Marcel Barelli, illustrateur
«Défendre la cause animale et avoir un papa chasseur, c'est original»

L'illustrateur et réalisateur tessinois Marcel Barelli vient tout juste de sortir son dernier bouquin, «Bestiaire désenchanté». Il y aborde notre relation parfois étrange, souvent complexe, avec les animaux. Le tout de manière ludique. Interview.
Publié: 28.10.2022 à 15:05 heures
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Dernière mise à jour: 28.10.2022 à 17:16 heures
En plus de publier des livres, Marcel Barelli est avant tout réalisateur de films d'animation.
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Après avoir listé les petites et les grosses bêtes de Suisse dans son «Bestiaire helvétique», Marcel Barelli revient avec un nouveau livre: «Bestiaire désenchanté». Le Suisse de 37 ans interroge nos relations vis-à-vis des autres espèces qui, souvent, vont à sens unique. Pourtant, rien ne le prédestinait à défendre les animaux.

Fils de chasseur né dans un petit village tessinois, l'artiste a adopté un régime végétarien à 16 ans pour ensuite devenir végane. Aujourd’hui, il a pris le parti d’utiliser le dessin humoristique en guise d'outil de lutte en faveurs de la cause des bêtes. Blick lui a posé quelques questions avant sa venue le week-end du 29 au 30 octobre à Lausanne à l'occasion du festival BDFIL.

Quel est votre animal préféré, Monsieur Barelli?
C’est le seul que j’ai mis en bonne posture dans le livre: le gypaète barbu. C’est un animal qui m’a toujours fasciné. Je trouve que c’est un bon exemple pour parler d’évolution. Par le passé, il était persécuté, au point qu'il avait quasi disparu. Tout ça parce qu’on pensait qu’il chassait et mangeait les enfants ou le bétail. Plus tard, on a découvert qu’il s’agissait en fait d’un charognard qui ne se nourrissait que d’ossements. Avec le temps, il a commencé à être plus apprécié et il a finalement été réintroduit dans les Alpes. C’est un hommage au changement, à ceux qui font que les choses bougent.

Comment avez-vous choisi les 50 espèces de votre ouvrage?
J’ai tout d’abord listé des sujets. Puis j’ai associé des animaux spécifiques et des textes à chacun de ces thèmes. Pour la pollinisation, j’ai choisi l’abeille, par exemple. Pour l’évolution de l’imaginaire collectif, j’ai trouvé intéressant de parler du dinosaure. Pour la sexualité, j’ai choisi le porc puisqu’il y a tout un vocabulaire spécifique associé à cet animal comme «cochonnerie»…

Un gypaète barbu dessiné par Marcel Barelli.
Photo: DR

Quel est votre but à travers ce livre?
L’idée est de comprendre notre rapport aux animaux à travers une vision très large. Cela peut aller de nos origines à l’alimentation en passant par nos habitudes culturelles. Tout est lié, selon moi. J’ai vraiment eu envie de parler à un public élargi et pas juste à des convaincus par la cause animaliste.

Pourquoi?
Disons que raconter des choses à des personnes qui les connaissent déjà, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Après, c’est clair que parler à un public large, c’est un défi! C’est pour cette raison que j’ai tenté d’être ludique à travers mes dessins, tout en proposant des textes très factuels.

Comment expliquez-vous que l’humain ait un rapport si compliqué avec les animaux?
Tout dépend d’où l’on vient, des régions du monde… Je pense que c’est surtout parce que l’humain a déjà beaucoup de peine à se définir lui-même comme un animal. On met des barrières, des distances entre les espèces. Mais la manière dont on se perçoit et on perçoit les autres, n’est qu’une question de degré, pas de nature. Ça, même Darwin le disait.

Justement, les distances ne sont pas les mêmes selon les espèces.
C’est la définition même du spécisme: on décide de manière totalement arbitraire quel être on peut se permettre d’exploiter ou non. Encore une fois, tout dépend des régions. Il y a des endroits où on se nourrit de viande de chien alors que chez nous, ce n’est même pas envisageable. Pourtant, le cochon, qui a les mêmes facultés mentales qu'un chien, est exploité. Il s'agit même de la viande la plus consommée ici. En fait, c’est une question d’habitudes, de cultures et non de logique. Ce n’est qu’en cas de force majeure, comme l’apparition d’une épidémie de type grippe aviaire, que l'on remet notre routine alimentaire en question…

D'accord, mais nos routines de consommation ont également évolué avec le temps…
Tout à fait. Quand mon grand-père était jeune, la viande, c’était une fois par an. Sinon, on mangeait des patates, de la polenta, sans oublier le chaudron de soupe qui était sur le feu toute la journée. On ne se rend pas compte que la viande est devenu un luxe incroyable au cours des 80 dernières années. Ce luxe s’est ensuite transformé en banalité. Maintenant, on mange de la viande dégueulasse emballée dans des barquettes en plastique.

Petit, vous n'avez pas été habitué aux emballages plastiques: votre papa était chasseur. Je me trompe?
(Rires) Il l’est toujours. En plus, là, c’est la saison. Il chasse du petit gibier, en ce moment. Pour l’anecdote, il a arrêté le grand gibier notamment parce que c’est plus difficile à chasser, selon ses dires.

Vous qui vous positionnez sur le traitement des animaux et votre paternel qui les chasse, c’est original.
C’est vrai qu’être végane et venir d’une famille de chasseurs, c’est un peu étrange. Mais j’ai remarqué que les choses bougent. Lorsqu’on fait des repas de famille, on s’adapte aux autres. Ma mère cuisine beaucoup moins de viande. Ma sœur est devenue végétarienne, ma fille aussi…

Un sanglier et le thème de la chasse par Marcel Barelli.
Photo: DR

Comme votre papa gère-t-il le fait que vous soyez végane et votre sœur végétarienne?
Figurez-vous que l’autre jour, j’ai retrouvé une note de mon père destinée à ma sœur. Il disait que malgré le fait qu’il ne partageait pas le même point de vue, il respectait son cheminement et qu’il comprenait que c’était important. Pour la petite histoire, je me souviens qu’après être devenu végane, il m’a dit: «Je n’ai pas l’impression que tu sois triste ou que tu aies perdu du poids, donc c’est que ça va!» (Il rigole) Enfin, tout ça pour dire que je pense vraiment qu’on peut se nourrir des idées des autres dans le respect et la bienveillance.

Il ne s’est donc jamais insurgé, même pas un peu?
Disons que j’ai la chance d’avoir pu évoluer dans une certaine harmonie. Même si nous ne sommes pas du tout d’accord sur certaines questions, cela n’a jamais posé problème, il ne m’a jamais jugé. J’avais 16 ans quand j’ai arrêté de manger de la viande et petit à petit, j’ai arrêté le lait ainsi que tous les produits issus de l’élevage. Je suis ensuite devenu végane.

Personnellement, dans ma famille, les discussions à table ont souvent tendance à s’enflammer alors que nous sommes plus au moins d’accord sur beaucoup de choses. Les vôtres, comment se passent-elles?
Évidemment, lorsqu’on parle avec mon père, le ton est différent. Mais ça reste très bienveillant parce qu’on s’aime. Le but n’est pas de l’avoir convaincu à la fin de la discussion. L’un comme l’autre, on fait attention. Lui ne me parle pas de certaines choses concernant son activité qui pourraient me toucher. Quant à moi, j’essaie de relever et apprécier ses efforts.

Qu’en est-il des autres, des personnes qui ne font pas partie de votre famille. On fait comment pour échanger sereinement?
Vous savez, je viens d’un petit village tessinois où quasi tous les hommes chassent. C’est une activité qu’ils font entre eux, quelque chose de très macho. Il y a ce côté très à l’ancienne. Ça fait toujours un peu peur de se prononcer sur ces choses. On donne l’impression d’être le citadin qui vient juger. Alors j’essaie d’éviter de faire certaines remarques où de me mettre dans une certaine posture. Je ne vais pas commencer à argumenter, cela ne sert à rien. Je préfère la discrétion et le pragmatisme. Il faut aussi dire que j’ai évolué dans ce milieu, je le connais bien. Je sais comment me comporter.

Vous avez l’habitude, c’est-à-dire?
On va dire que malheureusement, depuis petit, j’ai l’habitude de voir des animaux tués, empaillés, etc. J’imagine qu’une personne qui n’a jamais vu ça, ça la choque beaucoup plus. J’ai d’ailleurs expliqué quelque part dans le livre que la maltraitance des animaux où les conditions dans les abattoirs interpellent forcément du monde, mais je pense qu’on s’y habitue aussi. Au bout d’un moment, ça fait partie du paysage et on part du principe que c’est comme ça. Il faut donc questionner ça. J’introduis d'ailleurs ce questionnement dans le dernier chapitre. Je parle d’empathie et du fait qu'il faille développer une sensibilité par rapport aux autres espèces. Et cette sensibilité, elle vient de la connaissance.

C’est quand même étonnant que vous soyez intéressé au bien-être animal alors même que le milieu de la chasse faisait partie de votre réalité. Tout ça était presque normal dans votre quotidien...
Certes, mais je ne saurais pas expliquer à quoi est dû ce changement concernant ma vision des choses. Il faut dire que quand on a 16 ans, on change aussi facilement. C’est un âge où on a envie d’aller vers de nouveaux horizons, de découvrir des choses. Même si ça ne les a pas vraiment affectés, peut-être que j’avais envie d’aller contre mes parents, je ne sais pas. Et puis ma première copine était végétarienne. Ce qui est drôle, c’est qu’elle ne l’est plus désormais (rires). J’ai aussi beaucoup lu et j’ai rencontré certaines personnes qui ont fait que, petit à petit, j’ai vu les choses autrement. À 19 ans, je suis parti du Tessin pour Genève et j’ai découvert un autre monde culturel et intellectuel. J’aime bien l’idée qu’on ne cesse jamais d’apprendre et d’évoluer.

Maintenant que vous avez vous-même des enfants, ça se passe comment à table?
Ce qui est drôle, c'est que que dans ma famille à Genève, on a tous des habitudes différentes. Ma femme n’est pas végétarienne, ma fille oui, mon fils c’est variable et moi, je suis végane. On compose donc avec tout un tas d’éléments. Toute la partie légumes, féculents et fruits est commune. Pour ce qui est de la protéine, ça change. Mon épouse mange du jambon, ma fille un œuf et moi du tofu… Enfin, il y a très peu de viande à la maison.

Entre nous, vous voudriez que votre famille soit végane, comme vous?
Je ne peux forcer personne. Personnellement, je ne suis pas arrivé à ce que je pense être une bonne position parce qu’on m’a forcé. C’est un cheminement que j’ai fait à travers des lectures et des rencontres. Je n’ai jamais dit à ma fille qu’elle devait être végétarienne. C’est elle qui a pris sa décision et nous avons beaucoup de discussions. Nous nous rendons aussi ensemble à des manifestations pour le climat et mon fils prépare les pancartes. Eux aussi m’apportent des choses. Mon fils qui a par exemple entendu parler du zéro déchet à l’école est venu vers moi pour en discuter.

Dans votre livre, vous parlez de la souffrance de la carotte. Explications?
Ça a été la partie la plus compliquée à écrire parce que mon éditeur ne comprenait pas de quoi il s’agissait. En fait, je fais référence à l’argument – souvent avancé de la part de ceux qui mangent de la viande – selon lequel les plantes souffrent aussi. En effet, selon certaines études, les plantes ont une certaine forme d’intelligence, de sensibilité… Elles n’ont pourtant pas des connexions neuronales comme nous, mais ça, on s’en fiche. C’est étrange parce que si on est préoccupé par la souffrance végétale, pourquoi ne le serait-on pas pour la cause animale?

Les animaux souffrent, les plantes peut-être aussi. Alors, on fait quoi? On arrête de manger?
Nous sommes obligés de manger des fruits et des légumes. Mais la meilleure façon d’éviter de les faire souffrir, si un jour on découvre que c’est vraiment le cas, ce serait de se résoudre à ne plus manger d’animaux. Parce que le gros de la production végétale est destinée à l’élevage. Plus précisément, la moitié des ressources est utilisée pour l’élevage. Ainsi en évitant de consommer des animaux, on épargnerait une partie des plantes.

Votre monde idéal ressemble à quoi? On devient tous véganes?
C’est clair que ce serait bien. Pour moi, un monde végane, c’est un monde où tout le monde a du respect pour tout le monde, pas seulement pour les autres espèces. Cela impliquerait ainsi les autres personnes, les autres peuples, les autres sexes… Il y aurait une tolérance totale. On travaillerait dans une société plurielle et on aurait envie que tout le monde puisse s’épanouir. On aurait tous des droits et des libertés. Après, tout cela est utopiste, car la maltraitance animale n’est pas le seul problème de l’humanité.

Cette utopie est-elle vraiment possible selon vous?
C’est difficile à dire parce que tant que la souffrance animale n’est pas considérée comme un problème évident et important, on ne peut pas vraiment avancer. Dans un monde et où on fait construire des stades en Arabie saoudite, où on fait croire aux gens que ce qui est important c’est la montée des prix de l'essence, débattre de la cause animale reste compliqué. Je pense que je ne suis ni pessimiste, ni optimiste. Enfin, je crois que j’ai quand même de l’espoir. Sinon, je n’aurais pas eu d’enfants (rires).

«Bestiaire désenchanté – 50 dessins pour interroger notre relation aux animaux», Marcel Barelli, Éditions 41.

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