Joe Biden en est convaincu: il dispose d’une arme miracle pour battre celui qui sera à nouveau son adversaire lors de l’élection présidentielle du 5 novembre prochain: Donald Trump. Et cette arme se nomme tout simplement le respect et la défense forcenée de la démocratie.
Dans le dernier discours sur l’état de l’Union de son mandat, prononcé jeudi 7 mars devant le Congrès, le chef de l’État américain a insisté sur la destruction assurée des institutions, en cas de retour à la Maison-Blanche de l’ex-promoteur immobilier New-Yorkais, qu'il avait battu en 2020. «Depuis le président Lincoln et la guerre de Sécession, jamais notre liberté et démocratie n’ont été attaquées dans notre pays comme elles le sont aujourd’hui». Les mots sont forts. Malgré son âge, 81 ans, Joe Biden estime être le bouclier de l’Amérique et de sa constitution.
Un bouclier contre quoi? D’abord contre un homme. Jamais ce discours annuel prononcé devant les parlementaires, rituel obligé pour tout président des États-Unis, n’aura été aussi ciblé et personnalisé. En début de semaine, mardi 5 mars, Donald Trump a raflé 14 des 15 États qui organisaient des primaires lors du «Super Tuesday». Une déferlante «Maga» (Make America Great Again, le slogan de Trump) que Joe Biden considère comme un tsunami contre la paix civile en Amérique. Son souhait? «Un avenir basé sur les valeurs fondamentales qui définissent l’Amérique: l’honnêteté, la force morale, la dignité, l’égalité». Sa peur? «Voilà que quelqu’un de mon âge raconte une autre histoire, celle d’une Amérique tournée vers la rancœur, la vengeance et la revanche.»
Biden, vétéran de la politique puisqu’il fut élu pour la première fois Sénateur du Delaware en novembre 1972 à l’âge de 29 ans, mise tout sur la diabolisation de celui qui, dans plusieurs interventions publiques, n’a pas caché son goût des solutions autoritaires, quitte à passer pour un apprenti dictateur.
Un discours plus qu’attendu
Ce discours sur l’État de l’Union était plus qu’attendu. Joe Biden inquiète, y compris en Europe, ce continent auquel il reste lié et dont il défend la sécurité, alors que son prédécesseur et adversaire menace de le laisser exposé aux menaces de Moscou. Le président américain a en effet multiplié les gaffes ces dernières semaines, allant même jusqu’à préconiser des largages aériens humanitaires sur l’Ukraine, au lieu de la bande de Gaza. Il devait donc convaincre en priorité sur trois registres: sa combativité personnelle, sa capacité à promettre autre chose qu’un redressement économique du pays et à affronter le défi de l’immigration massive, et sa vision d’une Amérique aujourd’hui confrontée aux menaces de la Chine et de la Russie, dans un contexte explosif aggravé par le conflit au Proche-Orient entre Israël et le Hamas.
Est-ce chose faite? Oui pour la combativité, notamment contre celui qu’il considère presque comme un ennemi et qu’il a dans le passé désigné comme un tueur et un «fils de p…»: Vladimir Poutine. Je ne «plierai» jamais devant le président russe a déclaré le locataire de la Maison-Blanche. Et d’accuser presque Trump de trahison: «Mon prédécesseur, un ancien président républicain, dit à Poutine: «Faites ce que vous voulez». Je le cite. Un ancien président a vraiment dit ça, se soumettant à un dirigeant russe. Je pense que c’est scandaleux. C’est dangereux, et c’est inacceptable!» Problème: combattre Poutine passe aujourd’hui par une aide militaire et financière à l’Ukraine en guerre. Or celle-ci, à hauteur de 60 milliards de dollars, reste bloquée à la Chambre des représentants dominée par les Républicains pro-Trump.
Le discours 2024 sur l’état de l’Union
Du côté de l’immigration, Joe Biden veut faire la différence entre fermeté et chasse à l’homme. Oui à la traque des migrants coupables de crimes, comme le prévoit une proposition de loi présentée quelques heures plus tôt devant le Congrès, dont l’objectif est de permettre l’arrestation de tout immigré reconnu coupable de vol ou de cambriolage. Non à la campagne de haine semée, selon lui, par Donald Trump, dont une partie de l’électorat est hispanique. «Je ne diaboliserai pas les migrants en disant qu’ils «empoisonnent le sang de notre pays» a asséné Joe Biden. «Nous pouvons nous disputer au sujet de la frontière ou bien régler le problème», a-t-il lancé, appelant le Congrès à adopter une autre proposition de loi sur le contrôle des frontières. Le pari de l’actuel président? Rallier les électeurs immigrés de la première génération, menacés selon lui de devenir, sous une présidence Trump, des citoyens de seconde classe. Même si beaucoup, parmi eux, sont séduits par les discours extrémistes de Donald Trump et la réussite économique à tout prix qu’il incarne.
Un arsenal d’accusations
Sur l’état de l’Amérique enfin, Biden a puisé dans un arsenal d’accusations contre Trump. A commencer par une charge destinée à mobiliser l’électorat féminin, dont les démocrates sont persuadés qu’il sera la clé du scrutin. «Ceux qui se vantent d’avoir annulé la protection fédérale du droit à l’avortement par la Cour suprême n’ont aucune idée du pouvoir des femmes en Amérique […] ils s’en sont rendu compte lorsque la liberté de disposer de son corps a été en jeu dans les urnes et l’a emporté en 2022 et 2023, et ils s’en rendront de nouveau compte en 2024.» Catholique convaincu, d’origine irlandaise, Joe Biden se fait ainsi le porte-parole d’une Amérique qui ne veut pas voir son destin confisqué par les chrétiens évangéliques extrémistes courtisés par Trump.
L’argument de l’expérience
Dernière carte enfin, audacieuse au vu des polémiques sur son âge (né en 1942, il aura 82 ans le 20 novembre): son expérience. «A mon âge, certaines choses deviennent plus claires que jamais» a-t-il expliqué, affirmant être encore capable d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza, sujet très important pour la population arabe américaine (environ 3,5 millions de personnes), traditionnellement fidèle au parti démocrate et ulcérée par le jusqu’au-boutisme impitoyable du gouvernement israélien.
«Je travaille d’arrache-pied pour parvenir à un cessez-le-feu immédiat d’au moins six semaines», qui permettrait la libération des otages israéliens retenus à Gaza, a-t-il ajouté. Une heure à peine avant le discours du président, la guerre à Gaza s’était invitée à Washington: des manifestants munis de drapeaux palestiniens se sont rassemblés près de la Maison-Blanche tandis que d’autres ont bloqué une avenue menant au Capitole. Le convoi de Joe Biden a pris un itinéraire qui a évité les groupes de protestataires.