«Je me demande surtout comment les jeunes évadés ont fait pour se mettre à dix dans une voiture», rigole ce mardi 6 février Monique Cadal, en bordure du village valaisan de Réchy (VS), entre Granges et Chalais. C’est à quelques centaines de mètres de chez elle, au-delà des pâturages, de ses chevaux et de ses ânes que trois jours plus tôt, dix délinquants de 17 à 24 ans se sont fait la malle du Centre éducatif fermé de Pramont.
Au passage, les fugitifs ont blessé un gardien et volé une voiture dans une habitation avoisinante. Sur les douze derniers mois, il s’agit de la troisième évasion, pour un total — selon le «Nouvelliste» — de 16 criminels disparus dans la nature avant d’avoir purgé leur peine et avant d’être retrouvés, pour la plupart.
Dans la boue, la forêt et les villages environnants, Blick est parti à la rencontre des riverains qui ont désormais l’habitude de ces cavales. Près de Pramont, ainsi que du pénitencier pour adultes de Crêtelongue, ils restent étrangement sereins face aux escapades à répétition.
Fermer sa voiture à double tour
«On ne l’a pas su tout de suite, mon petit-fils me l’a appris après l’avoir lu dans Blick, nous confie Monique Casal. La police de proximité tourne assez souvent, c’est un quartier très calme. On ferme nos voitures à clef, mais c’est tout.» L’attention particulière à verrouiller son véhicule, c’est la principale — si ce n’est l’unique — précaution prise par les habitants. La jeune retraitée, auparavant éducatrice, compatit avec les professionnels de Pramont, qui «travaillent avec une population difficile».
Seule dans sa maison au milieu des vignes, l’une des plus proches de Pramont, Maria Costa Clivaz dit n’avoir jamais eu de problème… ou presque: «Enfin, à part la fois où ils nous ont volé la voiture pour s’évader. Mais c’était dans les années nonante.» La quasi octogénaire se souvient (malgré sa mémoire brouillonne) que deux jeunes hommes, cachés autour de son domicile, avaient dérobé son véhicule dans son garage. Son mari ne l’avait pas cru tout de suite.
«À l’époque, ma fille et moi avions la même auto, raconte l’ancienne sommelière. J’ai cru que c’était elle qui partait à toute vitesse de chez nous.» Elle en est sûre, les évadés ont tort de ne pas penser à l’après-évasion: «Une fois que la police les aura retrouvés, ils seront surveillés encore plus durement.»
Au cœur de Réchy, malgré les évasions en série, la vie est tranquille: «Dès qu’il se passe quelque chose, il y a toujours beaucoup de policiers dans le village, dans la forêt et autour de la prison, assure une dame âgée en promenade. Et ce, jusqu’à ce qu’ils les trouvent.» Sur les dix évadés de samedi, six courent toujours à l’heure qu’il est.
Attention aux outils mis à dispo
Pas de quoi faire peur au retraité Xavier Mathieu, croisé au bord du village: «Faudrait vraiment tomber au mauvais endroit au mauvais moment», rassure-t-il au sujet des risques encourus par les gens du coin lors d’évasions. Il a une hypothèse à propos du cas récent: l’alarme aurait été déclenchée à retardement. «Ceux qui s’échappent cherchent surtout à quitter le secteur le plus vite possible, imagine l’homme rencontré alors qu’il s’occupait de ses poules. La seule chose qu’ils pourraient faire, c’est voler les véhicules ou choper de l’argent.»
Le féru de montagne dit connaître «un peu» l’intérieur des locaux de Pramont. «Plus jeune, on allait jouer au foot dans le centre l’hiver, se souvient-il. J’ai même commandé des meubles là-bas, qu’ils fabriquaient comme mesure de réinsertion. Un copain y travaillait comme formateur bois et m’a expliqué que c’était compliqué avec les jeunes. Il faut faire attention avec tous les outils qu’on met à leur disposition.»
Pas de la haute sécurité
Un peu plus loin, en direction de Granges, au camping Robinson, l’heure est au loto. Dans son café-restaurant rempli de séniors, la patronne n’a pas le temps de nous répondre. Seul un habitué assis sur la terrasse, la barbe en broussaille, une pression à la main, est disposé à parler de la vie à côté des pénitenciers. «Ils ne s’amusent pas à venir au camping, certifie celui qui loge à l’année dans l’une des caravanes. À chaque évasion, c’est le premier endroit où la police vient les chercher.»
Pour lui, s’évader de Pramont ne «doit pas être bien compliqué»: «C’est pas la haute sécurité de Champ-Dollon (GE), mais même là-bas, il y a eu des évasions.» Il estime que peu importe le niveau de surveillance, l’envie d’air libre des jeunes finit toujours par prendre le dessus. «Un gamin de 17 ans enfermé 23 heures sur 24, il n’a qu’un seul but, c’est de foutre le camp, grogne celui qui en a vu d’autres. Mais dix évadés en une fois, c’est beaucoup. Ç’a dû se passer tellement vite que le gardien en a pris plein la gueule.»
En effet, selon des sources du «Nouvelliste», le gardien était seul. «Faut attendre les résultats de l’enquête, pis c’est tout», ponctue le campeur. Une nouvelle bière arrive à sa table.
«Les crapules, il faut les isoler»
Reprenons notre balade. Au sud de Pramont, un obstacle de taille se met en travers de toute escapade: le Rhône. Difficile d’imaginer des prisonniers le traverser pour s’échapper.
«Ne leur dites surtout pas de passer par chez nous, s’alarme en rigolant l’habitante d’une maison le long du fleuve. Une voiture, des vélos, il y a tout ce qu’il faut. Mais on n’a jamais eu aucun problème, sans doute parce que notre maison a l’air inhabitée sur Google Maps.» Pour elle, les évasions ont un modus operandi qui se répète: «Je pense qu’ils s’enfuient tous par le même endroit, qu’ils repèrent lors de leurs marches. Ils doivent se passer le mot.»
Du côté de Granges, en direction de Sion, une femme range ses courses. Elle aussi est très tranquille: «Je connais pas mal de monde dans le coin, mais on n’en a pas trop parlé. On ne s’inquiète pas trop. S’ils sont dans cette prison, c’est qu’ils n’ont pas fait grand-chose.»
Xavier Mathieu, à Réchy, n’est pas de cet avis. «J’espère qu’ils les chopent, sinon ça donne des idées aux autres, grommelle le Valaisan. C’est surtout pour le personnel de garde, éviter qu’il leur arrive quelque chose de grave une prochaine fois. À un moment, les crapules, il faut les isoler et surtout ne pas leur donner plus que ce qu’on a nous.»