Ce sont des déclarations qui donnent la chair de poule. «Après une pandémie, la pénurie d’électricité est la plus grande menace pour l’approvisionnement de la Suisse», a déclaré Guy Parmelin, ministre de l’Economie. Et la «NZZ», connue pour sa sobriété, a titré il y a quelques jours: «La Suisse est menacée de coupures de courant pendant plusieurs jours».
Pour le moment, aucune raison de paniquer. Il faudrait que beaucoup de choses se passent mal en même temps pour qu’il y ait réellement des pannes prolongées en Suisse. Mais une chose est claire: l’électricité en quantité suffisante n’est plus un acquis en Suisse.
Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, la Suisse est menacée d’exclusion du marché européen de l’électricité. Deuxièmement, l’expansion des énergies renouvelables s’essouffle. Le premier problème pourrait devenir très sérieux à partir de 2025. C’est à ce moment-là que la règle dite des 70% entrerait en vigueur dans l’Union européenne. Cette dernière obligerait alors les membres de l’UE à conserver sept dixièmes des capacités transfrontalières du réseau pour le commerce de l’électricité avec les autres États membres. La Suisse serait donc davantage menacée par des goulets d’étranglement, surtout en hiver lorsque les besoins en électricité sont les plus importants.
Un accord sur l’électricité avec l’UE pourrait écarter ce danger. Cependant, Bruxelles l’exclut tant qu’il n’y aura pas d’accord-cadre.
Les entreprises du secteur de l’énergie désespèrent
Néanmoins, les chances d’avoir des mois d’hiver chauds restent intactes. Swissgrid, le gestionnaire du réseau de transport suisse, négocie actuellement des «accords techniques de droit privé» avec ses collègues européens pour assurer la sécurité d’approvisionnement de la Suisse au-delà de 2025.
En ce qui concerne le deuxième point d’achoppement, l’expansion des énergies renouvelables, nous ne pouvons pas espérer un «coup de chance». Pour combler le déficit d’approvisionnement qui s’annonce, des capacités de production supplémentaires devront être créées de A à Z, usine par usine. Cela résulte de la sortie du nucléaire, que le peuple a scellée en 2017, et de la hausse de la demande en électricité, à cause notamment de l’électromobilité.
Les entreprises du secteur de l’énergie sont à l’origine de cette stratégie. Cependant, lorsqu’il s’agit de la mettre en œuvre, ils sont désespérés: les projets se heurtent à une grêle d’objections de la part des associations environnementales et des résidents. L’énergie éolienne est la plus touchée: du parc éolien de Grenchenberg (SO/BE) à celui de la Montagne de Buttes, dans le Val-de-Travers, les initiateurs sont partout confrontés à de forts vents contraires.
L’association Suisse Eole recense 76 centrales dont la construction est actuellement retardée par des recours. Ensemble, ils devraient produire 469 gigawatt heures (GWh) par an, soit suffisamment pour alimenter environ 130’000 foyers en électricité.
Vent de face difficile
La «Water Industry Association» ne dispose pas de chiffres précis sur les projets bloqués. Toutefois, le directeur général Andreas Stettler souligne que de nombreuses petites et moyennes centrales électriques ont été bloquées, notamment pendant la phase de tarifs de rachat: «Certaines d’entre elles ont pu être réalisées après des décisions du tribunal fédéral en faveur de la centrale. D’autres, en revanche, ont été abandonnées parce que les perspectives de succès étaient faibles ou qu’une forme réduite du projet n’était plus économiquement viable.»
Le cas le plus connu concerne l’élévation du barrage du Grimsel. Ce dernier est redescendu du Tribunal fédéral à l’exécutif bernois en novembre 2020 en raison d’une erreur de procédure. Le projet de barrage sur le glacier de Trift, dans l’Oberland bernois, est également suspendu pour une durée indéterminée. Les deux projets ont été combattus par les mêmes écologistes.
Même le recyclage des peaux de bananes, des déchets de jardin ou des bouses de vache est une épine dans le pied de certains Suisses. L’association Biomasse Suisse a connaissance de douze projets qui ne peuvent être réalisés en raison d’objections. Un projet de géothermie en Haute-Sorne (JU) fait également l’objet d’une opposition farouche. Le gestionnaire du réseau de transport Swissgrid connaît également bien ce problème. Rien que pour le projet de réseau de Bickigen (BE) à Chippis (VS) qui est en cours d’approbation de planification depuis 2015, il doit faire face à environ 370 oppositions.
Le temps presse
S’adressant aux médias cette semaine, Christoph Brand, CEO d’Axpo, a critiqué la mentalité «Nimby» des Suisses – «Not in my backyard» («Pas dans mon jardin», en anglais, ndlr). «La transition énergétique est techniquement réalisable. Mais nous avons besoin d’autorisations et devons être capables de nous développer.» Pour y parvenir au rythme souhaité, les procédures devraient être fortement accélérées: «C’est possible; on l’a fait dans d’autres pays. La France, par exemple, a supprimé la plus basse instance de recours pour les projets énergétiques.»
La ministre de l’Environnement Simonetta Sommaruga a entendu son appel. Elle veut envoyer en consultation au début de l’année 2022 un projet de loi qui pourrait accélérer les procédures. «La Confédération doit jouer un rôle plus actif dans la planification des grandes installations énergétiques. Dans les cantons, les différentes procédures d’autorisation – plan d’utilisation, permis de construire, autorisation de protection des eaux, autorisation de défrichement – doivent être fusionnées», explique une porte-parole de l’Office fédéral de l’énergie.
Les compagnies d’électricité s’en réjouissent, mais les invitent à faire vite. Le géant de l’électricité Alpiq a une autre idée en tête: «Une autre mesure pourrait être la création d’un département spécialisé dans les projets d’infrastructures énergétiques au sein du Tribunal administratif fédéral», déclare un porte-parole.
Le temps presse, et il est peu probable que les Suisses souhaitent passer toutes leurs soirées d’hiver avec une bougie dans leur salon pour seul éclairage.