Davos s’est parée de bleu et de jaune. À l’entrée de la ville, une grande bannière arborant les couleurs officielles des armoiries de la commune grisonne accueille les visiteurs du Forum économique mondial (WEF). Ces couleurs, ce sont les mêmes que celles du drapeau ukrainien. Une coïncidence riche en symboles puisque le premier jour de ce sommet a été consacré à ce pays attaqué par la Russie.
«Rien qu’aujourd’hui, nous avons perdu 87 personnes et l’avenir de l’Ukraine se fera sans ces 87 personnes», a asséné le président ukrainien, Volodymyr Zelensky dans une allocution vidéo ce lundi. Le dirigeant a critiqué les discussions et les réunions de Davos alors que son pays se bat pour sa survie. Il a reproché aux pays étrangers d’avoir ignoré les précédents avertissements de l’Ukraine, ce qui a eu des conséquences fatales. «Si cette unité, cette pression sur les gouvernements et les entreprises avaient existé plus tôt, la Russie aurait-elle déclenché cette guerre? Je suis sûr que la réponse à cette question est non.»
Des exigences plus importantes
Le président ukrainien a déploré que des sanctions soient prises uniquement lorsque quelque chose de grave et d’irréversible se produit. L’aide financière, politique et militaire est d’autant plus précieuse lorsqu’elle arrive rapidement. «Si nous avions reçu tout cela dès la fin février, des dizaines de milliers de vies auraient été sauvées.»
Volodymyr Zelensky a exigé des sanctions maximales contre la Russie: un embargo sur le pétrole, l’exclusion de toutes les banques russes du trafic des paiements et des sanctions contre le secteur informatique. Les avoirs russes devraient être systématiquement recherchés, saisis ou gelés. Un point central de son discours était en outre la reconstruction de l’Ukraine, à laquelle il souhaite s’atteler le plus rapidement possible.
Les participants du WEF ont offert une standing ovation au dirigeant ukrainien. D’autres représentants de son pays étaient, eux, présents au congrès comme Yevheniya Kravchuk, une députée de premier plan du parti de Volodymyr Zelensky.
«Le président a dit exactement ce qu’il fallait. Chaque chef d’État et de gouvernement, chaque dirigeant économique peut décider chaque matin de soutenir l’Ukraine», déclare Yevheniya Kravchuk dans un entretien accordé à Blick. Elle a voyagé pendant 19 heures en train jusqu’à Varsovie, puis a pris l’avion pour la Suisse afin de convaincre les participants du WEF à faire pression au maximum sur la Russie.
«En plein cœur de l’Europe, des enfants sont tués et des femmes violées»
La députée porte un chemisier blanc orné de vychyvanka, un motif de broderie traditionnel de son pays. Elle a ramené un morceau d’obus d’artillerie ramassé dans une rue à Kiev. «En plein cœur de l’Europe, des enfants sont tués et des femmes violées, on enlève des gens et on les met dans des camps de concentration. C’est l’horreur à l’état pur. Dans ce conflit, il n’y a que du noir et du blanc et on ne peut pas se trouver quelque part au milieu», martèle Yevheniya Kravchuk en faisant référence à la Suisse.
Après l’allocution du président, c’est au tour de la première dame ukrainienne de faire une apparition en visioconférence. L’apparition des frères Klitschko lundi a par ailleurs été très remarquée. Vitali Klitschko, le maire de Kiev, s’est adressé au public. «Nous vous défendons tous, a-t-il clamé, avant de supplier qu’il est important que vous continuiez à soutenir l’Ukraine.»
Que peut faire la Suisse?
Les hommes de Volodymyr Zelensky n’ont pas encore reconquis l’Ukraine, mais ils ont conquis le cœur d’une bonne partie de l’Occident et ont réussi à attirer l’attention à Davos. «C’était un discours très percutant qui nous a fait comprendre que nous ne devons pas nous habituer à la situation. Car la guerre est une réalité amère pour beaucoup de gens en Ukraine», a analysé Robert Habeck, vice-chancelier allemand et ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, après l’intervention du président ukrainien.
Le président de la Confédération Ignazio Cassis a lui aussi été impressionné par le discours de son homologue ukrainien. Le conseiller d’État grison Christian Rathgeb s’est montré pensif: «Zelensky nous a tous appelés à réfléchir chaque jour à la manière dont nous pouvons aider l’Ukraine.»
Pour les Ukrainiennes et les Ukrainiens, la manière dont la Suisse peut aider est claire. Ils ont besoin d’argent, et d’armes. C’est «la meilleure aide humanitaire», assure la parlementaire ukrainienne Yevheniya Kravchuk. En coulisses, l’Allemagne et les États-Unis font pression sur la Suisse pour qu’elle autorise les livraisons de munitions pour les chars. On dit que notre pays ferait une erreur intellectuelle.
Pour le moment, rien ne laisse toutefois présager que la Suisse change d’avis sur cette question. Dans son discours au WEF, Ignazio Cassis a souligné les limites à ne pas dépasser pour la Suisse, définies notamment par sa neutralité. La coopération internationale est autorisée, mais pas l’adhésion à des alliances militaires ni la livraison d’armes à des belligérants.
(Adaptation par Louise Maksimovic)