Donald Trump a tort de croire que Joe Biden est mort, ou presque. En près de deux heures ce jeudi 7 mars, avec un discours sur l’État de l’Union particulièrement pugnace, le président américain a rappelé à ses compatriotes et au monde entier qu’il est un formidable survivant. Jamais, au cours de sa très longue carrière politique débutée en 1972 par son élection comme sénateur du Delaware à 29 ans, Joe Biden n’est parti grand favori. C’est sa pugnacité, mais aussi sa connaissance très fine de tous les rouages du pouvoir (et des façons de le conquérir), qui l’ont porté là où il se trouve depuis janvier 2021: à la Maison-Blanche.
Ce Joe Biden-là est l’inverse de Trump. L’ancien promoteur immobilier New-Yorkais est un attaquant inlassable, un cogneur forcené qui cherche à mettre son adversaire KO sur le ring électoral, quitte à faire quelques gestes interdits. Biden, lui, combat comme le faisait jadis Cassius Clay, ce boxeur de légende devenu Mohamed Ali et mort en 2016. Biden esquive. Il attend le bon moment. Puis il frappe. Il sait que, physiquement, Trump est plus fort. Il sait que, sur le plan médiatique, Trump est un monstre d’efficacité mensongère et outrancière. Alors Biden se plante contre les cordes du ring et attend. Jusqu’au moment où il riposte comme il l’a fait jeudi, devant le Congrès.
Un énorme problème
Cette tactique comporte un énorme défaut pour un homme de 81 ans dont la santé mentale, ou du moins la faiblesse inhérente à l’âge, sont des sujets de blagues et de quolibets partout sur la planète, y compris chez les alliés européens de Washington. Combattre comme Mohamed Ali exige d’être agile et rapide. Deux qualités que Biden n’a pas, mais qu’il compense par un mot qui pourrait bien devenir le nerf de la guerre de cette campagne survoltée: l’expérience et le sang-froid.
Biden a survécu à tout. Au très grave accident de voiture qui coûta, l’année de sa première élection en 1971, la vie à sa première épouse. Aux accusations sans cesse portées, à juste titre, contre les pratiques fiscales déloyales de son État du Delaware (la Suisse en sait quelque chose). À la perte de son fils préféré, Beau, décédé d’un cancer en 2015. Aux huit années de présidence Obama, ce patron si charismatique, mais guère efficace. À l’affront que fut, en 2016, la candidature d’Hillary Clinton, qui le battit sur le fil au sein du parti démocrate. Biden a aussi survécu au Covid, cette pandémie qui l’amena à ne presque pas faire campagne en 2020. Survivant, vétéran, patient: voici les trois qualités que Biden va utiliser face à l’ouragan Trump.
Pas bien parti
Le président américain n’est pas bien parti pour être réélu. Trump a l’avantage de la force brute. Mais attention: Biden a un bilan économique. Biden dispose d’une administration solide. Biden défend les droits des femmes. Biden incarne l’Amérique stable envers et contre tout. Imaginons que, d’ici l’été, le calme (sur les cendres insoutenables de Gaza) soit revenu au Proche-Orient, que le gouvernement israélien cesse de vouloir crucifier les Palestiniens pour leur payer à vie l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre, que l’armée russe demeure bloquée en Ukraine, et que l’économie chinoise soit encore plus fragilisée, incitant Pékin à la plus grande prudence. Tout ceci est hypothétique. Les Américains, effarés par l’immigration massive, exigent autre chose qu’un monde plus sûr. Ils veulent des États-Unis protégés et verrouillés. Mais quand même: imaginons que Joe Biden, s’il arrive à gaffer un peu moins, redevienne synonyme de stabilité. Bref, qu'il parvienne à rassurer.
À ce moment-là, dans ces circonstances redevenues favorables, le discours sur l’État de l’Union de l’actuel président disposera d'une recette qui peut mener à la victoire. Sur fond d’images d’assaut du Capitole par les Trumpistes que ses spots de campagne vont rediffuser à coup sûr en boucle, «Joe» le survivant incarnera l’alternative aux peurs et au risque de chaos.
Le boxeur de la Maison-Blanche doit maintenant attendre le bon moment. Subir les coups sur le ring, et patienter. Espérer que Trump, l’homme qui mime toujours avec ses poings le combat sans merci qu’est la politique, baissera sa garde ou trébuchera. C'est à ce moment-là que Biden le survivant pourra riposter. Puis, peut-être, gagner aux points.
Comme, jadis, sur le ring, un certain Mohammed Ali.