L’appel au boycott de la Coupe du monde est-il efficace? Après cinq jours de compétition, que disent les audiences? Nous avons posé ces questions à la RTS. Et, le moins qu’on puisse dire, c’est que les prises de position enjoignant à détourner le regard de cette compétition au Qatar semblent peu suivies.
Avant de passer la parole à Massimo Lorenzi, rédacteur en chef de RTSsport, plongeons dans les données. Lors du match d’ouverture Qatar-Equateur, ce dimanche 20 novembre à 17h, environ 126’000 personnes étaient devant leur télévision. Pour une part de marché de 34%. Durant le match d’ouverture de la précédente édition, qui voyait s’affronter la Russie et l’Arabie saoudite, le jeudi 14 juin 2018 à 17h, 96’000 spectatrices et spectateurs étaient recensés. Ce qui représentait une part de marché de 42,2%.
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Quid du premier match de la Suisse, ce jeudi 24 novembre à 11h, face au Cameroun? La RTS avance le nombre de 178’000 personnes — en moyenne — devant leur télé (73,4% de part de marché). En ligne, sur Play RTS, 70’000 connections simultanées ont été dénombrées.
C’est moins que le 17 juin 2018, à 20h, lorsque la Suisse défiait le Brésil. On comptait alors 528’000 spectatrices et spectateurs TV et 30’000 connexions simultanées. Part de marché: 65,8%. «En considérant tous les matches diffusés depuis dimanche dernier, nous constatons que l’audience du site et de l’app RTS Play TV sont en augmentation par rapport à 2018, tandis que l’audience TV est en légère baisse», analyse Christophe Minder, porte-parole de la RTS.
Plus de monde devant sa télé à 20h
Toujours selon le communicant, cette tendance s’explique essentiellement par l’horaire des rencontres. Celles diffusées à 11h ou à 14h en semaine génèrent des audiences TV beaucoup plus faibles que si elles étaient diffusées vers 20h, lorsque la plupart des gens sont à leur domicile. A contrario, c’est lorsque les matches sont diffusés en pleine journée et en semaine que le site et l’application Play RTS génèrent les meilleures audiences.
«Concernant les appels au boycott, nous n’en observons pour l’heure pas les effets sur nos audiences, mais il est encore trop tôt, après seulement cinq jours de compétition, pour tirer de véritables enseignements à ce sujet», précise-t-il. Qu’en pense Massimo Lorenzi, qui s’est montré très critique à l’égard de la FIFA et du pays hôte? Peut-on encore jubiler devant un match de foot dans ces conditions? Interview.
Massimo Lorenzi, vous vous attendiez à ce que vos audiences restent aussi bonnes, malgré les polémiques?
Je n’avais aucun a priori, mais j’étais curieux. Dans les nombreux retours que j’ai eus, que ce soit par écrit ou par oral, beaucoup de personnes me disaient qu’elles ne regarderaient aucun match. Je me demandais donc si cela se vérifierait. Nous ne sommes qu’au tout début de la compétition, mais ce n’est visiblement pas le cas. On ne constate pas, à ce stade, de boycott de la Coupe du monde en Suisse romande.
Comment l’expliquez-vous?
Il faudrait demander à un ou une spécialiste de nos comportements, ce que je ne suis pas. Mais peut-être qu’il y a un décalage entre la déclaration d’intention publique et la manière d’agir une fois qu’on est seul chez soi.
Les audiences impactent la manière dont vous faites votre travail?
Non, elles ne changent pas l’application qu’on met dans notre couverture de la Coupe du monde. Durant le direct, on ne peut pas faire grand-chose si ce n’est travailler le mieux possible. Par contre, si personne ne regardait en deuxième partie de soirée notre émission «Au Cœur du Mondial», on se demanderait certainement ce qu’on fait de faux. Mais, en l’état, les soirées sur RTS Deux sont appréciées par le public.
Lundi, sur le plateau du «12h45», vous avez taclé la FIFA et le pays hôte. Vous arrivez quand même à vous réjouir du fait que la Coupe du monde soit très suivie par nos compatriotes?
J’ai critiqué les valeurs portées par le Qatar et Gianni Infantino, qui nous avait promis un festival des libertés. On en est très, très loin. Et c’est ce que j’ai dit. Je ne suis pas un militant: je suis «simplement» déçu en tant qu’être humain. Maintenant, je vais être sincère avec vous: votre question ne se pose pas dans mon quotidien. Je fais mon travail, je suis payé pour. J’ai des états d’âme, mais je n’influence pas ma rédaction. Vous pouvez interroger qui vous voulez, tout le monde vous le confirmera!
Ce n’est pas qu’en Suisse romande que les appels au boycott de la Coupe du monde au Qatar ne prennent pas. En France, les Bleus se sont offert l’audience de l’année sur TF1, avec plus de 12,5 millions de personnes devant leur télé mardi 22 novembre au soir. Ce nombre de téléspectatrices et de téléspectateurs est comparable à celui du premier match de l’équipe de France en Russie en 2018, qui avait eu lieu un samedi à 12h, rappelle Eurosport.
En Allemagne, en revanche, la situation est bien différente. L’opposition entre la Mannschaft et le Japon, mercredi, a réuni moins de 10 millions de personnes sur la chaîne de télévision publique ARD, écrit «L’Equipe». Il y a quatre ans, le premier match des Allemands contre le Mexique à Moscou en avait attiré… près de 26 millions.
Ce n’est pas qu’en Suisse romande que les appels au boycott de la Coupe du monde au Qatar ne prennent pas. En France, les Bleus se sont offert l’audience de l’année sur TF1, avec plus de 12,5 millions de personnes devant leur télé mardi 22 novembre au soir. Ce nombre de téléspectatrices et de téléspectateurs est comparable à celui du premier match de l’équipe de France en Russie en 2018, qui avait eu lieu un samedi à 12h, rappelle Eurosport.
En Allemagne, en revanche, la situation est bien différente. L’opposition entre la Mannschaft et le Japon, mercredi, a réuni moins de 10 millions de personnes sur la chaîne de télévision publique ARD, écrit «L’Equipe». Il y a quatre ans, le premier match des Allemands contre le Mexique à Moscou en avait attiré… près de 26 millions.
Mais vous arrivez quand même à être euphorique?
De loin pas. Mais pour ces raisons qui n’ont rien à voir avec le foot. À titre personnel, je différencie mon obligation professionnelle, dont je m’acquitte avec — je l’espère — la plus grande honnêteté et mon ressenti personnel. C’est une situation qui me met face à mes propres contradictions. Je ne pense pas être le seul dans ce cas.
Justement. En tant que journalistes, vous et moi travaillons pour que notre information soit lue ou vue. D’un côté, vous critiquez cette Coupe du monde, mais de l’autre, vous voulez être suivi, en tant que média. Comment gérez-vous cette contradiction?
Je ne la gère pas. Ou, du moins, je la gère le moins mal possible. Je fais mon travail, qui est un service au public, puisqu’il y en a une part non négligeable qui s’intéresse au foot. Parallèlement, je considère que j’ai le droit d’émettre une critique sur un sujet que je couvre depuis 12 ans, soit depuis l’attribution de la compétition au Qatar. Pour le reste, je m’arrange avec ma mauvaise conscience. Cependant, dans tout ça, il y a, malgré tout, quelque chose de beau: le geste sportif, les beaux buts.
Vous oubliez votre mauvaise conscience dans ces moments-là?
Oui. Le deuxième but du Brésil face à la Serbie hier (ndlr: jeudi 24 novembre) est au-delà du Qatar et de Gianni Infantino. C’était de la bijouterie de haute précision! Puis, après, on revient à la réalité. On ne peut pas oublier le reste. On ne peut pas se foutre qu’un musulman gay risque la peine de mort au Qatar. On ne peut pas se foutre du sort des travailleurs migrants.
C’est la première fois que vous ressentez ce tiraillement?
C’était pareil à Pékin, lors des Jeux olympiques d’hiver, en début d’année. On en parlait moins, mais personne ne pouvait oublier que, pendant qu’on y était, les Ouïghours se faisaient joyeusement massacrer. Je n’ai cependant pas de leçon à donner. Je ne pousse d’ailleurs pas pour qu’on insiste sur certaines thématiques. La seule consigne donnée à ma rédaction est: faites votre boulot. Dites ce que vous voyez, faites correctement votre travail de journaliste.
Que pensez-vous de tous ces gens qui ne boycottent pas la Coupe de monde?
Je les respecte, comme je respecte ceux qui la boycottent. Liberté totale, nous ne sommes pas au Qatar. Chacun fait comme il veut! À chacun de s’arranger, ou non, avec sa conscience.