Paul Feig n’est pas un petit nouveau de l’audiovisuel. En tant que producteur, on lui doit les séries désormais cultes «Freaks and Geeks» et «Nurse Jackie». C’est aussi lui qui avait réalisé l’hilarante comédie «Mes meilleures amies» (2011) et le sequel de «Ghostbusters» en 2016. Autant dire que son humour est connu, son talent également, ses connexions grandes. Et pourtant. Quand il a essayé de vendre sa nouvelle pépite, «Minx», dont il est le producteur exécutif, aux chaînes américaines, cela a été une immense galère.
Pourtant, sur le papier, la série a tout pour plaire. D’abord, elle se déroule à Los Angeles dans les années 1970, alors que le vintage est à la mode. Ensuite, elle raconte la naissance d’un magazine féministe et pornographique (oui, oui), sujet alléchant s’il en est. Enfin, on peut lui faire confiance pour que ce soit très drôle. Seulement voilà, Paul Feig et la créatrice de «Minx», Ellen Rapoport, ont prévenu d’emblée: il y aura, dans ces dix épisodes, de la nudité masculine. Beaucoup de nudité masculine. Des pénis en gros plan, et pas qu’un peu. De quoi refroidir beaucoup de diffuseurs. C’est finalement HBO qui a donné son feu vert et il est d’autant plus réjouissant de voir qu’en Suisse, la RTS a décidé de la programmer dès le 26 mars en deuxième partie de soirée.
Enrober le féminisme dans des photos érotiques
«Minx» (que l’on pourrait traduire par «coquine» en français), c’est donc le nom du magazine que Joyce, militante féministe convaincue, va mettre sur pied dans les années 1970. Au départ, la jeune femme pencherait plutôt pour «L’éveil du matriarcat» mais, bizarrement, les éditeurs ne sont pas très convaincus. Ce n’est que lorsqu’elle rencontre Doug, à la tête d’une publication spécialisée dans les magazines porno, que son avenir s’éclaire. Mais Doug pose une condition au financement de «Minx»: enrober le discours féministe sur l’avortement, la contraception ou encore les violences conjugales et sexuelles dans des photos très explicites. On n’attire pas les guêpes avec du vinaigre et le lectorat féminin a droit, lui aussi, à sa version de «Playboy».
Autant dire qu’au départ, la collaboration est difficile. Joyce aimerait qu’on prenne plus au sérieux ses articles sur la mauvaise répartition des tâches ménagères au sein du foyer. La jeune femme est aussi très coincée, ce qui est un peu embarrassant quand on enchaîne les castings de centaines d’hommes qui viennent baisser leur slip en toute décontraction. Forcément, tout ceci est une formidable matière pour créer des situations comiques. Solide dans l’écriture de ses gags comme de ses personnages, très bien rythmée, «Minx» aligne aisément 10 épisodes de 30 minutes sans s’essouffler.
Des dizaines de pénis et un hélicobite
Et forcément, tout ceci est également l’occasion d’aller plus loin dans la représentation de la nudité masculine qui a tant effrayé les chaînes américaines. Bien sûr, les full frontal comme on les appelle (les sexes masculins filmés de face et sans détours, donc) se sont un peu démocratisés sur le petit écran dernièrement. «Normal People», «Game of Thrones» ou «The White Lotus» ont tenté l’aventure. Mais personne n’a jamais osé aligner une dizaine de pénis de toutes formes et de toutes tailles en moins d’une minute. Ni filmer un hélicobite fièrement exécuté. Tout ceci arrive dans «Minx»… dès le premier épisode.
Il serait naïf de ne pas y voir du tout un argument marketing. Mais remplacez les verges par des seins et personne n’en fera tout un plat. On touche ici évidemment au véritable propos de «Minx», qui pointe l’objectification permanente des femmes quand les hommes, eux, peuvent se permettre d’exister sans être sexualisés. La série fait un travail remarquable en évitant toute schizophrénie sur le sujet. Ses personnages féminins sont tous passionnants (mention spéciale à Tina, la secrétaire de Doug, toute en finesse et en drôlerie) et le scénario évite l’écueil d’une histoire romantique improbable entre Joyce et son éditeur.
Les seventies pour raconter le présent
On pourra en revanche trouver étonnante l’utilisation de prothèses péniennes démesurées. Taylor Zakhar Perez, l’acteur qui joue le rôle de Shane, égérie de «Minx», et se trouve donc en général uniquement vêtu d’un casque de chantier, a confié que l’accessoire était bien présent sur le plateau pour les nus principaux. Peut-être aurait-il été judicieux d’en choisir qui ne correspondent pas, ou pas toutes, à des standards rarement atteints…
Reste que «Minx» réussit sans forcer à s’ancrer dans une époque révolue, dont elle filme joyeusement les pantalons pattes d’eph’ et les chemises à col pelle à tarte, pour mieux raconter la nôtre. Dans un épisode, la mafia italo-américaine, très catholique bien sûr, et qui garde la main sur la livraison des magazines de toute la Californie, refuse de transporter Minx à cause d’un article sur la pilule. Dans un autre, des autodafé sont organisés par des jeunes réactionnaires pour brûler la publication trop féministe. Impossible de ne pas voir une résonance avec les mouvements antiféministes qui sévissent aux États-Unis en ce moment. Et c’est sûrement là que se niche la mélancolie de «Minx». En filmant l’explosion des carcans de la société dans les seventies, la série constate, en creux, une inversion du cours des choses que ses personnages, hauts en couleur et forts en gueule, ne pourraient que regretter.