«Je ne regarde pas ‘Ted Lasso’», lance, revêche, Harper, le personnage d’Aubrey Plaza dans la saison 2 de «The White Lotus». Une réplique destinée à accentuer un peu plus sa prétendue supériorité intellectuelle (son snobisme, donc) par rapport à la blonde très niaise qui vient de lui dire qu’elle adore cette série. Eh bien, Harper a tort. «Ted Lasso» est une excellente fiction. Sa troisième et ultime saison, diffusée à partir de cette semaine sur AppleTV+, vient le prouver une nouvelle fois. Et laisse craindre un paysage audiovisuel un peu plus sombre après son coup de sifflet final. Car depuis 2020, Ted Lasso, le personnage qui donne son titre à la série, nous aura sauvé de toutes les vagues de Covid-19 et évité toutes les déprimes saisonnières.
Pour celles et ceux qui n’auraient rien suivi, ce super-héros sans costume, mais doté d’une magnifique moustache est un entraîneur de football, appelé à la rescousse de l’AFC Richmond, club anglais de Premier League menacé de relégation.
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Seul petit problème: Ted est américain et le seul football qu’il connaît se joue en quatre quart-temps, avec un ballon ovale, un casque et une épaulière. La propriétaire du club qui l’a embauché, Rebecca, est parfaitement au courant. En réalité, l’AFC Richmond appartenait à son ex-mari, qui l’a trompée avec toute la ville avant de la laisser sur le carreau pour une femme beaucoup plus jeune. Le club est tout ce qu’elle récupère après son divorce, la seule chose à laquelle tenait cet immense goujat et Rebecca se le jure, elle va réussir à le couler. Malheureusement pour elle, aussi incompétent soit-il, Ted Lasso est déterminé à réussir.
Une série sur le foot même pour les allergiques au foot
Que les allergiques au football se rassurent donc, le personnage principal de la série n’y connaît rien non plus. L’intérêt est ailleurs et c’est assumé: toutes les scènes de sport sont filmées comme une parodie d’une vieille version de «FIFA» ou «PES». Le talent de Ted Lasso ne s’exprime pas sur la pelouse, mais partout en dehors. Toujours de bonne humeur, plein d’idées de team building improbables et jamais à court de métaphores sur la vie, le coach va peu à peu remobiliser pas seulement une équipe, mais tous les individus qui la composent, et les pousser à reprendre le contrôle de leur existence.
On pourrait croire à un mauvais cours de développement personnel, mais la série est bien trop drôle pour tomber dans ce genre de travers. Quand, en saison 2, elle fait intervenir une psychologue du travail auprès des joueurs de l’AFC Richmond, c’est parce qu’un attaquant se retrouve traumatisé après avoir tué un chien par inadvertance. Dans la saison 3, l’équilibre de l’équipe est perturbé par l’arrivée d’un nouveau joueur, star sur le retour dont la démesure ressemble furieusement à celle de Zlatan Ibrahimovic. Marchant sur un fil entre le franchement burlesque et l’absurde, pleine de délicieux jeux de mots sur la langue (il faut regarder tout ça en VO absolument), «Ted Lasso» provoque autant de petits sourires que de rires francs à chaque épisode.
Fondamentalement sympathique, mais jamais bête
Le grand talent de son co-créateur, Jason Sudeikis (qui joue aussi le rôle principal), est de partir de personnages stéréotypés pour déjouer toutes les attentes. Il y a Jamie, l’attaquant complètement imbu de lui-même, Keeley, sa copine maquillée comme un camion volé, Roy, le joueur grognon qui commence à sentir ses genoux grincer. Mais ici, les abrutis n’en sont jamais vraiment, les blondes ne manquent pas d’idées et les grincheux aussi ont un petit cœur qui bat. Sans jamais perdre de vue l’idée de divertir avant tout, «Ted Lasso» détricote savamment la masculinité toxique des vestiaires et encourage ses personnages féminins à se soutenir coûte que coûte. La culture de la gagne, si profondément ancrée dans le monde du sport, se traduit ici par une culture de l’entraide et de la solidarité.
Bien sûr, les personnages ne sont pas à l’abri de mesquineries diverses et, dans cette troisième saison, le transfert de Nate, ancien collaborateur de Ted passé dans l’équipe ennemie, occasionne des moqueries et des coups bas. Mais aucun ne porte ses fruits et c'est toujours la bonté de Ted, imperturbablement gentil, qui triomphe. «Ted Lasso» réussit le tour de force de mettre en avant un protagoniste fondamentalement sympathique, mais jamais ni bête, ni niais. Et c’est bien cela le plus surprenant:l’absence totale de cynisme dans une série des années 2020.