«La première fois que j’ai enlevé mon voile, je me sentais à poil. Ça faisait quelque temps que j’étais en Suisse et, par habitude, j’avais continué à porter des choses assez longues. Avec le temps, j’ai opté pour des vêtements plus cintrés et plus courts. S’habiller comme on veut, ça peut paraître basique pour n’importe qui. Mais pour moi, qui suis née en Iran, c’est un luxe.
J’aime la liberté dont je bénéficie ici. Malheureusement, je ne suis plus la bienvenue. Je suis contrainte de rentrer, et ce, même si je risque ma vie… Car oui, être une femme en Iran et surtout une femme qui se rebelle pour son indépendance, ça revient à mettre sa vie en danger.
La tyrannie de l’État islamique
Je suis née et j’ai grandi dans le nord du pays et, tout au fond de moi, j’ai toujours su que le quotidien que je vivais n’était pas très sain. En Iran, toutes les filles doivent se couvrir à partir de 7 ans. Vous savez, c’est très violent d’être contrainte de faire quelque chose sous prétexte que l'on est née femme. Dès le plus jeune âge, on comprend qu’on va devoir se soumettre à la volonté d’une société ultra religieuse, dirigée par des hommes.
À cela s’ajoute l’interdiction de faire du vélo, de la moto ou de chanter en public. Quant aux sorties, elles sont possibles à condition de vivre dans une famille ouverte. Moi, j’ai grandi dans une famille monoparentale entourée de mes deux frères. C’est ma mère qui s’est occupée de notre éducation et c’est quelqu’un de très tolérant. J’avais donc le droit de sortir avec mes amis par exemple, ce qui m’a amenée à être interceptée par la police des mœurs…
C’est arrivé à trois ou quatre reprises, mais je me souviens surtout de la première fois. J’avais 13 ans et j’étais partie au cinéma avec des amis. La police qui a pour habitude de se planquer pour mieux surveiller les gens, nous a arrêtés.
Tout comme cela a été reproché à Mahsa Amini, je n’avais pas placé mon voile correctement, selon les forces de l’ordre. Le prix pour quelques mèches qui dépassaient: fournir ses papiers d’identité, puis avertissement. Parfois, je me demande: si je n'avais pas été une enfant, est-ce qu'on m’aurait embarquée puis tuée comme on l’a fait pour Mahsa Amini, Nasrin Ghadri et tant d’autres?
Deux ans plus tard, même histoire. J’étais dehors et une femme entièrement recouverte d’un tchador noir s’est mise à me suivre pour me réprimander. Encore une fois, mon foulard n’était pas mis correctement. J’ai couru à travers la ville et heureusement, un commerçant m’a attrapée à l’entrée de sa boutique pour me cacher à l’intérieur. J'ai été sauvée in extremis.
Fuir l’Iran et se réfugier en Suisse
Mais en Iran, il n’y a pas que les femmes qui sont ciblées par l’État. Les gens qui s’intéressent à l’Occident ou qui rejettent l’Islam chiite risquent gros. C’est justement parce que mon grand frère s’est intéressé au christianisme que nous avons dû fuir en urgence.
En fait, il avait donné rendez-vous à des amis pour parler spiritualité et religion. Je pense qu’ils ont dû être dénoncés ou alors surveillés par des brigades en civil. Ils ont été passés à tabac et quelques jours plus tard, nous avons reçu une lettre de convocation à la maison. Mon frère devait se rendre aux autorités. Autant vous dire qu’y aller revenait à signer son arrêt de mort.
Ma mère a réagi tout de suite. Elle a pris un billet d’avion direction la Serbie pour mon frère et moi. J’ai à peine eu le temps de préparer mon sac et nous sommes partis. C’est bizarre, mais je me souviens bien de ce sac. Il était super mignon, l’accessoire de pré-ado par excellence qui contrastait totalement avec la gravité de la situation. Ce sac, je l’ai encore...
Arrivés sur place, nous avons pris un van. Direction la Suisse. J’étais tellement sonnée que je ne me rappelle plus vraiment par où nous sommes passés. Je sais juste que nous avons fini par atterrir à Vallorbe. C’était en avril 2018. J’avais 16 ans, mon frère 26 et enfin, nous étions en sécurité.
Surveillée par des infiltrés de l’État
Après environ un mois et des poussières en Suisse, j'ai reçu un avis de renvoi. Mon frère et moi ne pouvions pas rester en Suisse. Et puis, ma mère nous a rejoints fin 2019, soit une année et demie plus tard.
Nous avons rapidement appris le français et avons tout fait pour nous intégrer. On a donc décidé de refaire une demande pour rester tous les trois. En 2021, la réponse est tombée: pas possible de rester en Suisse.
Nous avons fait recours mon frère, ma mère et moi, mais la décision du Secrétariat d'État aux migrations (SEM) est tout de même rentrée en force, il y a deux mois. Avec ce qu'il se passe actuellement en Iran – les femmes qui se révoltent pour leur liberté après la mise à mort d'une jeune femme de 21 ans par les autorités – j'aurais pensé qu'on nous permette de rester... C'est vrai qu'au début, j'ai beaucoup pleuré et je ne comprenais pas cette décision que je trouvais injuste. Aujourd'hui, j'ai décidé de me battre.
Cet avis de renvoi ne m'empêche pas de prendre position par rapport à ce qui se passe dans mon pays. J'affiche mes opinions sur les réseaux, je manifeste chaque semaine à Berne ou à Genève, sans oublier que mon visage ainsi que celui de ma mère est apparu dans plusieurs médias suisses comme à la RTS ou encore «Le Temps». Alors, oui, ça nous met en danger, car le régime ne supporte pas qu'on se batte pour nos droits. Qu'on soit clair: si j'ai de la chance, je serai simplement tuée une fois que j'aurais posé un pied en Iran. Sinon, on me torturera avant.
Pourtant, le SEM refuse de regarder cette réalité en face et je le regrette beaucoup. Leur argument tient au fait que si on n'est pas victime de violences généralisées comme c'est le cas au Yémen, par exemple, on ne peut pas obtenir le statut de réfugié. Quant au fait de participer à une manifestation ici ou là-bas, cela ne suffit pas... Apparemment, il faut faire l'objet d'une persécution personnelle.
Oui, sauf que les Iraniens qui se rendent à des manifestations, ici et ailleurs, sont surveillés par les autorités, des sbires de l'État islamique. Dernièrement, ma mère et moi avons été filmées à notre insu par un soi-disant média persan alors que nous étions en manifestation à Genève. Je ne sais pas qui c'était. Ce qui est sûr, c'est que la personne était habillée en civil et a agi discrètement. Si ça avait été un vrai journaliste, il nous aurait approchées, demandé notre autorisation et posé des questions. Mais non, il s'est contenté de zoomer sur nos visages. Vous comprenez maintenant pourquoi certaines personnes se couvrent ou se masquent lorsqu'elles se rendent à des rassemblements...
L'un de mes frères resté en Iran a reçu un courrier louche à son domicile. En gros, on lui demandait de dénoncer notre mère, notre frère aîné et moi, car nous mènerions des activités allant contre le régime de la République Islamique. Le plus flippant, c'est que cette lettre ne possédait pas de tampon officiel ou de signature. Qui a bien pu envoyer ça à mon frère? Comment savent-ils où il vit, dans quel immeuble, à quel étage, qui nous sommes et où nous nous trouvons, ma mère, mon autre frère et moi? Il va sans dire que je ne peux plus avoir de contact avec ma famille restée en Iran. Nous sommes surveillés. Partout...
La Suisse: pays de cœur
Rentrer en Iran n'est donc pas envisageable pour moi, ni même pour ma famille venue se réfugier en Suisse. Ce serait du suicide. Si ça devait arriver, nous n'aurions d'autre choix que de fuir à nouveau d'une manière ou d'une autre.
Le plus triste là-dedans, c'est que j'aime profondément mon pays et ma culture. Mais je voudrais que l'Iran devienne une démocratie, parce que là, ça fait trop longtemps que les gens souffrent. Dans l’idéal, j'aimerais avoir le même privilège que de nombreux binationaux: vivre en Suisse et rentrer dans mon pays pour les vacances, si d'aventure ce dernier était vivable. Ce qui est sûr, c'est que je me considère comme une Suissesse. Ici, on m'a offert une sécurité et une liberté que je ne connaissais pas jusqu'alors. On m'a permis d'étudier et de rêver à un avenir meilleur.»