Comment vous sentez-vous? Bien, moyennement ou plutôt mal? Si vous êtes dans ce dernier cas, mais que vous ne voulez pas le dire à voix haute, vous n’êtes pas seul.
En Suisse, les émotions – surtout négatives – sont souvent dissimulées. Mais on ne savait pas exactement à quel point. Une étude représentative réalisée par l’institut de recherche Sotomo sur le site de Blick à la demande de l’assurance maladie Helsana montre clairement comme ce phénomène est répandu. Plus de 5550 personnes de plus de 18 ans y ont participé.
Une personne sur quatre déclare aller «bien» ou «moyennement bien». Mais lorsque l’on pose des questions plus précises, les résultats montrent clairement que celles-ci ressentent presque exclusivement des émotions négatives telles que le stress ou l’épuisement.
Dans l’ensemble, l’enquête démontre que l’ambiance en Suisse n’est pas folle. De nombreuses personnes sont certes satisfaites (41%), mais les sentiments de surmenage sont tout aussi fréquents: 39% se disent épuisés, près de 30% stressés et 38% sont inquiets.
Surpris par l'état psychologique des sondés
«L’ampleur du mauvais état psychologique, et notamment de l’épuisement, nous a surpris», déclare Anna John, responsable du projet Sotomo et autrice de l’étude.
Les raisons de cette tendance à la déprime sont multiples. La crise mondiale est le plus souvent citée. Mais celle-ci attriste surtout les personnes qui jouissent d’un état émotionnel positif. Chez les personnes qui sont vraiment de mauvaise humeur, l’épuisement trouverait sa source ailleurs: le travail. «Nous vivons dans une société qui valorise la performance, poursuit la responsable. Et ce culte se répercute aussi sur le rapport à l’activité professionnelle.»
Mais le travail n’est pas le seul problème. «Les personnes à tendance joyeuse considèrent même souvent le travail comme une source de sentiments positifs.» Près de 28% des hommes et 28% des femmes se sentent épuisées au boulot. Mais des divergences apparaissent au niveau du temps libre. Encore 27% des femmes se disent surmenées même pendant leur temps libre, tandis que le chiffre tombe à 19% chez les hommes. «La double charge du travail rémunéré et des tâches ménagères, dont les femmes sont bien plus responsables, joue ici un rôle important», éclaire l’autrice.
Culte de la performance et de l’optimisation
D’une façon générale, les femmes semblent plus déprimées que les hommes. Les jeunes en tête. Près de 71% des sondées âgées de 18 à 24 ans se disent épuisées, plus de la moitié stressées et 42% sont tristes. À l’autre bout de spectre, chez les sondés de plus de 64 ans, à peine 12% sont épuisés et 15% stressés. «L’étude exprime un état d’épuisement collectif des jeunes et en particulier des jeunes femmes en Suisse», formule Anna John dans sa conclusion.
Plusieurs raisons sont évoquées. D’une part, les jeunes adultes sont fortement marqués par le culte de la performance et de l’optimisation. Différentes études menées pendant la pandémie ont conclu que cette tranche de la population suisse se sentait de plus en plus mal psychologiquement. «Et nous constatons maintenant qu’ils ne se sont pas rétablis malgré la levée des mesures», regrette l’autrice.
Et la situation actuelle en Ukraine n’aide pas, affirme Joëlle Gut, psychologue. «Du côté des psychothérapeutes, il y a beaucoup trop peu de places de thérapie en raison de la forte demande, se désole-t-elle. Ce qui complique encore les choses pour nos jeunes patients.»
Les seniors, à l’inverse, se plaignent le moins de stress et d’épuisement. L’une des raisons évoquées? Probablement la retraite. «Les gens ont plus de temps à disposition et sont moins à la merci d’exigences de performance», explique l’autrice de l’étude. Parallèlement, on développe avec l’âge une certaine sérénité, «surtout en ce qui concerne la gestion de ses propres émotions», poursuit Anna John.
Les jeunes femmes au bout du rouleau
Est-ce normal que les jeunes femmes soient les plus épuisées? Ce point n’étonne en tout cas pas du tout la sociologue et chercheuse genre Franziska Schutzbach. On leur a promis l’émancipation, assène-t-elle. Et en même temps, les idées très traditionnelles, comme celle de la femme au foyer parfaite, sont encore très ancrées en Suisse. «Les femmes doivent faire carrière, être à la fois mère, femme au foyer et disponibles sexuellement, énumère l’experte. Mais elles souffrent énormément de devoir correspondre à tous ces rôles! Et ce même si elles n’ont pas elles-mêmes des enfants.»
De plus, en termes de carrière, les femmes doivent aujourd’hui encore se démener: elles doivent fournir des efforts bien plus importants pour atteindre les mêmes résultats qu’un homme. Pour Franziska Schutzbach, c’est bien clair: seule une véritable égalité apporterait une amélioration. Ce qui ne se fera pas du jour au lendemain.
Quelques pistes existent
La santé mentale des Suisses et Suissesses n’est donc en général pas au beau fixe. Comment peut-on se rendre les choses plus faciles? Les experts suggèrent de s’appuyer sur nos amis, ou de puiser notre force dans notre relation de couple. La proximité physique pourrait également aider. Un tiers des personnes interrogées souhaiterait ainsi davantage de câlins.
Ce qui n’est pas une mauvaise idée selon Joëlle Gut: il est important de renouer avec une proximité émotionnelle et physique oubliée pendant la pandémie, explique la psychologue. Et tous et toutes gagneraient à parler plus ouvertement de leurs sentiments. Pour y parvenir, la psychologue conseille d’être plus directs, comme «Comment vous sentez-vous vraiment?»