Robert Cicognini a toujours rêvé grand pour son entreprise de carrosserie et de peinture sur voiture Cico à Gamsen (VS). Le succès étant au rendez-vous, le Valaisan veut construire un hall supplémentaire. Il achète alors un terrain à bâtir, avec l’approbation de la commune. Mais lorsqu’il dépose sa demande de permis de construire pour le hall, c’est la douche froide: le terrain à bâtir doit être déclassé. «Cela m’a complètement pris de court», confie l’entrepreneur que Blick a rencontré dans son atelier.
La raison de ce déclassement? La nouvelle loi sur l’aménagement du territoire, acceptée par les électeurs suisses en 2013, mais rejetée à 80% en Valais, sans surprise. La population du canton est de loin la plus touchée par son application. En effet, la loi prévoit que les communes doivent délimiter les zones à bâtir de façon à répondre aux besoins de construction prévisibles pour les 15 ans à venir. Celles-ci doivent donc déclasser 1000 hectares de terrain à bâtir en zone agricole et 1000 hectares en zone de réserve.
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Gamsen appartient à la commune urbaine de Brigue-Glis qui, selon la situation actuelle, doit reclasser ou déclasser 37,3 hectares de terrain à bâtir. L’entrepreneur valaisan perdrait ainsi pas moins de 6000 mètres carrés.
Le travail d’une vie
Dès qu’il aborde le sujet, Robert Cicognini s’anime. Il faut dire que cette carrosserie est le travail de toute une vie. Il y a 32 ans, il a tout misé et s’est endetté à hauteur d’un million de francs pour monter son entreprise. Au début, il travaillait 18 heures par jour, réparant des carrosseries de voitures et s’occupant de la partie administrative. Seul. Depuis, il a été rejoint par onze employés. Et les affaires fonctionnent. En arrière-plan de la discussion, un ouvrier martèle la carrosserie d’une voiture. Il répare des dégâts causés par la grêle. Un autre accroche des tôles peintes.
Robert Cicognini a déjà pensé à l’avenir de son entreprise. Avec la construction de ce nouveau hall, il voulait séparer les activités de la carrosserie de celles de l’atelier de peinture pour les transmettre à ses deux fils. Conformément au permis de construire délivré par la commune, l’entrepreneur a déjà remblayé le terrain, planifié la viabilisation et fait l’acquisition de plusieurs machines. Si l’on ajoute la diminution de valeur du terrain à bâtir, il perdrait entre 2,5 et 3 millions de francs.
Mais il n’en est pas encore là. Comme de nombreux autres propriétaires fonciers, Robert Cicognini s’oppose juridiquement à la mise en œuvre prévue de la loi sur l’aménagement du territoire de sa commune. «J’aimerais que la commune de Brigue-Glis examine à nouveau les cas difficiles et cherche des solutions. On ne peut tout de même pas planifier une telle chose sur une planche à dessin. Cela impacte des vies», soutient-il.
Trop de terrains à bâtir classés pendant des années
Comment se fait-il que le Valais doive déclasser autant de terrains? Durant des années, les communes ont délimité trop de zones à bâtir, contrairement aux dispositions légales. Désormais, ils doivent rétropédaler. Si certains propriétaires fonciers ont bien profité du système et sont devenus millionnaires quasiment du jour au lendemain – sans jamais avoir versé un franc de taxe sur la plus-value – d’autres ont sorti l’argent de leur poche, à l’instar de Robert Cicognini, et sont plus durement touchés.
L’un d’entre eux est Odilo Zumthurm, 77 ans, de Brigue-Glis. L’actuel retraité a été entrepreneur pendant des décennies: il a tenu le buffet de la gare de Brigue avant sa retraite. Toutes ses économies, il les a placées dans des terrains à bâtir, «comme placement financier et pour mes enfants».
En l’espace de deux décennies, Odilo Zumthurm a investi plus de 700’000 francs dans plusieurs parcelles et a hérité d’autres terrains à bâtir pour près 225’000 francs à l’époque. La valeur de son terrain a nettement augmenté ces dernières années. Désormais, il pourrait tout perdre. La majeure partie des zones concernées devrait être reléguée au rang de réserve, voire de terre agricole. «Les terrains qui subsisteront ne pourront plus être mis en valeur de manière rentable», estime-t-il. Il a décidé de s’opposer juridiquement au déclassement, tout comme Robert Cicognini.
Reste-t-il une marge de manœuvre?
La commune a connu une forte croissance ces dernières années grâce à la proximité de l'entreprise chimique Lonza à Viège. Si elle pouvait prouver une évolution démographique plus forte que dans les calculs initiaux, elle pourrait avoir une marge de manœuvre. Après la création d’une communauté d’intérêts des propriétaires fonciers, la commune a finalement réagi et mis en place une commission. Cette dernière doit réexaminer la mise en œuvre prévue de la loi sur l’aménagement du territoire.
«La procédure de participation est en cours et les comptes sont réexaminés. Mais notre croissance démographique est encore plus faible que ce que le canton avait prévu dans les comptes précédents», prévient Patrick Hildbrand, conseiller municipal en charge du dossier.
En automne 2023, la commune de Brigue-Glis doit voter sur le plan de zone et les déclassements prévus. De nombreuses personnes directement concernées devraient alors faire opposition.