J’aime bien la Fête des mères. C’est la seule fois dans l’année où il nous est permis de bricoler un truc pathétique, avec beaucoup de mauvaise foi et très peu de budget. Et ça passe. Facile. Parce que, de toute façon, «c’est l’intention qui compte». Même si, franchement, ce collier de nouilles...
Nonobstant, s’il y en a bien une qui n’a pas le temps d’enfiler des nouilles — ou des perles —, souvent, c’est bien Maman. Ah, Maman... Elle peut être petite, grande, rachitique ou rondouillette, jeune ou moins jeune, femme cisgenre ou homme transgenre, iel restera Maman. Maman, c’est la plus forte. Enfin, ça dépend, parce que, de temps en temps, à certains moments de la vie, elle se fait fielleuse. «Maman... tu saoules!»
Le droit (il)légitime
Mais, bien avant qu’elle «saoule», Maman, indubitablement, elle donne la vie. Aussi. Parfois, elle la donne facilement. D’autres fois, c’est un chouïa plus chaotique. Quelquefois, carrément fatal. Et puis, Maman, occasionnellement, elle peut être en situation de handicap. Un handicap qui, d’ordinaire, sera suffisant pour que la société l’estime disqualifiée dans sa quête de maternité.
Maya Pellissier, vous la connaissez déjà. Il y a quelques semaines, elle racontait à Blick son action humanitaire: partir à la frontière ukrainienne, délivrer du matériel adapté aux personnes en situation de handicap. Une première histoire impressionnante, certes. Pourtant, à l’instant où cette dernière s’écrivait, je me suis retrouvé témoin d’un autre récit — celui-ci, carrément décoiffant: mon interlocutrice est une des rares femmes en situation de handicap à avoir pu donner la vie. Non sans difficulté, malgré tout.
«Le monsieur, il s’appelle Malick!? C’est pas possible, mon cousin aussi, il s’appelle Malick», s’excite Erwan, 9 ans, dans le fond du combiné. «Oui, c’est vrai ça, mon cousin, il s’appelle Malick», surenchérit son frère cadet, Marvin, 7 ans. Maya, leur mère, confirme l’observation, avant de s’excuser pour le raffut. Je ris et invite les deux terribles progénitures à poursuivre leur bal.
«Oui, je suis en fauteuil. Et alors? J’ai deux enfants!»
Au téléphone, aucun moyen de le deviner. Pas besoin, Maya Pellissier en parlera dès sa deuxième réplique: «Oui, je suis en fauteuil roulant, atteinte d’une paraplégie. Et alors? J’ai deux enfants!» C’est peut-être un détail pour nous, mais, pour la Valaisanne, devenir mère, ça ne coulait pas de source. Pour elle ou pour les autres? «Moi, je savais que je voulais un enfant, clarifie d’entrée la femme au verbe sobre. Donc, en 2012, après mes études d’assistante sociale, mon ex’ et moi, on a décidé de nous lancer. Le problème, c’est que, lorsque j’ai cherché un gynécologue capable de m’accompagner, malgré mon handicap, trois ont refusé. Ils me demandaient si j’avais été violée, si j’avais été forcée... Bref, pour ces gens que j’ai envie de qualifier de 'cons', être maman avec un handicap, c’était inimaginable.»
Après moult démarches, loin des «cons», Maya Pellissier finit par trouver le soutien d’une gynécologue «adorable», qui n’a d’ailleurs pas hésité à accompagner la mère dans sa deuxième grossesse, au début de l’année 2014. Évidemment, les protocoles ont été adaptés et Maya a dû rapidement renoncer à certains aspects de son autonomie. Elle se souvient, par exemple, du jour où, enceinte de 6 mois, la médecin a trouvé préférable que la future maman termine sa grossesse alitée, loin de son fauteuil roulant. Avant une césarienne qu’elle n’aura «pas vraiment choisie», mais qui rassurait les médecins.
De «maman» à «tata»
Aujourd’hui, l’ancienne tenniswoman handisport garde un souvenir ému de ses deux grossesses. Celles-ci s’étant finalement passées sans trop d’encombres. Elle regrette, cependant, que le personnel médical ne soit pas davantage formé à la maternité des personnes handicapées: «Quand on fait un enfant, qu’il est là, on n'échappe pas au rituel génial du premier bain. Avec Erwan (ndlr: son premier enfant), je n’ai pas pu vivre ce moment. Les infirmières n’avaient pas anticipé le fait que le lavabo de la chambre était beaucoup trop haut pour une personne assise. Mon enfant a donc été lavé à côté de moi, sans que je ne voie rien. À ce moment-là, je me suis sentie comme dépossédée de mon rôle de mère.»
Au moment où je m’entretiens avec Maya (et ses deux enfants), l’euphorie est relativement proche. Il y a quelques jours, alors qu’elle rentre de son voyage humanitaire, Vincent, son compagnon, la demande en mariage. «Franchement, avec mon mec, on souhaite se marier, mais on a simplement pas envie d’avoir plus d’enfants, explique la cheffe de meute de cette famille recomposée. J’en ai eu avec mon ex’, et c’est super. Mais je crois que ce qui permet et permettra à d’autres mamans handicapées d’avoir des enfants, c’est avant tout l’évolution de l’image qu’on se fait d’elles. Encore récemment, à l’anniversaire de mon fils, je me suis aperçue que, pour son meilleur pote, je n’étais pas sa mère, mais sa 'tata'. C’est quand même dingue de se dire que, dans la tête d’un gamin de 9 ans, c’est déjà intégré que, si t’es handicapée, tu n’auras pas d’enfant! Des fois, dans la rue, on me félicite de, malgré mon handicap, faire de la garde d’enfants...»
Bricoler, «juste au cas où»
Sentant bien que l’émotion est palpable, je ramène un peu de pragmatisme dans la discussion: maman, en situation de handicap, comment fait-on? Avec de l’aide humaine, évidemment. Durant la première année de vie de son premier enfant, la Martigneraine a pu compter sur l’aide précieuse d’une auxiliaire de vie qui a su lui apporter un soutien, sans jamais lui usurper son rôle de maman.
Dans la quête maternelle, il a fallu bricoler, aussi, m’explique Maya Pellissier. Fabriquer des berceaux à sa hauteur, des sièges auto rotatifs pour permettre une meilleure installation du bébé… Des aménagements coûteux que la jeune femme a dû financer seule. Le matériel de puériculture crée pour Erwan et Marvin, désormais «quasi préados», a été confié à des organismes spécialisés, tels que l’Association suisse des paraplégiques. «Juste au cas où».
«Juste au cas où» d’autres femmes se donneraient ce droit à la maternité, en parallèle de quelques aménagements nécessaires. Encore aujourd’hui, Maya a à cœur d’accompagner de futures mamans qui, par manque d’information et d’acceptation, estiment ne pas être en mesure de donner la vie. Pourtant, en écoutant Maya Pellissier, Erwan et Marvin, durant l’heure que nous avons passée ensemble, rien n’a résonné plus fort que la légitimité de cette famille aimée autant qu’aimante.
- Police: 117
- Violencequefaire (anonyme et gratuit, réponse dans les 3 jours)
Centres d’aide aux victimes LAVI
Et pour les jeunes:
- Ciao.ch (réponse dans les 2 jours)
- Pro Juventute (24/7): 147
- Patouche: 0800 800 140
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