Le sénateur a déposé une motion
Mauro Poggia veut la fin de l'anonymat sur le web, un combat perdu d'avance?

Le conseiller aux États Mauro Poggia a déposé une motion qui vise à en finir avec l'anonymat sur le web, le 22 décembre 2023. Mais seuls les commentaires sur les sites des médias suisses seraient concernés. Fausse bonne idée? Éclairage d'un avocat en droit des médias.
Publié: 08.01.2024 à 16:22 heures
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Dernière mise à jour: 08.01.2024 à 19:03 heures
L'élu Mauro Poggia a déposé, le 22 décembre dernier, la motion: «Lutter contre les propos haineux sur internet. L’argent public ne doit pas soutenir l’anonymat des commentaires»
Photo: keystone-sda.ch
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Le conseiller aux États genevois Mauro Poggia, à peine élu, veut faire la peau aux trolls qui déversent leur haine sur la toile sous couvert d'anonymat. Enfin, à ceux qui le font sur les sites web des médias suisses, ou sur les forums bien de chez nous, du moins (faute de mieux, on y reviendra).

La tête de proue du Mouvement citoyen genevois (MCG), qui siège à Berne aux côtés des élus de l’Union démocratique du centre (UDC), a déposé une motion en ce sens le 22 décembre dernier, relevait «Le Temps».

Il s’agit, plus précisément, de demander au Conseil fédéral de prendre «des mesures» pour que les médias ou les forums suisses «qui bénéficient de subventions» (c’est-à-dire quasi tous) mettent fin à l’anonymat de leurs utilisateurs, dans les sections commentaires des articles ou dans les discussions en ligne.

Injures aux frais du contribuable?

Les diffuseurs et éditeurs suisses, qui reçoivent directement ou indirectement de l’argent public, seraient ainsi «obligés d’imposer que les auteurs desdits commentaires soient identifiables […] aux yeux du public.»

Selon le motionnaire, la liberté d’expression doit certes «être garantie» sur la place publique comme sur le web. Mais, pour Mauro Poggia, «l’agent public ne saurait soutenir plus longtemps le flot de propos injurieux et haineux auxquels on assiste actuellement».

Autrement dit, à défaut de pouvoir réglementer l’anonymat sur les réseaux sociaux (qui échappent, évidemment, à la loi suisse), l’élu s’en prend aux quidams qui pestent anonymement sur les plateformes locales.

Surtout pour la presse en ligne

Les espaces commentaires des sites web des médias suisses seraient ainsi la principale cible de Mauro Poggia. «Le Temps» l’exemplifie avec le cas de la «Tribune de Genève».

Sur les plateformes du quotidien genevois, les lecteurs peuvent réagir aux articles sous pseudonyme. Ce qui peut donner lieu à des dérives, en termes d’injures et de vulgarité.

La véritable identité des utilisateurs est cependant connue de la rédaction, grâce au formulaire d’inscription, précise le rédacteur en chef du quotidien du bout du Léman Frédéric Julliard à nos confrères. Si le texte de Mauro Poggia venait à être adopté, cela signifierait que les lecteurs de la «Tribune» ne pourraient plus commenter d’articles sans dévoiler leur vrai nom et prénom au monde.

La liberté d’expression en question

Une mesure qui pourrait faire grincer des dents les plus fervents défenseurs de la liberté d’expression. Interrogé quant à la pertinence du projet, l’avocat genevois spécialisé en droit des médias, Nicolas Capt, se dit «partagé» sur la question.

Il s’explique: «D’un côté, l’anonymat des commentaires sur les médias en ligne est de nature à favoriser des propos déplacés, sinon illicites. Et à tuer un débat serein par du trolling tous azimuts. Mais, d'un autre côté, le souhait de préserver son anonymat peut aussi s’expliquer par des motifs légitimes. La question est donc assez complexe…»

Un coup d’épée dans l’eau?

Quid de l’efficacité réelle du texte? Aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, les sections commentaires des sites web des médias suisses ne sont que de minuscules îlots isolés, perdus dans l’océan numérique.

Mais surtout, les médias d’ici comme d’ailleurs repartagent, tous ou presque, leurs contenus sur Facebook, Instagram, X… Alors à quoi bon tenter de faire disparaitre les propos injurieux des sites web suisses, s'ils risquent, de toute façon, de (ré)apparaître sur ces plateformes? 

Nicolas Capt ne manque pas de soulever cette problématique: «Le fait que les réseaux sociaux soient hors du périmètre traité me paraît de nature à relativiser l’impact réel de la démarche… Dès lors que ne seront concernés que les commentaires postés dans les espaces dédiés d’entités suisses, bénéficiant d’aides à la presse».

Contacté, Mauro Poggia rétorque: «Ce n’est pas parce que les réseaux sociaux sont hébergés à l’étranger que nos médias nationaux pourraient contourner une loi suisse, en mettant leurs articles en ligne impunément sur ces réseaux. Le penser revient à imaginer que nos collectivités seraient dupes, et se plieraient à la mauvaise foi.»

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