«Qu’on soit clair: lorsqu’on devient handicapé alors qu’on marchait jusqu’alors, on a peur. Très peur. On craint d’être un poids pour les autres, pour sa famille. Parce que non, un accident grave ne touche pas que la personne qui en est victime, mais tout son cercle social, familial, intime, professionnel...
Mais je crois que je m’en suis plutôt bien tiré. Je ne me considère pas comme un exemple, je dirais plutôt que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai fait de belles rencontres, j’ai eu de belles opportunités, ma famille se porte bien. Le seul hic, c'est que je passe beaucoup trop de temps au travail, même si je n'y suis qu'à 50% aujourd'hui [rires].
Accident dans un camp de VTT
Mon histoire commence en été 2013, j’avais 43 ans. Mon fils Tom et moi faisions partie du club de cyclisme «La Pédale Bulloise». Nous étions partis en camp et j’ai fait une grave chute le tout dernier jour d’entraînement. J’ai voulu prendre une bosse avec mon VTT et j’ai perdu l’équilibre. J’ai été projeté la tête la première sur l’obstacle et mon casque s’est brisé.
À ce moment-là, j’ai tout de suite compris. J’ai dit à mon pote entraîneur: «Écoute, je suis handicapé». Il m’a lancé qu’il fallait que j’arrête de déconner. J’étais très sérieux. Je n’arrivais pas à bouger mes jambes. Le pire, c’est que mon fils qui n’avait que 13 ans a assisté à la scène. Ça l’a marqué durant des années. Mais ça, je ne l’ai compris que plus tard.
Le sentiment de n'être plus rien
Cet événement a totalement redistribué les cartes de ma vie. Après mon arrivée à l’hôpital, le verdict est tombé: C6-7, ASIA B, incomplet. En moins cryptique: deux de mes vertèbres cervicales étaient cassées. J’avais donc une tétraplégie incomplète, c’est-à-dire qu’il y a toujours quelques signaux qui peuvent passer par ma moelle épinière. Mais je ne peux pas utiliser mes jambes. J'ai également des soucis de cœur et aux poumons...
Durant mes neuf mois d’hospitalisation, j’ai dû faire le deuil d’une partie de ma vie. Je n’allais plus être le même homme, pote, papa ou mari qu’avant. Et l’une des premières choses qui m’en a fait prendre conscience, c’était une poignée de mois après mon accident. Nous étions entre Noël et Nouvel-An et j'avais été autorisé à rentrer chez moi. Là, mes enfants m’ont dit qu’ils voulaient aller skier. Je leur ai répondu qu’ils pouvaient y aller sans souci. Ils sont partis et je suis resté seul. Ce qui a été très dur, ce n’est pas le fait d’être resté en solo chez moi, mais plutôt de savoir que si j’avais été valide, j’aurais été avec eux et que je leur aurais même montré des endroits sympas.
Vous savez, le sport a toujours pris beaucoup de place dans mon quotidien. J’ai fait beaucoup de course à pied, de vélo, de ski, de peau de phoque, de musculation... La liste n'est même pas exhaustive. Ça a toujours été très important pour moi de transmettre cette passion à mes enfants. Sauf que là, ce n’était plus vraiment possible.
Et puis un jour, alors que nous étions en voiture, mon fils Tom m’a demandé si je pouvais l’entraîner à la course à pied. Son but: faire la Course Morat-Fribourg. Bien entendu, j'ai accepté mais à une condition: qu'il fasse tout ce que je lui demande et qu'il suive mes conseils. Nous avons fait un plan d’action et il s’entraînait cinq fois par semaine sous ma supervision. Résultat: il est arrivé premier de sa catégorie l’année qui a suivi ce long coaching. À l'arrivée, j'en avais les larmes aux yeux. Même si je crois qu’il avait envie de crever à la fin [rires].
Le handicap: un frein au partage des tâches
Il n’y a pas que ma relation avec mes enfants qui ait été affectée au moment de l’accident. J’ai toujours été très actif. J’ai dessiné les plans de mon chez-moi, j’ai posé les pavés, construit notre pergola en acier, j’ai déposé le carrelage, peint les murs… En gros, les travaux manuels de la maison, c’est moi qui m’en suis toujours occupé. Aujourd’hui, cette tâche revient à ma femme, ou du moins en partie. Pour elle, ce n’est pas simple de se dire qu’elle ne peut plus compter sur moi physiquement.
Alors non, je ne me sens pas moins homme ou moins viril, mais c’est vrai qu’une partie des qualités représentées à travers mon genre, comme la force, n’est plus là…
Vous serez peut-être surprise d’apprendre que selon certaines études, la priorité des gens qui deviennent handicapés n’est pas de remarcher, mais de retrouver leurs fonctions vésicale, intestinale et… sexuelle. Alors, j’avoue que ça me fait un peu rire lorsque j’entends des gens dire qu’on peut avoir une sexualité différente ou qu’on peut avoir des orgasmes dits 'cérébraux'. On ne peut pas mettre un rapport intime et un massage des oreilles façon 'Intouchables' sur le même plan.
Ce n’est pas drôle du tout de savoir ce qu’on ne ressentira plus jamais les sensations qu’on pouvait éprouver par le passé. Certes, on peut se réinventer, mais c’est un processus très bizarre. Les fonctions du bas du corps des tétraplégiques ou les paraplégiques ne marchent plus. Cela implique d'oublier érections, éjaculations et orgasmes… Certains peuvent prendre des médicaments, mais tout de même, qu’on le veuille ou non, notre corps n’est plus le même. Dès lors, les interactions intimes changent.
Ce qu'il faut se dire, c'est qu’on a toujours le droit au plaisir et que ça doit se reconstruire. Une vie sexuelle est possible, toutefois cela nécessite un certain dépassement de soi, beaucoup de maturité et de l’amour. Ce qui est certain, c’est que cet apprentissage ne peut pas être forcé. Certains conjoints de personnes handicapées l’acceptent totalement, d’autres partiellement et il y en a qui ne peuvent pas.
Vous savez, quand on est handicapé, on perd confiance en soi, on se dévalorise. Très vite après mon accident, je me suis dévalorisé. Soyons honnête: on se positionne toujours dans une sorte d’échelle de valeur physique. Moi, dans mon esprit, je n’étais plus quelqu’un de très attirant. Et puis, avec le temps et en discutant avec des connaissances en tout bien tout honneur, j’ai compris que je pouvais encore plaire. Ça, ça m’a fait beaucoup de bien.
Se réapproprier son corps
Au début, je faisais attention au regard des gens. Et puis, j'ai appris à m'en détacher. Pour me réapproprier mon corps, j'ai continué à faire énormément de sport. Même si je pouvais faire jusqu'à 37 heures d'exercice par semaine et que je ne suis 'plus qu'à' 12 heures, je cherche à savoir comment mon corps fonctionne. Vous savez, j'ai un tableau Excel que je tiens depuis 2014. J'y note le temps que je passe à m'exercer, quels exercices je fais, sur quelles machines, etc...
Si autrefois le sport était la base de mon lien social, il est devenu un outil pour comprendre ce nouveau corps. Toutes mes progressions, mes découvertes, je les mets au profit de la recherche. J'ai collaboré avec le CHUV, l'EPFL et aujourd'hui, j'ai même mon propre labo et ma start-up que j'ai fondée en 2016.
Le 11 octobre, la Fondation suisse pour paraplégiques (FSP) lançait une campagne publicitaire dans toute la Suisse romande. Le but: faire connaître le groupe en Suisse francophone. En effet, si la fondation créée en 1975 est très connue outre-Sarine, sa notoriété est moindre en Suisse romande.
Pour ce faire, la fondation a mis sur pied une série de photos qui ont été prises dans l'emblématique quartier du Flon à Lausanne. On y voit des personnes à mobilité réduite discuter en terrasse ou en train de prendre un café. Tous les clichés sont accompagnés de ces quelques mots: «Cela peut arriver à toutes et tous».
Faisant partie de la fondation, Sebastian Tobler est présent sur ces affiches. On peut l'apercevoir en pleine distribution de glaces ou à table tout sourire.
Le 11 octobre, la Fondation suisse pour paraplégiques (FSP) lançait une campagne publicitaire dans toute la Suisse romande. Le but: faire connaître le groupe en Suisse francophone. En effet, si la fondation créée en 1975 est très connue outre-Sarine, sa notoriété est moindre en Suisse romande.
Pour ce faire, la fondation a mis sur pied une série de photos qui ont été prises dans l'emblématique quartier du Flon à Lausanne. On y voit des personnes à mobilité réduite discuter en terrasse ou en train de prendre un café. Tous les clichés sont accompagnés de ces quelques mots: «Cela peut arriver à toutes et tous».
Faisant partie de la fondation, Sebastian Tobler est présent sur ces affiches. On peut l'apercevoir en pleine distribution de glaces ou à table tout sourire.
Sans oublier que je fais aussi partie de la Fondation suisse pour paraplégiques (FSP). Ce qui est drôle, c'est que j'étais membre avant mon accident. C'est ma grand-maman qui avait inscrit la famille car elle trouvait que c'était un beau geste de solidarité. Je suis très engagé auprès du groupe qui m'a beaucoup amené pour que je puisse m'en sortir. Qu'on se le dise, mon accident m'a permis de m'entourer des gens incroyables. Surtout, j'ai réussi à me dépasser et continuer à avoir confiance, malgré tout. Parce qu'au fond, j'en suis sûr: je vais remarcher un jour! [rires]»