Ce gendarme a-t-il franchi la ligne rouge en exhibant une ligne bleue? Oui, répond Mathilde Marendaz. La députée d'Ensemble à Gauche annonce à Blick vouloir agir au Grand Conseil vaudois.
Pour comprendre, il faut remonter à mercredi, troisième jour d'un procès imprégné d'enjeux politiques. Six agents lausannois sont jugés pour la mort du Nigérian Mike Ben Peter, décédé après une interpellation musclée, lors d'un contrôle de police anti-drogue en 2018.
Ce 14 juin, la tension est encore montée d'un cran. Un membre du dispositif de sécurité de la salle d'audience arborait sur son gilet pare-balles l'insigne Thin Blue Line Switzerland, comme semble le montrer une photo publiée par le site militant renverse.co.
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L'emblème représente la solidarité internationale entre les forces de l'ordre, mais a été récupéré par l'extrême droite étasusienne, relèvent «Le Temps» et «24 heures», repris par «20 minutes». Le symbole, interdit dans plusieurs pays, est autorisé par la police cantonale vaudoise depuis 2017.
Une deuxième photo polémique en quelques jours
Déjà sous pression après la publication par l'émission «Mise au point» de la RTS d'une photo montrant un policier posant avec le pouce levé à côté d'un graffiti en hommage à Mike Ben Peter, le commandement a réagi rapidement. Ce dernier «a décidé de retirer immédiatement du dispositif de sécurité le gendarme qui arborait la Thin Blue Line sur son gilet pare-balles, écrit son service de presse, dans un e-mail adressé à Blick. Il arborait ce symbole uniquement dans le cadre du contexte de base initialement validé et aucunement dans une autre approche».
La police cantonale promet «d’analyser la situation et de prendre les mesures en conséquence». En attendant, «ce symbole ne sera plus arboré par le personnel en uniforme».
L'élue yverdonnoise Mathilde Marendaz espère que ce patch désormais associé au racisme sera définitivement interdit dans son canton. Dans cette interview, la jeune ex-zadiste, militante antiraciste, revient aussi sur l'image qui lui a valu d'être visée par une plainte pénale de l'Association professionnelle des gendarmes vaudois, fin mai.
Mathilde Marendaz, vous êtes députée. Le port de la Thin Blue Line par un policier assurant la sécurité au procès de ses collègues jugés pour la mort de Mike Ben Peter vous a-t-il choqué au point de porter le sujet au Grand Conseil?
Oui, avec mon groupe, nous allons sûrement regarder ce qu’il est possible de faire pour questionner le Conseil d’État à ce propos ou si une intervention, comme une résolution, un postulat ou autre, est nécessaire.
Après l’avoir autorisé en 2017, le commandement de la police cantonale a décidé d’interdire le port de ce symbole le temps «d’analyser la situation et de prendre les mesures en conséquence». Ça ne vous satisfait pas?
C’est un premier pas, nécessaire. La police ne doit pas porter ce symbole associé à une extrême droite raciste aux États-Unis. Il n’est plus possible de l’arborer de manière neutre puisqu’il est désormais revendiqué par de tels groupes. J’espère que les forces de l’ordre en prendront conscience avant une intervention politique.
Comme le soulignent les forces de l’ordre, la Thin Blue Line est d’abord le symbole du rôle protecteur de la police dans la société. Il a certes été récupéré par l’extrême droite, mais ça n’en fait pas pour autant un emblème de cette frange de l’échiquier politique, non?
On ne peut pas déconnecter un tel symbole de son histoire, très récente. Parce que le doute subsistera toujours au sujet des intentions du fonctionnaire qui le porte. Du moment que la Thin Blue Line est associée à des appels à la haine raciale, à l’assaut du Capitole par les adeptes de Trump, et qu’elle a été utilisée en opposition au mouvement antiraciste Black Lives Matter, elle n’est plus neutre. Et peut ainsi être perçue comme un affront par des personnes avec lesquelles interagissent les fonctionnaires.
Ça vous heurte qu'elle ne soit pas interdite dans le canton de Vaud?
J’ai été très surprise par cet état de fait, sachant que son port est interdit dans différents pays. Pas seulement aux États-Unis. En France, le chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale a pris position contre et demande à ses officiers de l'exclure. D’autre part, à mes yeux, le fait d’arborer ce logo sur son uniforme (ndlr: le gendarme vaudois le portait sur son gilet pare-balles) est contraire à la directive sur la tenue vestimentaire du personnel de l’administration cantonale.
Qui dit quoi?
Qui dit, entre autres, que la tenue du personnel doit «être conforme aux principes généraux de neutralité et de réserve évoqués ci-dessus, de telle sorte à ne pas heurter les personnes avec lesquelles il est en contact.». C’est très clair.
Selon la police cantonale, le gendarme n’arborait pas la Thin Blue Line pour faire passer un message politique. Vous pensez qu’il la portait par affinité avec l’extrême droite?
Je n'en sais rien. Le problème est bien là: comment en être sûre? Il me paraît toutefois difficile de concevoir qu’un agent ne soit pas au courant des polémiques entourant le symbole qu’il porte. Et, dans le cadre du procès autour de la mort de Mike Ben Peter, j’ai de la peine à croire que le gendarme n’ait pas réalisé que c’était inapproprié. Les policiers font ce qu’ils veulent durant leur temps libre, mais ils ne peuvent pas porter une si forte symbolique lorsqu'ils sont en fonction.
A la fin du mois de mai, vous avez choqué la droite après avoir posé avec une pancarte sur laquelle figurait l’acronyme «ACAB», qui signifie «tous les policiers sont des bâtards». Aujourd’hui, c’est vous qui êtes scandalisée. L’arroseuse arrosée?
Il faut préciser qu’il n’y a pas de comparaison juridique possible entre la liberté d’expression d’une élue et le devoir de réserve qui incombe à un agent de l'État en exercice.
Venons-en à la pancarte.
À propos de la pancarte que j'ai ramassée pendant une manifestation contre l’entreprise de bétonisation qu’est Orllati SA, le message était de toute évidence une critique écologiste envers cette entreprise (ndlr: le slogan principal était «mange tes morlatti» (sic)). Je n’ai pas consacré ma publication à cet acronyme gribouillé en petit, minime sur la pancarte, dont je ne suis d'ailleurs pas l'auteure. En résumé, je n'ai pas insulté de policiers.
Vous regrettez?
Je regrette, oui, le sens littéral de ce slogan, auquel je ne m'identifie pas. C'est pour ça que j'ai supprimé la photo de mes réseaux sociaux. Et je me suis excusée auprès des personnes que j'ai blessées et qui se sont senties visées. J'ai ensuite expliqué que ce slogan est parfois utilisé par différents groupes vulnérables, victimes de violences ou d'abus policiers, et que là, on doit les écouter.
Par exemple?
Par exemple, des individus qui subissent des délits de faciès raciaux, ou des manifestants qui vivent des atteintes injustifiées à leurs droits d'expression. Une personne ayant subi des traitements disproportionnés ou violents lors d’une manifestation se sentira peut-être en danger devant des uniformes. Pareil pour un enfant, ou une veuve, dont le père, ou le mari, est mort à la suite d'une intervention policière. Ils seront marqués à vie. On doit écouter leur souffrance et leurs voix, et protéger le droit de critiquer la police.
Comprenez-vous que des poils se soient hérissés?
Je comprends que cette histoire ait heurté. Après, des groupes politiques m'ont prêté des propos que je n'avais pas tenus. Mais, aujourd'hui, je ne vais pas m'arrêter de lutter sur le fond, et de combattre certains problèmes existants au sein de la police. On ne peut pas fermer les yeux sur des problématiques connues à l'intérieur de la police, comme le racisme ou la limitation des droits des manifestants. Or ces situations ont de réelles conséquences sur la vie et l’intégrité des gens. Et sur leur sentiment de sécurité.