Vous avez présenté il y a quinze jours une loi sur le CO2 qui ne prévoit pas de taxe climatique. Une politique climatique qui ne froisserait personne et qui permettrait tout de même d’atteindre les objectifs fixés… est-ce possible?
Cela ne peut pas se faire «d’un seul coup». Mais c’est possible. Nous travaillons sur trois fronts. Premièrement, nous voulons arrêter d’envoyer de mauvais signaux. Il existe par exemple un privilège fiscal pour les bus diesel, qui polluent beaucoup. Nous voulons l’abolir et utiliser cet argent pour soutenir l’achat de bus électriques. Deuxièmement, nous voulons utiliser les subventions existantes de manière plus ciblée. L’argent de la taxe sur le CO2 devrait profiter aux propriétaires qui remplacent leur chauffage au fioul ou au gaz par un chauffage écologique.
Et le troisième point?
Nous voulons investir les ressources qui alimentent les caisses fédérales ou un fonds spécifiquement dans la protection du climat. Lorsque les commerçants importent des voitures qui nuisent au climat, ils en paient le prix. Actuellement, cet argent finit dans le fonds pour les routes. A l’avenir, nous pourrons l’utiliser directement pour financer l’infrastructure de recharge des voitures électriques.
Les climatologues avertissent que sans taxe climat, les objectifs climatiques ne pourront pas être atteints. Qu’en pensez-vous?
Si nous continuons à discuter de la question pendant des années, nous n’atteindrons pas les objectifs fixés. En outre, nous investissons déjà beaucoup d’argent dans la protection du climat, et ce dès avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Deux milliards de francs sont prévus dans le seul secteur du bâtiment au cours des cinq prochaines années.
Comment est-ce possible après le non à la loi CO2?
D’une part, les fonds proviendront de la taxe sur le CO2 existante, qui coûtera 120 francs par tonne dès l’année prochaine au lieu de 96 francs comme aujourd’hui. D’autre part, les cantons mettront beaucoup plus d’argent dans les programmes de construction au cours des prochaines années et soutiendront les rénovations et le remplacement des systèmes de chauffage au mazout et au gaz. La Confédération doublera la part versée par les cantons. Nous voulons montrer qu’il est possible d’investir pour le climat sans avoir recours à des taxes. Et au sujet de la nouvelle loi sur le CO2… J’entends les requêtes, plus radicales, qui demandent l’interdiction immédiate des voitures à essence ou le démontage de tous les systèmes de chauffage au fioul. Mais de telles exigences ne nous mèneront nulle part politiquement.
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Selon les scientifiques, nous devons réduire les émissions de 6% par an jusqu’en 2030 afin d’atteindre les objectifs climatiques. Est-ce possible avec cette loi?
À chaque fois qu’un système de chauffage au mazout est remplacé par un chauffage plus écologique, ce qui arrive bien plus souvent qu’on ne le pense, nous contribuons beaucoup plus au climat qu’en tentant d’imposer des interdictions. Le Parlement a travaillé pendant trois ans sur une loi qui a été balayée d’un revers de main par le peuple. Nous ne pouvons pas nous permettre de refaire la même erreur.
Le résultat était pourtant serré, avec 51,6% des électeurs qui ont rejeté le projet. Pourquoi ne pas plutôt supprimer certains éléments controversés, comme le fonds pour le climat, plutôt que de renoncer complètement aux taxes incitatives?
Le Conseil fédéral ne veut pas se passer complètement des taxes climat. Mais nous ne voulons plus de l’augmentation du prix de l’essence. On ne va pas revenir là-dessus après la votation. Nous devons accepter la décision du peuple. En même temps, il est important que nous avancions de manière ciblée. Notre objectif reste de réduire de moitié les émissions d’ici à 2030. Et la politique climatique ne concerne pas seulement la loi CO2.
Mais encore?
La loi sur l’énergie joue un rôle tout aussi important. Car si nous voulons nous passer du pétrole et du gaz, nous avons besoin de plus d’électricité d’origine suisse. Cet aspect a été quelque peu négligé au cours des dix dernières années. En juin, le Conseil fédéral a adopté un projet de loi à l’attention du Parlement. Ce projet de loi vise à renforcer l’expansion des énergies renouvelables et la sécurité de l’approvisionnement en Suisse.
Revenons à la prochaine loi CO2: vos alliés, les Verts, qualifient le projet de loi de «décourageant». Ils critiquent notamment de vouloir préserver la place financière au détriment d’un effet de levier qui serait énorme. Que leur répondez-vous?
Des pourparlers sont en cours depuis un certain temps avec le secteur financier. Il en va de même pour l’agriculture. Après cela, il appartient aux départements responsables de présenter des propositions concrètes de politique climatique.
La loi CO2 pourrait donc encore être complétée par des mesures de politique financière et agricole?
Je ne pense pas que le Conseil fédéral veuille réglementer l’agriculture avec la loi CO2. Mais vous pouvez aussi faire de la politique climatique via d’autres réglementations.
Selon les Verts, le Conseil fédéral devrait également veiller à ce que la Banque nationale n’investisse plus dans le pétrole, le gaz et le charbon. Quelle est votre position à ce sujet?
La Banque nationale a déjà décidé de ne plus investir dans le charbon. Il s’agit d’une institution indépendante. Mais il est logique que les partis et le public maintiennent la pression sur elle. Il s’agit d’être cohérent: si nous prenons les objectifs climatiques au sérieux, nous devons orienter tous les flux financiers dans la bonne direction.
Il y a un mois, il a été annoncé que vous ne renouvelleriez pas le mandat de l’Organe consultatif sur le changement climatique (OcCC). Les climatologues appellent désormais à la création d’un groupe de travail sur le climat, une voix forte de la science pour informer le public. Quelle est votre position à ce sujet?
La science est une des voix les plus importantes sur les questions climatiques, et nous voulons qu’il en reste ainsi. A l’avenir, Proclim, le Forum sur le climat et les changements globaux de l’Académie suisse des sciences devraient donc jouer un rôle de premier plan. Nous sommes actuellement en train de clarifier les derniers détails.
Les chercheurs craignent que Proclim ne subisse le même sort que l’OcCC et que l’organisme n’ait aucune influence sur le débat concernant la politique climatique.
Mon objectif est que Proclim soit plus entendu à l’avenir. Mais la science ne fait pas tout. Les affaires et la politique sont également importantes. Il faut trouver des solutions communes de politique climatique dans les trois domaines. Cela ne peut se faire qu’ensemble.
Un autre sujet. Jeudi, des spéculations ont circulé sur une éventuelle démission du ministre des finances Ueli Maurer. Après lui, vous êtes la conseillère fédérale qui a été en fonction le plus longtemps. Sur une échelle de 1 à 10, à quel point en avez-vous assez de votre poste?
(Rires) Pas du tout, je me sens en pleine forme. J’ai de grands et importants projets et je suis très motivée. Je n’ai pas prévu de partir.
Même au-delà de la législature actuelle?
Comme je l’ai dit, je n’ai pas prévu de partir.