Un lapsus significatif de notre ministre fédérale, qui a parlé de «hausse des crimes» laisse transpirer la souffrance du messager. Rien à côté de la douleur de celles et ceux qui devront supporter l’amère facture. Pour soulager le caractère objectivement anti-social de nos primes, fixées sans rapport aucun avec nos revenus, les contribuables, qui sont aussi des assurés (le contraire n’étant pas toujours vrai), passeront aussi à la caisse pour alimenter les 6 milliards de subsides qui sont versés à près de 2,5 millions d’assurés.
A défaut de maîtriser les coûts, on tente difficilement de maîtriser les primes.
Changer de caisses: la fausse bonne solution
Mon propos ici n’est pas de parler de ce qui n’a pas été fait, de ce qui a été mal fait, de ce qu’il faudrait faire, de l’opacité du tout et du financement du vieillissement qu’il faut repenser. Comme disait très justement quelqu’un qui se reconnaîtra, je ne monterais jamais dans un avion piloté par un comité de pilotage. Et pourtant, nous sommes tous dans un tel avion, lequel n’atterrit jamais, dont on se doute bien qu’il va manquer de kérosène, et dont on ne sait pas qui occupe le cockpit, si ce n’est que certains en sortent et d’autres y entrent, au gré des turbulences.
Je vais parler d’un sujet dont on évalue mal l’impact pervers, mais qui semble avoir touché, lui aussi, ses limites. Celui du changement de caisse.
Tels des poissons dans un aquarium, que l’on essaye de convaincre qu’ils nagent en pleine mer, on nous suggère, année après année, d’aller voir ailleurs si l’eau est moins froide. En d’autres termes, si l’on juge nos primes sont trop élevées, il faut aller vers un assureur meilleur marché. En fait, on nous déplace d’un coin de l’aquarium à l’autre, dans une eau toujours plus trouble, et dans un mouvement qui ne peut que s’accélérer chaque année davantage.
Sans parler des frais administratifs que ces départs-arrivées engendrent, sans aucune plus-value quelconque pour notre système de santé ou pour la maitrise des coûts, car chaque assureur LAMal ne peut nous offrir ni plus ni moins que son pseudo-concurrent, cette transhumance annuelle a d’autres effets moins apparents au premier abord.
Qui reste, qui part, qui gagne?
Premièrement, ce sont en principe les assurés peu consommateurs de soins, et qui donc, soit ont la chance d’être en bonne santé, soit rechignent à se rendre chez leur médecin pour ne pas avoir à entamer leur franchise, et qui auront le sentiment de verser des primes à fonds perdu, qui chercheront à payer moins, et donc à changer de caisse. Les assurés, souvent âgés ou atteints de maladies chroniques, engendrant des coûts supérieurs à leurs primes, auront au contraire tendance à ne pas changer de caisse, inertie encouragée le cas échéant par l’existence d’une assurance complémentaire auprès du même assureur.
En d’autres termes, les «bons risques» pour un assureur, auront tendance à partir chercher meilleur marché, alors que les «mauvais risques» resteront sur place.
Deuxièmement, le système des réserves par assureur, malheureusement toujours en vigueur actuellement, ne permet pas à l’assuré qui s’en va de prendre ses réserves avec lui. Et il lui faudra donc reconstituer ses réserves chez son nouvel assureur, comme la loi l’exige. Dans la mesure où l’assureur d’arrivée ne peut pas fixer des primes plus élevées pour les nouveaux assurés, il devra répartir sur l’ensemble de ses assurés, et donc y compris ceux qui n’ont pas bougé, la reconstitution des réserves des nouveaux venus. Vous l’avez compris, l’assureur meilleur marché, qui attirera un grand nombre de nouveaux assurés, sera ainsi pénalisé, et devra, l’année suivante, augmenter ses primes de manière importante.
Mais au-delà de ces deux phénomènes, il y a une conséquence plus perverse et sournoise encore.
On touchera le fond plus vite
Les primes 2025 qui nous ont été annoncées, l’ont été en fonction d’une estimation des coûts que chaque assureur devra supporter en fonction de la composition de son portefeuille d’assurés. Or, si une majorité de «bons risques» s’en va, il faudra tout de même assumer les «mauvais risques» sédentaires… C’est la raison pour laquelle en 2022, 1,5 milliard de francs ont été puisés dans les réserves en raison de l’insuffisance des primes encaissées par certains assureurs.
Il est probable que cette année, nos autorités fédérales aient demandé que l’on anticipe ce phénomène, avec des hausses de primes supérieures à la hausse estimée des coûts pour l’année prochaine. Sachant que les réserves, après avoir diminué de 3 milliards en 2022 (dont 1,5 milliard de pertes en bourse) ont diminué encore de 1,2 milliard en 2023, sans doute qu’une partie des hausses demandées a pour but la reconstitution de ces réserves, dont la gestion nous échappe, elle aussi.
(Im) moralité de la fable? Plus vite nagera le poisson, plus vite de l’aquarium il touchera le fond.