La chronique de Mauro Poggia
Santé: Notre liberté de choix est en danger

Dans sa nouvelle chronique pour Blick, le conseiller aux Etats Mauro Poggia fustige une motion de l'un de ses collègues qui autorise les assureurs LAMal à désigner selon leurs propres critères des hôpitaux et des médecins qu’ils ne rembourseraient pas.
Publié: 20.01.2025 à 12:25 heures
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Dernière mise à jour: 20.01.2025 à 12:26 heures
«Depuis quand des assureurs sans aucune légitimité démocratique, (...) sauraient-ils mieux que les service cantonaux de la santé quelle est la qualité qui doit nous être garantie?»
Mauro Poggia, conseiller aux Etats MCG

En catimini, avec une discrétion que pourrait envier notre diplomatie, et dans l’apparente indifférence médiatique, la commission de la santé du Conseil national, après le Conseil des Etats en séance plénière, a annoncé vendredi 17 janvier 2025 l’adoption de la Motion du Conseiller aux Etats zougois Peter Hegglin, officiellement membre du conseil d’administration de Santésuisse, faîtière de nos assureurs maladie, remplacée désormais par Prio.Swiss. Et il est vrai qu’elle défend davantage ses priorité, que notre santé.

Cette motion demande un assouplissement de l’obligation de contracter à charge des assureurs LAMal dans les domaines ambulatoire et hospitalier, sous condition évidemment que la sécurité des soins soit garantie et que les exigences de qualité et d’économicité soient respectées, ce qui devrait nous rassurer. Vous aurez relevé l’évolution marketing par laquelle le terme effrayant de «suppression» de l’obligation de contracter est désormais remplacé par celui, en apparence plus rassurant, d’«assouplissement». Dans les faits l’objectif est identique.

En d’autres termes, et en français: les assureurs LAMal pourraient, notamment, désigner des hôpitaux et des médecins qu’ils ne rembourseraient pas, et alors même que l’hôpital placé sur liste noire est admis sur la liste cantonale, et que le médecin écarté dispose d’un droit de pratique reconnu par l’autorité. Autant dire que la planification cantonale n’aurait plus de sens.

Ainsi, et après la mise en oeuvre sournoise de ce principe dans l’assurance complémentaire, mais pour l’hospitalier exclusivement, et alors que le libre choix est garanti par la LAMal, les assureurs pourraient, selon des critères dont on imagine l’opacité, choisir les «bons» et les «mauvais» hôpitaux ou médecins, physiothérapeutes, et ainsi de suite pour tous les professionnels de la santé. Tout cela sous prétexte que nos assureurs sauraient mieux que quiconque nous diriger vers des soins économique de qualité. Avec de surcroît la prétendue mise en concurrence des professionnels de la santé!

De qui se moque-t-on?

Depuis quand des assureurs sans aucune légitimité démocratique, avec des médecins-conseils, qui bien souvent trouvent dans cette activité une garantie alimentaire que leur science ne leur a pas procuré, sauraient-ils mieux que les service cantonaux de la santé quelle est la qualité qui doit nous être garantie?

Depuis quand l’augmentation, certes inquiétante, du volume des prestations, serait-elle mieux jugulée par ces mêmes employés du secteur privé, liés à des groupes d’assureurs dont font partie de lucratives assurances complémentaires, que par des mesures de réduction des coûts votées démocratiquement?

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Imaginez une seconde que votre médecin considère que votre état de santé mérite encore un traitement, alors que tel n’est pas l’avis du médecin-conseil
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A n’en pas douter, pour nos assureurs LAMal, un bon médecin, comme un bon hôpital, sera assurément le meilleur marché et le plus docile, qui ne discutera pas les avis du médecin-conseil de l’assurance du patient. Imaginez une seconde que votre médecin considère que votre état de santé mérite encore un traitement, alors que tel n’est pas l’avis du médecin-conseil, simultanément celui de votre assurance perte de gain! La crainte, même implicite, d’être exclu de la liste des médecins remboursés par cet assureur, pourra engendrer la résignation de votre médecin. 

Payer plus pour conserver notre libre choix

Le pouvoir qu’obtiendraient les assureurs si cette Motion était mise en oeuvre, serait gigantesque. Et malgré cela, une majorité de parlementaires, suivant les mots d’ordre de certains spécialistes désignés, et convaincus de bonne foi de contribuer à la maîtrise des coûts, se laisse entraîner dans cette supercherie.

Veut-on vraiment que chaque professionnel de la santé doive à l’avenir indiquer quels sont les assureurs qui prennent en charge ses prestations? Et si votre assureur exclut votre médecin de confiance, il vous resterait alors à le rémunérer de votre poche, ou à vous résigner à en prendre un autre sur la liste qui vous est remise.

Mais rassurez-vous, aussitôt que ce pouvoir serait confié à nos assureurs LAMAL, les assureurs complémentaires du même groupe s’empresseraient de vous proposer, pour autant que vous en ayez les moyens, et avec une «modique prime supplémentaire», de conserver le libre choix dont vous auriez été privé! 

Notre santé est trop précieuse pour continuer à la confier à des assureurs qui s’obstinent, avec la complicité paresseuse du monde politique, à conserver la gestion de l’assurance de base, pour mieux connaitre le marché, et pour mieux le maîtriser à leur profit.

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