En regardant la vie de Nikita Ducarroz sur les réseaux sociaux, une pointe de jalousie pourrait surgir. La double vice-championne du monde de BMX freestyle fait du tourisme lors de la Coupe du monde en Arabie saoudite ou surfe au Costa Rica. Quelques posts plus bas, elle rayonne devant la caméra à Tokyo, une médaille de bronze (olympique) autour du cou. Elle a l'air décontractée et détendue. Mais la vie de la binationale américano-suisse comporte aussi des côtés sombres. Et elle les a découverts très tôt.
«Tout a commencé quand j'avais environ cinq ans», raconte Nikita Ducarroz, que Blick a rencontré à Aigle (VD). Au Centre mondial du cyclisme, elle se prépare pour les prochaines compétitions. «Je pleurais toujours quand mes parents m'emmenaient à l'école. A l'époque, tout le monde pensait que je n'avais tout simplement pas envie d'y aller. Mais plus je grandissais, plus il était clair que quelque chose n'allait pas.» La Genevoise a développé un trouble anxieux.
Adolescente, elle n'osait presque plus sortir de chez elle, par peur de la peur. C'était particulièrement grave lorsque la famille Ducarroz – qui vivait aux États-Unis à ce moment – rendait visite à ses grands-parents en Suisse romande. «Quand je devais voyager, j'avais la nausée. Tout mon corps tremblait.»
Le BMX à la rescousse
La jeune Nikita essaie différentes thérapies pour maîtriser son anxiété. Mais ce qui l'aide vraiment, c'est le sport. Rapidement, la Suisso-Américaine développe une grande passion pour le deux-roues. «Cette passion m'a permis de tromper mon cerveau. J'ai pris un tel plaisir à faire du BMX que j'ai osé sortir à nouveau. Pour pratiquer des figures et m'améliorer.»
Dans son école, elle donne une conférence intitulée «Comment le BMX a changé ma vie» et parle ouvertement de ses crises d'angoisse. Elle envoie la vidéo de la conférence sur Facebook et reçoit une avalanche de réactions positives. «Tout à coup, il y avait toutes ces personnes qui avaient vécu des choses très similaires et qui voulaient partager leur histoire avec moi. C'était comme si j'avais ouvert une porte.»
Pas un cas isolé
Le thème de la santé mentale devient un compagnon permanent de Nikita Ducarroz. Sur ses réseaux sociaux, elle essaie de montrer un peu plus de la réalité. Elle partage aussi les choses un peu moins belles de sa carrière et ne cache plus ses phases dépressives, qui font aussi partie de sa vie.
«Ce n'est pas comme si, maintenant que je suis une athlète professionnelle de BMX, j'étais tout simplement guérie», explique-t-elle. Pour le sport, elle voyage à travers le monde. Il lui arrive régulièrement de sentir la panique monter pendant un voyage. «Mais j'ai réussi à maîtriser la peur au point de ne pas m'évanouir.» Cela l'aide à penser à la compétition à venir.
En Suisse, très peu de personnes parlent aussi ouvertement que la rideuse. La gymnaste Ariella Käslin ou le footballeur Ciriaco Sforza, par exemple, ne l'ont fait qu'après la fin de leur carrière. Pourtant, Nikita Ducarroz n'est pas seule à souffrir de problèmes psychiques.
Une personne sur six dans le sport de compétition en Suisse présente des symptômes moyens à graves de dépression. En Suisse, un athlète sur cinq est même confronté à des troubles du sommeil ou de l'alimentation. C'est le résultat effrayant d'une étude menée il y a quelques mois par la Haute école fédérale de sport de Macolin (HEFSM).
«Personne ne veut se plaindre»
Alors pourquoi peu d'athlètes parlent-ils du défi mental que représente la vie d'un sportif de haut niveau? La Genevoise a ses hypothèses. Tout d'abord, parce qu'il s'agit de stigmatisation. «Moi aussi, je m'inquiète toujours que mes déclarations sur la santé mentale puissent être mal comprises. Lorsqu'un sportif de haut niveau couronné de succès et très apprécié dit qu'il n'a pas la vie facile, alors qu'à première vue il ne manque vraiment de rien, cela peut très vite être pris pour des jérémiades.» Celui qui se plaint paraît faible. Et personne ne veut montrer sa faiblesse. Beaucoup d'athlètes souffrent en silence, par peur des réactions.
Ensuite, elle veut aussi obtenir la compréhension de la population. Nikita Ducarroz utilise pour cela une comparaison simple: «Si quelqu'un ne s'est jamais cassé la jambe, il peut quand même s'imaginer à quel point ça doit faire mal.» Mais comment ressent-on une dépression, un trouble anxieux? On ne peut le comprendre que si on l'a vécu soi-même.
Jusqu'à présent, l'athlète n'a reçu que des encouragements pour son approche ouverte du sujet. Mais Nikita Ducarroz observe que plus les athlètes sont populaires et ont du succès, plus les commentaires haineux se multiplient. Elle cite l'exemple de la gymnaste américaine Simone Biles, qui a surpris tout le monde en arrêtant prématurément ses Jeux olympiques de Tokyo en raison de problèmes mentaux.
Projet «Mindtricks»
Pour attirer l'attention sur ce thème de la santé mentale dans le sport de compétition, Nikita Ducarroz a lancé avec un ami un projet sur les réseaux sociaux: «Mindtricks». Sur Instagram, des athlètes partagent leurs histoires très personnelles sur le thème de la santé mentale. «Les gens doivent voir que ces athlètes – peut-être même des modèles pour certains – ont eux aussi des problèmes avec leur psychisme. Et qu'il est vraiment normal d'en parler.»
Car il y a une chose que la Genevoise ne cesse de souligner: en parler aide. C'est justement pour les athlètes de haut niveau que Nikita Ducarroz souhaite un meilleur suivi en matière de santé mentale. La visite chez le psychologue de l'équipe devrait devenir un rendez-vous fixe dans le calendrier de chaque sportif. Et non pas un recours d'urgence lorsqu'il est déjà presque trop tard.
«En tant que sportive, tu es poussée à donner le meilleur de toi-même. Tu fais tout pour que ton corps reste en forme et en bonne santé. Cela vaudrait certainement la peine d'investir un peu de temps dans la santé mentale.»