Cet avis de droit, que Blick s’est procuré, tient sur 14 pages. Il doit sacrément soulager la conseillère d’État vaudoise Valérie Dittli. Souvenez-vous. Embourbée dans des polémiques sur son passé universitaire et sur sa situation fiscale après des révélations de la RTS et de «24 heures», la ministre des Finances du Centre avait annoncé — avant que le gouvernement ne décide de nommer un expert indépendant — qu’elle mandaterait un spécialiste de son choix pour faire toute la lumière sur ses déclarations d’impôts zougoises, malgré son arrivée au bord du Léman en 2016.
C’est Yves Noël qui s’en est chargé. Cet avocat et professeur à l’Université de Lausanne (UNIL), qui fut par ailleurs secrétaire général du Département des finances dans les années nonante, a rendu un avis de droit estampillé «confidentiel» sur le domicile fiscal de la magistrate, de 2017 à 2022.
Il ressort de cette analyse plusieurs aspects intéressants. Ce travail démontre aussi comment des éléments a priori secondaires sont en réalité déterminants dans ce dossier. Par exemple: l’âge de la jeune élue, née le 7 octobre 1992.
Avoir moins de 30 ans ferait la différence
Allons-y pas à pas. L’expert constate notamment que Valérie Dittli a effectué un cycle académique complet en enchaînant bachelor, master et doctorat avant l’âge de 30 ans. Or, ce n’est qu’à partir de la trentaine que la jurisprudence fédérale présume qu’un jeune adulte a créé des liens plus forts sur son lieu de travail qu’auprès de sa famille, où il demeure formellement domicilié, et ce même s’il y retourne pendant les vacances ou les week-ends, assure en substance Yves Noël. Dans le cas de la ministre vaudoise: le lieu de travail étant la ville de Lausanne et son lieu de domicile la commune zougoise d’Oberägeri, où elle a grandi et où vivent toujours ses parents.
«Avant 30 ans, en l’absence de présomption en faveur du lieu de travail, seule l’existence de liens spéciaux avec celui-ci permet à l’autorité de taxation de considérer qu’il l’emporte sur le domicile familial et la preuve en incombe au fisc du canton qui revendique ce nouveau domicile», couche sur papier le professeur de l’UNIL. Il assène, un peu plus loin: «Sur la base des renseignements en possession du soussigné, on ne trouve rien de tel chez Valérie Dittli pendant la période de son doctorat, dont le parcours de vie à ce moment-là a été semblable à celui des doctorants vaudois ou suisses.»
L’expert reconnaît cependant que la question aurait pu se poser «dès 2021», «entrée officielle en politique» de la centriste et année de sa candidature à la Municipalité de la capitale vaudoise. «Mais c’est précisément au début de cette année-là que Valérie Dittli a annoncé une première fois son domicile principal à Lausanne», note-t-il.
Yves Noël reprend les éléments un à un: «Non élue en mars 2021 à la Municipalité de Lausanne ni au Conseil communal, sans plus d’activités ni d’avenir prévisible dans le canton de Vaud, Valérie Dittli a alors honoré l’engagement qui était le sien depuis le 2 octobre 2019 d’effectuer son stage d’avocate en ville de Berne à partir du 1er avril 2021. Elle a annoncé en juin son domicile lausannois comme à nouveau secondaire, Oberägeri redevenant son domicile principal.»
Un destin politique improbable
L’avocat relève que l’élue «a donc dirigé le début de sa carrière active vers la Suisse-allemande.» Un projet qui n’aurait changé «qu’en cas d’élection à la Municipalité de Lausanne», une hypothèse qu'il juge «peu probable».
Toujours selon lui, «le rapatriement de ses papiers au domicile principal zougois a de ce fait correspondu à ce qu’un tiers pouvait percevoir de la suite de sa carrière, c’est-à-dire un retour en Suisse-allemande. Il n’est pas hasardeux de considérer que personne à ce moment-là (et probablement pas même l’intéressée) n’imaginait ce qu’il allait advenir dans les premiers mois de l’année suivante (sa désignation comme candidate au Conseil d’État d’abord, puis son élection).»
Fait cocasse: à mi-2021, l’autorité fiscale zougoise aurait même pu questionner l'hypothétique maintien à Lausanne du domicile principal d’une de ses anciennes contribuables, toujours âgée de moins de 30 ans, effectuant son stage d’avocat à Berne, sans plus d’activité dans le canton de Vaud et revenant régulièrement dans la maison familiale, où elle disposait toujours de sa chambre. «Le rapatriement du domicile principal à Zoug à la fin de la campagne pour la Municipalité a ainsi correspondu aux exigences légales», tranche celui qui est aussi juge assesseur au Tribunal des Prud’hommes de l’Administration cantonale vaudoise.
Conséquence? «La situation de Valérie Dittli est certes inhabituelle quant aux faits pour les années 2021-2022, commente encore Yves Noël. Elle découle avant tout des aléas de la vie politique combinés à la mobilité intercantonale grandissante de ses acteurs, auprès d’un électorat qui ne réserve plus ses suffrages aux seuls ressortissants cantonaux. Le cas d’espèce en est la démonstration. Mais au niveau du droit, les règles sur le domicile civil et l’assujettissement fiscal ont été respectées par Valérie Dittli à chacune des étapes ayant impliqué le canton de Vaud.» À voir, maintenant, si l’expert indépendant genevois mandaté par le Conseil d’État pour faire les mêmes vérifications arrivera… aux mêmes conclusions.
Comment réagit Valérie Dittli à cet avis de droit? S'estime-t-elle désormais lavée de tout soupçon? Connaît-elle personnellement Yves Noël? S'attend-elle à ce que le spécialiste de la cité de Calvin fasse la même analyse? Nous lui avons adressé dimanche soir l'ensemble de ces questions. Mais la conseillère d'État n'a pas souhaité faire de commentaire.