Il y a un peu plus de douze ans, j’étais à la fan-zone de Martigny pour suivre le premier match de la Suisse lors de la Coupe du monde 2010. À l’époque, j’avais même eu mon moment de gloire auprès de mes grands-parents et de mes amis du quartier: une photo de moi était parue en page 3 du «Nouvelliste».
«La casquette, les lunettes carrées, la vuvuzela! Tout était juste. Merci Matthias», se moque désormais un ami à qui j’ai montré le cliché. Mais en 2010, c’était le style, je vous jure (évidemment que non).
Douze ans, cinq mois et sept jours plus tard, mes goûts vestimentaires ont bien changé — pour le mieux, j’espère. Mais pas que. La Nati aborde son premier match dans la peau du favori. Celui-ci a lieu... en novembre, à 11h. Et les gradins du Centre d'Exposition et de Réunions Martigny (CERM) ont laissé leur place à vingt tables rectangulaires. Seule chose immuable: je suis à nouveau à la fan-zone octodurienne.
Mais, en toute honnêteté, je ne m’y serais pas rendu autrement que pour le travail. Ce n’est pas que je boycotte cette Coupe du monde. Je me dis que je vais difficilement retrouver les mêmes émotions, un jeudi matin, que lorsque Gelson Fernandes avait marqué le but décisif contre l’Espagne durant cette folle soirée de juin 2010. Une scène gravée à jamais dans nos mémoires.
Des premiers visages connus
Avec cet état d’esprit, je me suis demandé quel genre de personnes pourrait bien se rendre à la fan-zone. Des étudiants qui ont congé le jeudi? Ou des retraités qui changent leurs habitudes pour venir boire l’apéro — après tout, on est en Valais?
Mais quand j’arrive sur place, 45 minutes avant le match, ce sont des visages connus qui m’accueillent: ceux de mes oncles. Je ne suis guère surpris, ces passionnés ne ratent pas une miette du sport local ou international. Ce sont d’ailleurs eux qui m’ont donné la flamme et qui font qu’aujourd’hui, je suis journaliste sportif.
Sébastien, le plus jeune, est travailleur indépendant. Il n’a pas eu besoin de demander à son patron de pouvoir s’éclipser. La situation de Vincent est, elle, un peu différente: «Le boulot ne sait pas que je suis là, donc tu recommences ton interview». Éclat de rire à la table puisque nous savons tous que Vincent est son propre chef, lui qui gère un commerce de détails à Martigny.
Sur une note un peu plus sérieuse… ou presque, celui qu’on surnomme «Toto» explique qu’il a travaillé jusqu’à 10h30, avant de venir à la fan-zone. Ses employés continuent-ils de trimer, pendant que lui boit quelques bières? «Bien sûr, ils ne connaissent rien au foot», sourit-il à nouveau.
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Au vu de leur situation professionnelle, les deux frangins seront évidemment de retour au CERM lors des matches contre le Brésil et la Serbie. Tout comme certains employés de Duay SA, une entreprise spécialisée dans la menuiserie et l’agencement de cuisine.
L’entreprise qui a donné congé
Car Steve, le patron de la boîte, a allongé la pause de midi pour ses employés ce jeudi en fin de matinée. «On a fermé l’entreprise et toute l’équipe a congé durant deux heures pour regarder le match», développe le Valaisan. En plus de ce geste de grand seigneur, Steve en fait de même pour la rencontre de 17h: «On a quelques Portugais dans l’entreprise. Ils ont le droit de partir 15-30 minutes avant le match.»
Une nouvelle qui, bien évidemment, aura été saluée par toute l’entreprise. «95% des employés vont voir le match et les 2-3 qui ne suivent pas le foot continuent de travailler», explique le patron. Au final, l’équipe de Duay SA a compté une quinzaine de membres à sa table au sein de la fan-zone.
A un quart d’heure du coup d’envoi, il y avait peu de monde sur place. Pour Benoît Bender, président du Martigny-Sports et organisateur de l’événement, «on est dans l’inconnu total». Il ne sait pas combien de personnes viendront.
Mais pour celui qui est aussi député centriste au Grand Conseil, l’affluence n’est pas le critère le plus important: «Le but est de vivre les émotions ensemble, et c’est pour cela que nous avons fait une fan-zone qui se veut populaire.»
«On préfère chambrer… et se faire chambrer»
Dans la froideur du CERM — aucun chauffage, pénurie d’électricité oblige —, ce n’est pas l’engouement des supporters en début de match qui réchauffe l’atmosphère. Les applaudissements sont timides et rien sur l’écran géant ne donne matière à s’enflammer.
A la pause, les tables se sont remplies. «Quand on voit qu’il y a plus de 300 spectateurs un jeudi à 11h, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait plus de 1000 un lundi à 17h», prophétise Benoît Bender.
De mon côté, j’en profite pour discuter avec d’autres personnes. Hortense et Dejuly sont des Martignerains originaires du Cameroun — comme leurs maillots et leur drapeau le laissaient penser. Dejuly, informaticien, a prolongé sa pause pour venir suivre le match au CERM. «Ce n’est pas la peine de regarder seul à la maison. On préfère partager un moment, chambrer… et se faire chambrer», sourit-il.
Le couple n’est toutefois pas d’accord sur un point. Pour Dejuly, «un partage de points à la fin du match serait l’idéal». «Non, non, le coupe Hortense avec de gros yeux. On doit à tout prix gagner aujourd’hui car ce sera compliqué face au Brésil.»
A la fin de la rencontre, tous les deux n’ont heureusement pas perdu leur sourire et pardonne à Breel Embolo, l’enfant du pays, d’avoir marqué la seule réussite du match. «On prendra notre revanche en finale. Je vous souhaite d’y arriver, car on y sera», lance Dejuly.
Une grande journée pour le petit Léon
Ce but libérateur, parlons-en. La deuxième mi-temps est sur le point de reprendre et j’en profite pour m’éclipser au petit coin quelques instants. Suffisamment pour rater le goal d’Embolo. Mon voisin d’urinoir et moi-même, alertés par l’exclamation de joie dans la salle, rouspétons de bon cœur.
La seconde période me permet de discuter avec Daniela et Nilde, belle-fille et mère. Avec Léon, elles sont venues encourager la Suisse. «Mais Léon, aujourd’hui, est pour trois équipes: la Suisse, car il est suisse. Le Brésil, car Daniela est brésilienne. Et le Portugal, car je suis portugaise», sourit sa grand-maman. Et pour sa maman, le choix est déjà fait: pour le deuxième match de ce groupe G, le jeune Léon portera les couleurs auriverde.
«On habite à Martigny et on est fans de foot. On est mieux ici qu’à la maison», explique les deux femmes à propos de leur venue. Dans l’ensemble, l’expérience leur a plu et elles vont essayer de revenir lundi pour leur derby.
Et, nul doute que pour le match contre le Brésil, l’ambiance sera tout autre à la fan-zone de Martigny. Encore plus si je m’y rends avec ma vuvuzela.