La chronique de Mauro Poggia
Valérie Dittli, vilain petit canard?

Mauro Poggia revient sur la tempête politique qui touche Valérie Dittli. Après avoir consulté la documentation officielle, l'élu MCG estime que les accusations basées sur le rapport Studer semblent disproportionnées.
Publié: 27.03.2025 à 10:09 heures
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Dernière mise à jour: 27.03.2025 à 13:52 heures
Mauro Poggia nuance les accusations contre la ministre vaudoise des Finances Valérie Dittli.
Mauro Poggia, conseiller aux Etats MCG / GE

Je ne sais pas vous, mais moi, lorsque j’assiste à un lynchage politico-médiatique en règle, cela me rend le coupable désigné plutôt sympathique. Sans doute Valérie Dittli a-t-elle sous-estimé les rancœurs dissimulées derrière les sourires affables et condescendants envers la cadette du gouvernement, convaincue que ses initiales suffiraient à la rendre valdo-compatible, pourtant sans soutien au Parlement, où son parti politique est cruellement absent.

Très vite, on aurait dû se méfier. On avait d’abord commencé par mettre en doute son domicile, puis son titre professionnel, pour enfin attribuer à cette nouvelle venue, le Département des finances, avec, raisin sur le gâteau, l’agriculture, la viticulture et les affaires vétérinaires, dont on se demande bien ce qui peut relier ces politiques publiques.

Cette attribution n’avait pas manqué de surprendre, car s’il est un département transversal qui exige le doigté d’un diplomate et la ruse d’un sioux, pour tenir la meute des prétendants aux dépenses, c’est bien celui des Finances. De là à penser qu’il s’agissait d’une peau de banane sur un parquet ciré, il n’y avait qu’un pas. Il suffisait d’attendre…

Des accusations lourdes, mais pas «exhaustives»

Après les «révélations» du rapport Studer, la conférence de presse version «peloton d’exécution», lors de laquelle la communication de l’accusée ne fut pas exemplaire, et enfin la séance écourtée du Conseil d’Etat du 26 mars, j’ai poussé la curiosité jusqu’à aller consulter la documentation disponible sur le site officiel. Je doute que nombre de détracteurs de la magistrate l’aient fait.

J’ai pu y lire que le mandataire mis en œuvre, dont on a veillé à ce qu’il ne soit pas du même parti politique que la présidente du gouvernement, même si l’on imagine plus socialiste typique que l’ancien président de la Banque nationale suisse, a eu d’abord l’humilité, voire la prudence, de préciser que son rapport n’est pas une «analyse exhaustive de la situation», qu’il n’est pas «un avis de droit», et qu’il n’est «pas non plus le fruit d’une enquête administrative». De quoi s’agit-il alors? D’une mise en bouche? Du prétexte pour faire tomber le couperet, sachant que les têtes politiques se recollent rarement?

Poursuivant ma lecture, je lis qu’il est retenu à l’encontre de Valérie Dittli de n’avoir pas respecté le cadre institutionnel et légal en ordonnant «l’annulation de taxations». Le libellé de l’acte d’accusation fait frémir. Comment a-t-elle pu oser demander l’annulation d’une taxation en force, de surcroît avec le mobile de la faire réduire, et la circonstance aggravante de l’aisance financière des contribuables concernés? Copinage? Corruption?

Il faut pousser un peu plus loin la lecture pour comprendre que le contenu de la demande présumée coupable de la magistrate est tiré d’un courrier électronique émanant d’un haut cadre de son département à la directrice générale de la fiscalité, laquelle s’en est plainte en haut lieu, et qui était ainsi libellé: «Voici le résumé de ce qui a été demandé par la CDFA (cheffe du département): arrêt temporaire des taxations des contribuables au bénéfice du bouclier et annulation des taxations déjà effectuées sur la PF (période fiscale) 2022 afin de permettre de trouver une solution transitoire qui respecte le principe d’égalité de traitement.»

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La formulation est maladroite, certes, mais il ne s’agissait de toute évidence pas de favoriser certains contribuables déterminés
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En d’autres termes, Madame Dittli considérait, peut-être à tort, là n’est pas la question, que le bouclier fiscal n’avait pas été respecté selon la loi. Et que le temps que l’on étudie la question, il était nécessaire de suspendre les taxations et, afin de ne pas pénaliser les contribuables qui avaient déjà été taxés, annuler leurs taxations.

La formulation est maladroite, certes, mais il ne s’agissait de toute évidence pas de favoriser certains contribuables déterminés. Dans un monde normal et un environnement bien intentionné, on aurait expliqué que les taxations définitives ne pouvaient être annulées, et si l’administration devait constater ultérieurement que des erreurs avaient été commises, une rectification serait effectuée d’office, afin de respecter l’égalité de traitement envers les contribuables qui n’avaient pas encore été taxés.

Où est la faute grave?

Où est la faute grave qui justifierait toute cette agitation? Pourquoi les explications écrites, pourtant claires, de Valérie Dittli du 3 mars 2025 au rédacteur du rapport ne sont-elles pas prises en considération?

Second péché capital reproché à l’accusée: avoir demandé «à un haut fonctionnaire de s’entretenir avec des personnes extérieures à l’administration sur un dossier en discussion devant le Conseil d’Etat». Ainsi décrit, le comportement est assurément blâmable puisqu’un fonctionnaire aurait reçu mission de violer son secret de fonction. Une fois encore, la réalité des faits est bien plus nuancée, et c’est un euphémisme.

En 2023, une initiative populaire vaudoise demandant «une baisse d’impôts pour tous» avait abouti. A l’évidence, l’examen des conséquences fiscales de l’adoption de ce texte, et l’élaboration d’un éventuel contre-projet pouvant être présenté au Parlement, furent attribués au département concerné, à savoir celui de la fiscalité. Le rapport nous apprend que Madame Dittli, conformément à sa fonction, est «intervenue à plusieurs reprises devant le gouvernement avec une ou des propositions tendant à une refonte des barèmes de l’impôt sur la fortune». Sans obtenir l’aval du Conseil d’Etat.

Secret de fonction violé, vraiment?

Avant que le sujet ne soit examiné pour la dernière fois par le gouvernement le 28 août 2024, la magistrate a mandaté un haut cadre de son département pour rencontrer «des personnes proches des milieux des initiants pour leur parler du projet de refonte des barèmes de l’impôt sur la fortune».

Quoi de plus normal, lorsque le gouvernement entend proposer une loi qui va dans le sens d’une initiative, mais forcément moins loin qu’elle, qu’il examine si les initiants seraient disposés à retirer leur initiative si ce projet de loi entre en vigueur. Où est la violation du secret de fonction, alors que l’on tente de défendre l’intérêt public en évitant une votation populaire dont les conséquences financières sont considérées comme néfastes? En quoi ledit fonctionnaire aurait-il violé le secret de fonction sur instigation de sa magistrate en essayant de connaitre les concessions que les initiants étaient prêts à faire, tout en exposant les limites que le département n’était pas disposé à franchir? Le tout sous réserve de l’avis du Conseil d’Etat, auquel une proposition devait être présentée à une prochaine séance.

Après cette lecture, une seule phrase me vient à l’esprit: «tout ça pour ça?»

J’imagine que l’attitude de Valérie Dittli à l’égard de ses collègues, empreinte de son manque d’expérience, n’a pas dû apaiser les tensions. Mais de là à voir six jurés unanimes prononcer un verdict de culpabilité contre l’accusée, et, de surcroît, annoncer une dénonciation au Ministère public, il y a un pas que l’entendement ne saurait franchir. Soit on ne nous dit pas tout, soit on nous cache quelque chose, ou le contraire…

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