Ce 24 avril aura juste été un dimanche de plus. À quelques pourcents des bulletins près, cela aurait pu être différent. Mais l’Histoire attendra cinq ans. D’ici là, on peut constater qu’hier soir, personne n’a gagné. Marine Le Pen a perdu; Emmanuel Macron a simplement réussi à ne pas perdre. Au milieu, les Françaises et les Français ont dû voter par défaut.
De leur côté, les médias ont attendu dans le néant pour relayer du vide*. BFM a recyclé les chiffres de l’abstention de la mi-journée jusqu’à 17h, où de nouveaux chiffres ont permis de braver le rien jusqu’à 20h. Pour expliquer le désintérêt des citoyens pour le deuxième tour, l’analyse s’est limitée au bon sens, voire au défonçage de portes ouvertes: on a sérieusement entendu que c’était la faute des vacances ou de la météo pas dingue.
Le vote de l’humeur
Tout ceci serait drôle si l’on n’avait pas l’impression que la France était en train de nous produire un remake d’Idiocracy ou de Don’t Look Up, refusant de lever les yeux pour regarder un système politique pyramidal qui favorise le vote à l’humeur. Certes, les deux films précités sont peut-être préférables à Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu. Mais tout de même.
D’après l’un des derniers sondages avant les urnes, 24% des votantes et votants ont changé d’avis à la suite du débat de l’entre-deux-tours. Oui… À quatre jours du scrutin, un quart de l’électorat est capable de changer d’avis sur la base d’un débat qui donne plus envie d’éteindre sa télé que de voter pour qui que soit.
Si l’on écarte l’hypothèse que la France serait un peuple moins conséquent que la moyenne (à la limite, on pourrait dire cela de leur manière de tirer les penalties, mais c’est un autre sujet), il ne reste que l’explication systémique.
Avec des et surtout par défaut
Bien sûr, en cinq ans, Macron n’a pas (du) tout fait juste: honoraires des cabinets de conseil; politique sociale violente; fiscalité favorable aux plus riches; posture déconnectée de la réalité de toute une tranche de sa population, etc.
Mais en face… Marine Le Pen doit traîner un bilan parlementaire plutôt maigre et une dette russe. Pile au moment où un quelconque lien avec la Russie est aussi mal vu (même écouter du Prokofiev, c’est louche) que de tousser dans le métro en mars 2020. Et, malgré tout ou malgré elle, Marine Le Pen fait près de trois millions de voix de plus qu'en 2017.
Cela tient du miracle. Ou d’un désintérêt pour la chose publique. Mais à qui la faute? Pendant que j’écris ces lignes, ce dimanche soir à 21h44, les Françaises et les Français sont certainement des millions à avoir déjà éteint leur télé. Ils évitent ainsi d’entendre des analystes politiques de secondes zones se fritter avec d'anciens élus de partis dépassés, à propos des prochaines élections législatives.
Rendez-vous en 2027
Regarder des éditorialistes qui n’ont jamais osé faire de politique couper la parole à des gens qui en ont fait mais qui ont obtenu des scores de batteries d’iPhone en fin de journée — le tout, pour évoquer des millionnaires qui veulent faire élire leur ego — en effet, ça ne donne pas envie.
Alors les gens ont bien dû voter par défaut. Mais voter deux fois tous les cinq ans, si l’on compte les législatives, cela semble difficilement tenable au XXIe siècle. À une époque où l’on faisait confiance à deux chaînes de télé et trois journaux, passe encore.
Mais de nos jours, l’information, qu’elle soit vraie ou fausse, va plus vite que les convictions. Cet intervalle de cinq ans se heurte à une équation au résultat implacable: empêcher les gens de dire assez souvent ce qu’ils veulent, ça leur donne envie de gueuler.
Et qui sait. Si le système politique français ne change pas d’ici là, la gueulée de 2027 pourrait bien être historique.
*Blick est même allé jusqu’à m’appeler pour écrire des blagues en live. C’est vous dire s’il fallait meubler.