Ce dimanche, Marlen Reusser s'est élancée pour son premier Tour de France. Avant le grand départ sous la Tour Eiffel, Blick avait rencontré la Bernoise médaillée d'argent en contre-la-montre aux Jeux de Toyko. Interview.
Marlen Reusser, pouvons-nous vous demander votre poids?
Parce que je suis une sportive de haut niveau, oui (sourire). Actuellement, je pèse 70 kilos.
C'est votre poids à l'année?
En hiver, je prends du poids comme par magie, comme si j'étais un chat. La balance indique alors 73 kilos. Mais je transpire beaucoup au printemps et en été.
Vous mesurez 1,80 mètre. La plupart des gens seraient plutôt satisfaits de votre poids. Mais vous avez reçu un surnom spécial de votre ancienne coéquipière, la Genevoise Elise Chabbey.
The Flying Elephant (ndlr: l'Eléphant volant).
Comment a-t-elle eu l'idée de vous appeler ainsi?
Par rapport à de nombreuses coureuses, je suis plutôt grande et lourde. Et comme je montais quand même rapidement les côtes, Elise m'a appelée ainsi à de nombreuses reprises.
Le thème du poids peut aussi être très sérieux. L'anorexie est-elle répandue dans le cyclisme?
Il n'y a pas d'études.
Mais?
Mon impression est que oui. L'anorexie ou surtout un apport énergétique trop faible — ce qui n'implique pas la même chose — est un problème.
En tant que médecin, vous avez un œil là-dessus?
Je pense que oui. C'est un sujet qui me préoccupe.
Vous vous êtes inquiétée pour une coéquipière en 2020...
C'était une évidence. Elle était vraiment très maigre. Outre la charge psychique de vouloir être mince, l'anorexie entraîne plus tard un risque d'ostéoporose (ndlr: fragilité osseuse qui entraîne un risque augmenté de fractures).
Quels seraient les dangers lors d'une course cycliste?
La perte de sang en cas de chute pourrait être mortelle. Lors d'une course, il est indispensable d'être en bonne santé. Si une personne malade physiquement et psychiquement y participe malgré tout, c'est absurde.
Vous avez écrit une lettre à l'Union cycliste internationale (UCI). Selon vous, ceux qui atteignent une limite inférieure de l'indice de masse corporelle devraient être obligés de passer des tests. Et le cas échéant, être interdit de participation. Avez-vous reçu une réponse?
Oui, le président de l'UCI, David Lappartient, m'a écrit personnellement et m'a proposé un entretien.
Et alors?
Je dois trouver une date qui me convienne.
Les équipes pourraient prendre elles-mêmes cette décision?
Cela ne fonctionnerait pas. Tout le monde dans une équipe veut un maximum de victoires. Et les médecins des équipes compromettraient éventuellement cela s'ils devaient prononcer une interdiction de départ. Cela doit être imposé par l'UCI avec une règle. Jusqu'à présent, il n'y a qu'un examen et deux tests en laboratoire par an. Mais ceux-ci ne visent pas à déterminer si quelqu'un est trop maigre ou s'il a des troubles alimentaires. Il manque donc la bonne approche.
Plus on est léger, plus on monte vite. Mais à un moment donné, la roue tourne non?
Bien sûr que oui. Mais où est la limite? Ce n'est pas facile de le savoir. Pour moi, il est important que les coureuses anorexiques ou psychiquement malades ne puissent plus participer aux courses. Si c'était le cas, la perte de poids excessive n'aurait plus d'attrait.
En tant que cycliste professionnelle, qu'est-ce qui est le plus difficile dans l'alimentation?
L'essentiel est de récupérer les calories consommées au bon moment. Récemment, j'ai consommé 5000 calories lors d'un entraînement. À cela s'ajoutent les 2000 des besoins naturels. Ce qui fait 7000 calories. Ce n'est pas facile de manger autant — parfois, on a du mal.
Vous êtes végétarienne depuis votre enfance. Est-ce que cela joue un rôle?
Pas du tout. Certains doivent avoir peur de manquer de quelque chose sans viande. Ceci n'est pas fondé. Je n'ai pas non plus besoin de produits de substitution et j'ai une excellente alimentation.
Vous avez grandi dans une ferme. Aviez-vous de la compassion pour les animaux qui étaient abattus?
Dès mon enfance, j'ai remarqué que quelque chose n'allait pas. Conformément aux directives, nous produisions avec des normes élevées, mais cela ne suffisait pas pour moi. Sur le chemin de l'école, des camions s'arrêtaient souvent pour venir chercher des poules à abattre. J'ai regardé une fois à l'intérieur des caisses. Elles étaient entassées — certaines étaient mortes, d'autres encore vivantes. C'était un spectacle misérable. La dernière chose que je mangerais aujourd'hui serait des nuggets.
Vous avez chuté en Angleterre et avez dû renoncer au Tour de Suisse à cause du Covid. Comment vous sentez-vous avant le Tour de France?
Très bien, merci. Je me suis très bien entraînée.
Quel rôle allez-vous jouer?
C'est difficile à dire. Je ne serai certainement pas la seule leader, nous roulerons probablement pour Demi Vollering. Mais je ne peux pas révéler la tactique exacte de l'équipe.
Vous vous préoccupez beaucoup de l'actualité mondiale. Dans quelle mesure la guerre en Ukraine vous affecte-t-elle?
C'est une très grande tragédie. En même temps, je me dis qu'il n'y a pas si longtemps, il y avait aussi la guerre en Syrie. Cela n'intéresse presque personne. Nous, les Suisses, n'étions pas aussi solidaires.
Pourquoi pas?
Peut-être parce que la culture là-bas est plus éloignée pour nous. Ou parce que cela nous concerne moins sur le plan économique. Il y a beaucoup de guerres et d'injustices dans le monde qui ne nous intéressent pas. Ou des entreprises qui sont enregistrées en Suisse et qui font des conneries à l'étranger. C'est à s'arracher les cheveux.
Votre ex-petit ami était un réfugié. Accueilleriez-vous aussi des réfugiés d'Ukraine?
Mes grands-parents ont dû partir en maison de retraite l'automne dernier, et une habitation à côté de notre ferme s'est libérée. Ma sœur et son ami voulaient s'y installer. Mais ils ont décidé d'accueillir un couple ukrainien avec trois enfants. Je trouve cela magnifique.