m’occupais de la relève de Langnau et Christophe Bärtschi, un employé du bureau, m’a fait une liste de joueurs étrangers pouvant nous renforcer. Nous avions besoin d’un attaquant dominant et le nom de Chris DiDomenico était sur la liste. Nous avons analysé ses matches et décidé que c’était lui qu’il nous fallait. Il évoluait en Italie, à Asiago. Nous ne sommes pas allés le voir sur place, mais nous avions suffisamment d’informations pour être sûrs de notre choix.
Les premiers contacts ont été très bons. C’est une personne qui a les pieds sur terre. Peut-être un peu en retrait, mais rien de bien particulier. En somme, je le décrirais comme un hockeyeur normal. Je n’ai jamais eu de problème avec lui pour communiquer. Nous parlions souvent. Bien sûr, certaines discussions étaient moins plaisantes que d’autres. Mais je crois que, généralement, notre relation était bonne.
Dès qu’il est arrivé à Langnau, nous avons vu à quel point c’était un joueur avec une mentalité incroyable. Ce qui m’a le plus impressionné? Sa capacité à endosser des responsabilités dans des moments chauds. Il y a certains joueurs qui ont peur de la pression. Qui vont avoir tendance à se cacher en fin de match pour ne surtout pas faire d’erreur. Lui, c’était tout l’inverse. Plus le match était serré et plus il voulait en faire pour aider l’équipe à avoir du succès. Et c’était parfois trop. Mais on ne peut pas en vouloir à un joueur qui en fait trop pour aider son équipe à gagner. Il faut apprendre à le canaliser.
Lorsqu’il nous a demandé l’autorisation de quitter Langnau, j’ai accepté. C’était une chance pour lui et je suis même allé le voir à Stockholm pour un match entre Ottawa et Colorado. Sur la glace, il a l’intelligence nécessaire et globalement le niveau pour évoluer en NHL. On pourrait se demander si physiquement il en est capable, mais je pense que oui. C’est un joueur de NHL qui évolue en Suisse.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas surpris de le voir évoluer à ce niveau. J’ai aimé sa personnalité et ce qu’il nous a apporté à Langnau. Je l’aime car il a un grand cœur et une volonté qu’il est rare de voir aujourd’hui. Il est tout simplement incroyable et ce n’est pas un hasard si les fans l’ont tant aimé.
Lorsqu’il a voulu revenir à Langnau depuis la NHL, beaucoup m’ont conseillé de refuser. Mais pour moi c’était une évidence de l’accueillir à bras ouverts.»
Christian Dubé, entraîneur durant deux saisons:
«L’an dernier, il voulait trop en faire»
«Après le troisième match où il prend cette pénalité en prolongation, il n’a pas eu le choix et a dû montrer un autre visage. Nous avons eu des discours à l’interne comme durant toute la saison. On a été honnête avec les gars. Je lui ai dit que j’avais besoin de lui sur la glace et qu’il ne me servait à rien sur le banc de pénalité ou dans les gradins. C’est un bon type qui veut gagner et je crois que les gars autour de lui ont également fait un bon travail en lui parlant. Une équipe, ce n’est pas seulement un coach. Il a dû comprendre qu’on n’est pas une équipe que d’un joueur. Ce n’est pas parce que tu t’appelles «DiDo» que je ne peux pas te mettre dans les gradins. Le message a bien passé et je suis satisfait de la manière dont il a répondu sur la glace.
Ma relation avec lui est excellente. C’est sûr que lorsqu’il est arrivé, je ne le connaissais pas trop. Il s’est bien tenu à carreau. Cette année, je trouve que cela s’est plutôt bien passé. Quelques petits coups de gueule ici et là, mais rien de bien spécial. Il a fait ses deux meilleures saisons en carrière avec nous. C’est un signe de maturité et d’investissement de sa part.
L’an dernier il avait été très mauvais lors des play-off et cette année il a fait la différence lors de la première série. Je suis très content de son évolution. C’est pour cela que nous l’avions engagé. Pourquoi il est meilleur cette année que la saison dernière? Dans son cas, c’est surtout lié à sa gestion des émotions. Je le connaissais pour l’avoir entraîné durant toute l’année, mais je ne l’avais jamais eu en play-off. Il voulait être partout sur la glace. Ça le rendait frustré. Il parlait sans arrêt. Cette année, je savais mieux comme il était et donc nous avons parlé du problème assez rapidement. Ce qui s’est passé l’an dernier ne pouvait pas se reproduire.»
Damiano Ciaccio, coéquipier durant cinq saisons à Langnau:
«C’est un gars que tu veux avoir dans ton vestiaire»
«Lors de ma dernière année à Langnau, j’avais remis mon appartement et vivais à Neuchâtel. Je faisais donc les trajets. Mais «DiDo» m’a proposé une colocation puisqu’il avait un grand appartement pour lui tout seul. Cela résume finalement assez bien qui il est, je trouve. C’est un bon vivant qui aime bien rigoler. Il fait sans arrêt des blagues. Mais c’est également quelqu’un de très intéressé. Il suit tout ce qui se passe. Il est même incollable sur le foot. On ne pense pas forcément cela de lui de l’extérieur, non? (rires) Mais je vois également sa manière de répondre aux interviews. Je crois que ce n’est pas un gars qui veut tant parler.
Lorsque Fribourg l’a contacté, je vivais justement chez lui et on a beaucoup discuté. Il était très hésitant, car il savait ce qu’il avait à Langnau et ne savait pas ce qui allait l’attendre à Gottéron. Pour y avoir joué, j’ai pu le rassurer. Et surtout, je lui ai dit qu’avec tout ce qu’il avait apporté à Langnau, il pourrait revenir quand il le voulait ou presque.
Au niveau du jeu, je l’avais déjà affronté en Swiss League avec Chaux-de-Fonds. Il faisait la différence à lui tout seul. Je ne sais pas si on se rend bien compte que le gars est passé de deuxième division à la NHL en un rien de temps. Lorsqu’il a quitté Langnau pour Ottawa, c’était une grosse histoire, mais il a eu raison. S’il avait souvent des coups de sang en Swiss League, c’est aussi parce que les adversaires n’avaient aucune autre façon de l’arrêter que de lui mettre des coups sur les poignets durant tout le match. Au bout d’un moment, il en avait marre.
À Fribourg, c’est tout de même bien différent. Tu sens que Christian Dubé et le staff savaient ce qu’ils faisaient en l’engageant. À Langnau, l’attention des fans et des médias était tellement focalisée sur lui qu’à chaque mauvais match de sa part, c’était presque uniquement de sa faute si on perdait. À Fribourg, ce n’est pas le cas. Et c’est peut-être pour cela qu’il est aussi bon. Pour moi, il est encore meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était à Langnau. Comme c’est un gars qui bonifie sans cesse ses coéquipiers, si les gars autour de lui sont meilleurs, il va encore être plus dominant. Et on l’a vu durant la série contre Lausanne.
Mentalement, on peut croire qu’il craque souvent. Mais ce n’est pas le cas. Je ne suis pas d’accord avec cette appréciation. C’est juste un gars qui veut gagner. Il est très très fort mentalement. Il vit les choses à fond. Pour moi, c’est un des trois meilleurs étrangers de la ligue. Il a une capacité à donner toujours le puck dans le meilleur timing. C’est ce qui fait sa force. Et lorsque les émotions augmentent, cela le rend encore meilleur. Vous avez vu sa célébration lors du 5e match contre Lausanne? Il se nourrit de ça.»
Anthony Huguenin, ancien coéquipier à Langnau:
«C’est une horreur de l’affronter»
«Commençons déjà par dire une chose. Jouer contre lui, c’est une horreur. Vous vous imaginez bien, mais c’est encore pire que ça. Mais dès que j’ai été transféré à Langnau, j’ai accroché directement avec lui. Dans le vestiaire, il parle fort. Il embête tout le monde. Bref, il met de la vie. C’est également mon style, donc on a finalement passé beaucoup de temps ensemble.
Je trouve qu’il dégage une fausse image. Oui, sur la glace c’est un sanguin. Mais c’est juste quelqu’un qui n’accepte pas la défaite. Il va être prêt à tout pour gagner. Des fois, c’est vrai que cela monte un peu haut dans les tours et il pète un câble. Mais il redescend tout aussi vite et se calme aussitôt. J’ai trouvé que c’était un coéquipier incroyable. Il a toujours mis un point d’honneur à défendre l’équipe. Il a pris une ou deux pénalités de match et des amendes à cause de moi car il était venu me défendre (rires).
Sur le banc lorsqu’il sort de son match, tu peux essayer de lui parler, mais c’est quand même compliqué. «DiDo», c’est un têtu. Mais ce qui est bien avec lui, c’est que tu peux t’engueuler avec et cinq minutes plus tard, c’est terminé et la relation continue comme avant. Pour résumer, j’ai adoré jouer avec lui car c’est un bon joueur, un bon gars et c’est devenu un bon ami. Il est gentil. Très généreux. Je sais que cela peut surprendre quand on ne le connaît pas. Mais son personnage sur la glace est bien différent de celui qu’il est vraiment.
Depuis qu’il est à Fribourg et que je l’affronte, je trouve qu’il a tout de même changé. Cela se voit sur la qualité de sa saison. Il prend moins de pénalités. Beaucoup moins même. J’ai vraiment l’impression qu’il se plaît là-bas et que les gars l’apprécient. Cela se voit sur la glace. Tu as besoin d’hommes comme lui dans le vestiaire. J’étais présent à Fribourg lors du cinquième et dernier match face à Lausanne. Il s’est parfaitement contenu et a fait la différence sur le power-play avec Desharnais et Kiki (ndlr: Mottet).»
Aurélien Marti, joueur du Lausanne HC et adversaire en quart de finale:
«Quand tu le checkes, il te rit au nez»
«Avant cette série entre Fribourg et Lausanne, tout le monde avait l’impression qu’ils n’allaient pas savoir jouer physique et qu’on allait faire la différence sur ce point. Mais il y a un point qui est souvent oublié. Tu ne peux pas faire n’importe quoi sur la glace, juste pour jouer physique. DiDomenico, c’est un joueur qui a énormément de talent. Il peut te déborder en vitesse ou coupe sur le centre à n’importe quel moment. Ce n’est pas possible de se dire «c’est bon, je le défonce» et de le charger. Si tu te mets dans une mauvaise position, c’est un cadeau pour lui. Il est vraiment très difficile à affronter car il n’est pas très grand et léger. Cela lui permet de t’éviter et de te dribbler assez facilement.
Mais je dois dire que j’aime ce genre de duels. C’est un challenge et il te pousse à devenir meilleur. Lorsque je pouvais, j’essayais évidemment. Pendant cette série, c’est vrai que l’on a souvent été opposés. Il n’y a pas eu trop d’insultes ou de mauvais coup. On savait aussi que s’il mettait un gros check, il n’allait pas se battre. Il y a tellement eu de polémiques autour de lui — notamment à cause du dernier match de saison régulière à Lausanne où il a pris une pénalité de match — que tout le monde pensait qu’il allait péter un câble. Mais je connais un peu Christian (ndlr: Dubé) et je savais qu’il allait savoir le calmer en lui faisant comprendre qu’il avait besoin de lui autrement.
Mais c’est vrai que si cela ne va pas dans son sens, il peut vite sortir du match. Problème? Hormis le match No 2, c’est globalement allé dans son sens. S’il mène, il n’emmerde pas trop et fait son truc (rires). Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup, mais lui, c’est vrai qu’il a tendance à être énervant parfois. Il te nargue sans arrêt. Si tu le checkes, il te rit au nez et te dit qu’il n’a rien senti. Ce n’est pas le seul à faire ça, mais je pense qu’il aime ces émotions. À la fin de la série, on s’est félicités et je lui ai souhaité bonne chance.»