Professeur à l'EPFZ, il conseille Sommaruga
«Nous ne devons pas changer nos habitudes de consommation pour le climat»

Après le «non» à la loi sur le CO₂, le Conseil fédéral présente les pierres angulaires de la nouvelle loi sur le climat. La ministre de l'environnement, Simonetta Sommaruga, consulte entre autres experts Anthony Patt, professeur à l'EPFZ.
Publié: 26.09.2021 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 26.09.2021 à 06:39 heures
Anthony Patt est professeur de politique climatique.
Photo: Philippe Rossier
Dana Liechti, Jocelyn Daloz (adaptation)

Vous êtes américain. Qui fait la meilleure politique climatique, les États-Unis ou la Suisse?
C'est une question difficile car pratiquement chaque État américain a sa propre politique climatique. Mais à mon avis, la politique climatique de la Californie est probablement la meilleure du monde.

Pourquoi?
La Californie s'est fixée des objectifs clairs et s'appuie sur la technologie dans de nombreux secteurs. Les gens là-bas voient le changement climatique – à juste titre selon moi – principalement comme un problème technologique et le changement comme un avantage. Cela aide les politiciens.

Et qu'en est-il de la Suisse?
La Suisse se porte bien dans le secteur de l'électricité. Grâce aux montagnes, nous pouvons produire une énergie pratiquement sans émettre de carbone. Au-delà de ça, nous faisons très peu.

Nous faisons peu, alors comment expliquer que la ministre de l'Environnement Simonetta Sommaruga mette fin à la coopération avec l'organe consultatif sur le changement climatique (OCCC).
Cet organe est composé principalement de spécialistes des sciences naturelles qui peuvent dire ce qu'il faudra faire pour freiner le changement climatique. C'était logique à une époque où nous devions fixer des objectifs. Maintenant, nous devons trouver comment les atteindre. Et quelles mesures sont politiquement capables d'obtenir un soutien majoritaire.

C'est là que vous intervenez. En tant qu'expert en politique climatique, vous lui avez soumis des propositions, à sa demande.
La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga demande l'avis de différents experts afin de décider de la meilleure voie à suivre. Je pense qu'elle m'a posé la question parce que je fais partie de ces scientifiques qui doutent des avantages des taxes incitatives.

Le chercheur a élaboré des propositions sur la politique climatique pour la ministre de l'Environnement Simonetta Sommaruga.

Mais les économistes en sont convaincus.
Oui, mais les facteurs politiques sont souvent ignorés. Si l'on prend en compte ces éléments, on se rend compte que les incitations par le prix sont peu utiles par rapport à d'autres mesures. Les voitures électriques en sont un bon exemple.

Expliquez-vous!
Rien qu'au cours des cinq dernières années, les batteries des voitures électriques sont devenues environ 80% moins chères. Cela leur confère un avantage commercial par rapport aux moteurs à combustion interne. Malgré cela, il n'y a pas de ruée sur les voitures électriques pour autant. De nombreuses personnes n'ont pas de possibilité de recharge à la maison ou se demandent s'il y a suffisamment de stations de recharge rapide sur les autoroutes. Ce ne sont donc pas seulement les prix qui sont en jeu. Une expansion de l'infrastructure permettrait d'accélérer la transformation de la mobilité bien plus rapidement que des taxes incitatives.

Mais cela est beaucoup plus coûteux et prend beaucoup plus de temps.
Bien sûr, cela nous coûterait quelque chose au début. Mais si nous remplacions toutes les voitures de la ville de Zurich par des voitures électriques, par exemple, la pollution atmosphérique serait également réduite. D'après nos calculs, les coûts de santé ainsi économisés seraient supérieurs à ceux de la construction des stations de recharge. D'autres instruments efficaces sont les quotas, par exemple.

Anthony Patt doute de l'intérêt des taxes incitatives.

Pouvez-vous donner un exemple?
La paraffine synthétique est actuellement dix fois plus chère que le combustible fossile. Mais si nous investissons aujourd'hui et construisons des usines pour sa production, nous pourrions atteindre la neutralité climatique dans 20 ans. La question est la suivante: comment inciter les entreprises à investir? Cela ne peut passer par des taxes élevées sur le CO2. Leur mise en place conduirait certainement à une chute très rapide du prix de la paraffine alternative. Mais pendant un certain temps, les vols seraient deux ou trois fois plus chers qu'aujourd'hui, ce n'est politiquement pas jouable.

Que suggérez-vous à la place?
On pourrait imaginer la stratégie utilisée dans le secteur de l'électricité pour promouvoir le photovoltaïque. Vous introduisez une augmentation à peine perceptible du prix de l'aviation tout court et faites ainsi circuler beaucoup d'argent dans la production de paraffine renouvelable. Cela est beaucoup plus facile à mettre en œuvre que de taxer le combustible fossile si lourdement qu'il devient plus cher que le combustible synthétique.

Un instrument que l'UE et la Suisse proposent pour le secteur de l'aviation est le quota de mélange.
Ici, l'État impose aux fournisseurs de carburant d'utiliser une proportion minimale de paraffine provenant de sources renouvelables. Les entreprises achètent donc une petite partie de la paraffine sur le marché renouvelable à des prix plus élevés, et le reste sur le marché fossile à des prix plus bas. En fin de compte, cela ne signifie qu'une très faible augmentation des prix pour le consommateur. Ce modèle est également soutenu par l'industrie aéronautique.

Le scientifique en conversation avec la rédactrice du SonntagsBlick, Dana Liechti.

Mais il faudra du temps avant que nous puissions vraiment voler de manière neutre climatiquement.
Oui, il faudra 20 ans pour que nous ayons construit suffisamment de centrales solaires pour produire assez de paraffine pour répondre à la demande mondiale. Ça ne peut pas être fait plus vite.

Soyons honnêtes: il ne nous reste pas beaucoup de temps...
Si nous voulons atteindre l'objectif de 1,5 degré – ce qui serait très bien – pas vraiment, non. Il nous faudrait dix ans de plus. Mais nous pouvons tricher en travaillant intensivement sur l'élimination du CO₂ dans l'air. Ce n'est pas une méthode parfaite, mais c'est une méthode acceptable pour la majorité. L'objectif de 1,5 degré serait réalisable et abordable. Mais la question est de savoir si les gens le veulent.

Pourquoi ne le font-ils pas?
La plupart d'entre nous prennent des décisions en fonction de nos émotions, de notre intuition. Je pense que la plupart des votants ont eu un mauvais pressentiment à l'idée que l'essence devienne plus chère. L'argument rationnel selon lequel les voitures électriques deviendront plus populaires si rapidement que la plupart des gens n'achèteront plus d'essence pendant longtemps n'est valable que pour les personnes qui ont déjà acheté ou sont sur le point d'acheter une voiture électrique. C'est toujours une minorité.

L'OCCC propose un compte personnel CO₂ pour tout le monde: Chaque fois que nous achetons un produit ou un service comme le vol, quelque chose en est déduit. Que pensez-vous de cela?
Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Une telle proposition déclenche directement de nouvelles craintes. Et il transfère entièrement la responsabilité aux consommateurs. Mais c'est le système qui pose problème.

Et nous pourrions changer le système sans renoncement?
Oui.

Nous pouvons donc continuer comme avant tout en maîtrisant la crise climatique?
Il y a beaucoup d'autres problèmes, comme la perte de la biodiversité. À mon avis, nous devons modifier notre consommation à long terme pour les maîtriser. Mais pas pour résoudre le problème du climat. Trois sources principales en sont responsables: notre consommation d'énergie, la déforestation et l'agriculture. Les deux premiers domaines peuvent être rendus neutres du point de vue climatique sans faire de sacrifices.

«Si nous investissons massivement dans la paraffine synthétique, nous pourrions voler en neutralité climatique dans 20 ans», affirme-t-il.

Et qu'en est-il de l'agriculture?
Une partie des émissions qui y sont produites provient des engrais et de l'excrétion de méthane par les vaches. Nous n'avons pas de solution technologique pour ces émissions. Cela signifie que nous devons les réduire. Cela peut se faire en modifiant notre comportement de consommation, par exemple en mangeant un peu moins de viande. Ou en filtrant le CO₂ de l'air. C'est probablement ce sur quoi nous allons nous concentrer à l'avenir.

Ne serait-il pas moins risqué de changer nos habitudes de consommation?
Bien sûr, mais c'est politiquement plus difficile à mettre en œuvre.

La semaine dernière, le Conseil fédéral a présenté les principaux paramètres du nouveau projet de loi sur le climat. Qu'en pensez-vous?
Globalement, je pense que c'est un bon plan et qu'il peut obtenir une majorité. Toutefois, il faudra faire davantage pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris. En fin de compte, nous avons besoin d'une interdiction de l'utilisation des combustibles fossiles qui entre en vigueur avant 2050.

De telles interdictions sont-elles politiquement réalisables?
Pas pour le moment. Mais si, d'ici 2030, la quasi-totalité des voitures vendues sont des voitures électriques, l'interdiction de la vente de nouveaux véhicules à essence ou diesel sera politiquement possible, peut-être même facile, car suffisamment de personnes auront alors déjà compris que cela est possible sans devoir faire de grands sacrifices.

Anthony Patt

Anthony Patt, 56 ans, est professeur de politique climatique à l'Institut des décisions environnementales de l'EPFZ depuis 2013. Il est titulaire d'un doctorat en droit civil de l'université Duke (Caroline du Nord, États-Unis) et d'un doctorat en politique publique de l'université Harvard. Patt est l'auteur principal coordonnateur de la politique climatique pour le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Il vit avec sa famille dans l'Oberland zurichois.

Anthony Patt, 56 ans, est professeur de politique climatique à l'Institut des décisions environnementales de l'EPFZ depuis 2013. Il est titulaire d'un doctorat en droit civil de l'université Duke (Caroline du Nord, États-Unis) et d'un doctorat en politique publique de l'université Harvard. Patt est l'auteur principal coordonnateur de la politique climatique pour le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Il vit avec sa famille dans l'Oberland zurichois.


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