«Je me souviens de la couleur verte transparente de l’eau. Je coulais puis je revenais à la surface. Ça a duré une minute, mais j’avais l’impression que ça faisait des heures que je me noyais, sans réussir à m’agripper à quelque chose. Heureusement, un inconnu m’a repêché et j’en suis sorti indemne.
Je devais avoir à peine 8 ans et en voulant attraper des poissons aux abords de Montreux, je suis tombé dans le lac. Ma mère était au kiosque un peu plus loin et ne m’a pas vu. Je ne la blâme pas du tout. Aujourd’hui, soit 33 ans après et avec plus de 20 ans d’expérience dans le sauvetage, je sais que la première cause de noyade, ce sont les enfants qu’on n’a pas à l’œil.
Depuis cet incident, ma maman est devenue très vigilante et méfiante envers le monde aquatique. Elle ne voulait pas trop me laisser nager. Cela ne m’a pas empêché de vouloir apprendre. J'ai eu mon premier cours de natation à 10 ans et j'ai adoré ça. Je n’étais pas du tout traumatisé, bien au contraire. J’accompagnais même mon grand-père, sauveteur, lors des interventions sur le Léman. Très rapidement, l’eau est devenue une passion, un art de vivre, une vocation.
Caviste devenu sauveteur
Mais figurez-vous que je n’ai pas toujours été sauveteur. À la base, je suis caviste. Ma famille avait des vignes et c’était évident pour moi de faire un apprentissage là-dedans. J’étais donc caviste à temps-plein et à côté, je m’adonnais à ma passion, la natation. J’ai fait mon premier brevet de sauvetage en 1996. J’avais 16 ans.
Après une poignée d’années à vinifier le moût de raisin pour le transformer en vin, j’en ai eu marre. Je ne faisais que regarder ma montre pendant mes heures de travail. Je n’avais qu’une envie: arriver à la fin de la journée. Sans oublier qu’il y a eu des restructurations dans le domaine. C’est à ce moment que je suis passé du vin à l’eau, de façon définitive. Il fallait que je fasse du sauvetage mon métier. Coûte que coûte.
En 2004, j’ai obtenu un diplôme d’IGBA (ndlr: formation professionnelle des employés d’établissements de bains). Cinq ans plus tard, je faisais mon brevet d’Instructeur suisse de natation, puis un Brevet fédéral, que j’ai eu en 2015. Finalement, j’ai gagné le prix du 'Nageur sauveteur suisse de l’année 2017'. J’étais le premier Romand à recevoir ce titre. Il y en a un autre qui a été désigné quelques années après moi. Tant d’années se sont écoulées et pourtant, j’ai encore l’impression que c’était hier. Je suis toujours aussi passionné. L’eau, je l’ai dans le sang, on va dire [rire].
Cependant je trouve regrettable, que le Brevet fédéral de professeur de sport aquatique ne soit pas reconnu auprès des cantons romands pour pouvoir enseigner cette discipline spécifique dans les écoles publiques. Dispenser des cours de natation par des personnes qualifiés et un atout majeur contre les noyades...
Crises d’épilepsie, malaises et indigestions
Je vous le dis tout de suite, mon métier c’est loin d’être comme dans la série 'Alerte à Malibu'. Être secouru par David Hasselhoff ou Pamela Anderson, vous oubliez!
Fort heureusement, je n’ai jamais eu à réanimer quelqu’un. Vous savez, c’est très marquant ce genre de choses. On n’en sort jamais vraiment indemne. En voyant ça dans les films, on se dit que faire du bouche-à-nez, un massage cardiaque et sauver quelqu'un, c'est super. Sauf qu'agir dans l'urgence et avoir la vie d'un individu entre les mains, ça peut être violent psychologiquement.
Mais imaginez-vous les cas où on n'y arrive pas... Forcément, on s'en veut, on culpabilise de n'avoir rien pu faire. Il faut parfois même se faire aider par un psychologue pour réussir à aller de l'avant.
De mon côté, j’ai tout de même assisté à des trucs impressionnants. J’ai vu des gens faire des crises d’épilepsie alors qu’ils nageaient, d’autres qui ont fait des malaises ou encore des gens qui se sont mis à vomir dans l’eau parce qu’ils étaient allés faire des brasses le ventre plein… Après, j’ai aussi des anecdotes plus rigolotes en stock. Je pense notamment à la fois où je suis allé secourir une jeune fille qui passait son examen de nageur sauveteur et qui était restée immobile au fond de la piscine après avoir plongé. J’ai nagé pour la rejoindre et en fait, elle ne faisait que rattacher son short qui s’était fait la malle au moment de sauter!
Toujours tout analyser
Plus sérieusement, le problème, c’est que les gens connaissent mal leur corps et surestiment leurs capacités. C’est très dangereux, surtout lorsqu’on va nager dans le lac. Il y a des courants, des changements de température et de niveau de l’eau, sans oublier les rochers et le manque de visibilité dans l’eau. Il y a aussi d’autres usagers dans le lac comme des paddles, des pédalos et toutes sortes de bateaux auxquels il faut faire attention si on décide de franchir le périmètre de sécurité marqué par une ligne blanche, rouge et jaune à Pully, par exemple.
En fait, il ne suffit pas de bien savoir nager. Il faut aussi avoir conscience de son environnement. Rares sont ceux qui prennent connaissance de l’endroit où ils vont nager. Vous qui avez l'habitude de vous baigner dans le lac, comme vous me l’avez expliqué, est-ce que vous consultez la météo de façon précise avant d’aller nager? Est-ce que vous connaissez la température de l’eau ou la profondeur de l’endroit où vous choisissez de piquer une tête? Est-ce que vous savez si vous vous trouvez à proximité d’une entrée ou une sortie de port ou de rivière? Toutes ces choses sont très importantes, surtout si on se baigne au lac.
En 2017, j’ai donc mis en place des maximes de baignades en collaboration avec le siège administratif et la section Riviera de la Société suisse de sauvetage (SSS), sans oublier l’assurance Visana comme partenaire. S’il y a encore autant de noyades, c’est notamment à cause de l’ignorance des gens, je pense. Alors j'espère vraiment que ces maximes contribuent à sauver des gens...
Mon but, c'est de faire de la prévention et d'enseigner les bonnes pratiques à un maximum de personnes. En plus d'être sauveteur à la piscine de Vevey, je suis aussi enseignant dans une école privée. J'aime me dire que ces enfants apprennent à s'amuser, mais aussi à avoir les bons comportements dans l'eau.
De père en fils
En parlant d'enfant, je suis désormais papa d’un petit de 13 mois et je tiens vraiment à ce que mon fils soit habitué à l’eau. Je me souviens quand il est né, je lui ai tout de suite mis de l’eau sur le visage. Il n’était pas très content mais c’était assez symbolique.
Je l’emmène souvent dans la piscine avec moi et il barbote dans mes bras. Il tape aussi avec ses pieds et il met même la tête dans l’eau, parfois. Je crois qu’il aime bien ça. Le jour venu, je lui apprendrai à nager. Et peut-être qu’il deviendra sauveteur à son tour et qu’il sera le troisième Romand à être 'meilleur sauveteur de l’année' qui sait. Enfin, on verra bien.»