Quel est le point commun entre «House of cards», «Hannibal» et «The Crown»? Ce sont trois bonnes séries (au moins pour les premières saisons), d’accord, mais ce n’est pas tout. Aussi qualitatives soient-elles, elles ont été livrées avec des génériques d’ouverture complètement nuls, qui nous font bénir la fonction «skip intro», désormais disponible sur toutes les plateformes pour zapper ces quelques dizaines de secondes insupportables (vraiment, je pense qu’il existe quelque part dans le monde un supplice qui consiste à faire regarder en boucle le générique de «House of cards» à quelqu’un). À l’inverse, d’autres feuilletons se sont illustrés par leurs ouvertures magnifiques. Mais alors, à quoi tient un bon générique de série?
Une musique cohérente
Sans surprise, la première clef d’un bon générique, c’est une bonne musique. Elle peut être originale ou reprise, qu’importe. L’essentiel est qu’elle soit à la fin si caractéristique de la fiction qu’on ne peut l’en dissocier. Et pour cela, il faut de la cohérence. Du côté des musiques originales, celle de «X-Files» est un excellent exemple. Elle a été composée par Mark Snow en 1993 mais, de l’aveu du principal intéressé, est globalement le fruit du hasard. Après moult propositions qui ne convenaient jamais au créateur de la série, c’est en laissant tomber son coude sur son clavier avec un mode écho allumé que Mark Snow a réussi à trouver le début de sa partition. Et c’est sa femme, Glynn, qui a enregistré le sifflement qu’on entend revenir dans l’air, samplé et modifié par ordinateur. Mais le plus important, c’est le résultat: délicieusement dérangeant, un peu flippant et très intrigant, comme la série.
Ce souci de cohérence va parfois très loin. Pour la musique de «Oz», production HBO qui se déroule dans le centre de détention (fictif) d’Oswald, David Darlington et Steven Rosen sont partis des bruits de la prison. Si on écoute attentivement le générique, on peut donc distinguer des portes qui claquent, des coups contre des barreaux ou encore… des cris de détenus. Comme une préfiguration de la violence ultra-réaliste de la série.
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Pour les morceaux déjà existants, les créateurs de série préfèrent généralement se tourner vers des artistes pas trop connus, pour éviter que leur notoriété influence les spectateurs, dans un sens comme dans un autre. Il y a toujours des exceptions: le générique de «How to make it in America» se déroule sur la célébrissime chanson «I need a dollar», d’Aloe Blacc, et le rapport entre les deux paraît évident. En revanche, «Cold Little Heart», interprétée par le Britannique Michael Kiwanuka, était passée sous les radars jusqu’à ce que les créateurs de «Big Little Lies» l’utilisent pour leur générique. Et ici encore, la belle ballade colle parfaitement aux atermoiements des héroïnes de la série.
Un graphisme soigné
Une mauvaise musique peut parfaitement plomber votre générique et j’encourage ceux qui en doutent à retourner s’abîmer les yeux et les oreilles devant celui de «Prison Break», avec cette horreur composée par le rappeur français Faf la rage. Mais l’inverse n’est pas vrai. Une bonne musique à elle seule ne sauve pas un générique: celui d’«Oz», précédemment cité, est un ratage malgré sa composition originale fascinante. La faute à un montage épileptique franchement moche. On ne le dira jamais assez, un graphisme soigné est à prévoir.
L’un des meilleurs exemples est sûrement celui de «Dexter», qui montre le personnage principal se préparer le matin. Il se lève, se rase, cuit une viande puis des œufs, s’offre un jus d’orange avant de s’habiller et lacer ses chaussures. Chacun de ces gestes est pourtant filmé comme s’il s’agissait d’un meurtre ou d’une torture diverse. Découpage en morceau, égorgement, strangulation, asphyxie… tout y passe. Une excellente idée pour une série dont le héros est un serial-killer qui ressemble à monsieur-tout-le-monde.
Plus récemment, notons le morceau de bravoure que constitue le générique de la série de science-fiction «Severance». Développé par l’artiste Oliver Latta, il retranscrit la tension du personnage principal, Mark, depuis qu’il s’est fait implanter une puce dans le cerveau pour séparer complètement sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Ce générique, qui suit Mark tout au long d’une journée, est un bijou d’effets spéciaux dont on pourrait parler des heures, mais qu’il vaut mieux tout simplement regarder.
Pour expliquer son travail, Oliver Latta a dit au site Mashable qu’il aimait «bien jouer avec des situations banales et les présenter de façon ambiguë et inconfortable». Ce qui tombe bien, puisque «Severance» est ambiguë et inconfortable.
Un résumé de l’atmosphère de la série
On touche ici du doigt ce qui fait la réussite d’un générique: la musique, comme les graphismes, doivent donner une idée de ce qu’on va trouver dans la série, en être un résumé accrocheur. Cela peut être très simple: celui de «Stranger Things» par exemple, ne dure que quelques secondes, le temps que le titre s’affiche en plein écran. Mais tout est calculé. Les créateurs de la série se sont inspirés des classiques de la littérature d’épouvante, à commencer par les livres de Stephen King, mais aussi des génériques de séries anciennes comme «The Twilight Zone». Et ils ont filmé l’animation de chaque lettre à l’ancienne, en allumant une lumière rouge derrière, et sur pellicule, ce qui donne vraiment l’impression de plonger dans les années 1980.
Les vrais bons génériques sont ceux qui prennent plus de sens après avoir vu la série à laquelle ils appartiennent. Celui de «Homeland» par exemple, regorge de détails et de références. On y retrouve de vraies photos d’enfance de l’actrice principale, Claire Danes, des images et des citations de plusieurs personnalités politiques américaines, de Ronald Reagan à Hillary Clinton, l’impression d’un labyrinthe et des images militaires. Tout est saccadé, dissonant, en noir et blanc ou en sépia. C’est franchement le bordel, mais c’est normal: Carrie Mathison, l’héroïne, est bipolaire, et ce générique reflète la complexité de sa psyché.
Notre top 5 des meilleurs génériques de série
Les Simpson
Impossible de ne pas citer ce générique-là, qui dispose quand même de sa propre page Wikipédia. Il permet de caractériser chaque personnage de la famille, mais aussi de montrer la quasi-intégralité des bâtiments et des habitants de Springfield, tout en regorgeant de détails souvent très caustiques. On y fait allusion par exemple au coût de l’éducation aux Etats-Unis lorsque Maggie, le bébé, est scanné à la caisse du supermarché. Tout est savamment calé sur la musique que Danny Elfman aurait mis, dit-on, quelques jours seulement à composer. Et le générique s’achève sur une mise en abîme des Simpson qui regardent la télévision pendant que nous les regardons la regarder. Enfin, il est régulièrement adapté aux épisodes spéciaux, comme Noël ou Halloween, voire investi par des artistes comme Banksy ou le cinéaste Guillermo del Toro, qui l’a modifié pour rendre hommage à plein de chefs-d’œuvre du 7e art.
Les Soprano
A priori, rien de plus simple que ce générique-là, qui suit caméra à l’épaule un trajet en voiture de Tony Soprano, le personnage principal interprété par James Gandolfini. Sauf qu’en réalité, tout est déjà là. Le cigare et la montre en or du truand, le passage de Manhattan au New Jersey et des hommages clairs à deux grands films de mafia: «Les Affranchis», avec les crédits qui défilent de la même façon que dans le générique d’ouverture du film de Martin Scorsese, et «Le Parrain», en reprenant une typographie similaire à celle du titre de l’œuvre de Francis Ford Coppola. On y ajoute la superbe chanson grave «Woke up this morning» d’Alabama 3, et on obtient un générique impeccable.
True Detective
Hors des Etats-Unis, personne n’écoute jamais de country. Sauf lorsqu’il s’agit de générique de série, comme celui de «True Detective», rythmé par «Far from any road» de The Handsome Family. Raoul Marks, le concepteur-designer du générique, a ensuite superposé les personnages de la série avec d’autres photos, notamment de paysages. Un subtil jeu de transparence donne l’impression que les premiers disparaissent, engloutis par les seconds, jusqu’à ce que le feu vienne dévorer tout le monde. C’est beau et poisseux à la fois, absolument magnifique.
Game of Thrones
Il n’y a que deux choses qui n’ont jamais baissé en qualité dans «Game of Thrones»: les punchlines de Tyrion Lannister et le générique de la série. Celui-ci est en réalité une carte en 3D qui permet au spectateur, peu à peu, de se repérer entre les différents royaumes qui se font la guerre dans le monde fictif de Westeros. Des bâtiments surgissent pour se construire sous nos yeux, faisant penser aux machines imaginées par Léonard de Vinci. Surtout, le générique change à chaque épisode pour se concentrer sur les lieux qui y apparaîtront. Les fans endurcis ont donc eu beau jeu d’essayer de deviner une partie de l’action rien qu’en regardant le générique. Et, bien sûr, la musique de Ramin Djawadi emballe le tout très efficacement
Mad Men
Il est difficile, en voyant la simple perfection du générique de «Mad Men» (un homme en costume arrive dans son bureau puis tombe par la fenêtre), d’imaginer à quel point il a été difficile à mettre en place. D’abord, la chute a chiffonné la chaîne AMC, qui avait peur que cela rappelle trop le 11 septembre. Ensuite, la cigarette que tient le personnage à la fin dans son fauteuil a été effacée pour ne pas faire la promotion du tabac. Enfin, les publicités vintage qui entourent l’homme qui tombent ont été difficiles à choisir: Matthew Weiner, le créateur de la série, voulait absolument en utiliser une avec Sophia Loren pour faire tomber son personnage dans son décolleté… ce que l’agent de l’actrice italienne a interdit. Malgré toutes ces contraintes, ces 36 secondes inspirées du travail de Saul Bass (l’illustrateur qui a fait de nombreux génériques pour Hitchcock, notamment «Psychose» et «La mort aux trousses»), et apposées sur l’entêtante musique du DJ RJD2, trônent en tête de notre classement.