Les Français, à environ 58%, ont confirmé leur confiance en Emmanuel Macron. C’est la première fois qu’un président sortant est réélu, hors période de cohabitation. La première fois également depuis que la durée du mandat a été ramenée à cinq ans. Mais le score de Marine Le Pen — huit points de plus qu’en 2017 — et l’abstentionnisme élevé le démontrent: la France est profondément coupée en deux. Ce nouveau quinquennat n’est donc pas un blanc-seing.
Richard Werly, correspondant du «Temps» à Paris, analyse pour Blick — qu’il rejoindra à partir du 1er mai — les cinq grandes questions qui se posent ce dimanche soir, alors que la majorité de nos voisins ont choisi la continuité.
1. Emmanuel Macron va-t-il vraiment pouvoir faire tout ce qu’il a promis?
Oui! Parce qu’il n’y a rien de vraiment révolutionnaire dans ce qu’il a annoncé au fil de sa campagne. En 2017, il promettait une réforme très ambitieuse des retraites, une réforme du marché du travail, une réforme de l’assurance chômage, une réforme institutionnelle… À l’époque, il avait quand même beaucoup chargé la barque. Aujourd’hui, le terrain sur lequel il s’est le plus engagé durant l’entre-deux-tours, c’est le terrain de l’écologie. Nommer un Premier ministre en charge du climat, c’est tout à fait possible. Il faut juste trouver la bonne personne. Et certains noms circulent déjà. Par exemple celui du député européen Pascal Canfin, qui a travaillé au WWF. C’est une piste. Et sur l’aspect écologique, il a d’autant plus les mains libres qu’il a aussi annoncé son intention de doper le programme nucléaire.
Par ailleurs, sur le plan institutionnel, il ne parle plus d’une réforme d’ensemble. Mais d’une réforme pour introduire la proportionnelle. Ce qu’il avait déjà initié avant de renoncer à cause de l’hostilité du Sénat, parce qu’il avait collé la proportionnelle à une réforme de la Constitution. Aujourd’hui, je pense donc qu’il peut concrétiser les points qu’il a mis en avant de son programme.
2. L’Hexagone est coupé en deux. Arrivera-t-il à rassembler les Français?
C’est la grande question, mais j’en doute. D’abord, on peut se demander si les Français peuvent être réunis. Quel que soit le président. Emmanuel Macron a beaucoup attisé les colères, je l’ai d’ailleurs écrit à plusieurs reprises. On peut le regretter. Mais est-ce qu’un autre président aurait fait mieux? Autrement dit: n’est-ce pas l’état de la société, de nos sociétés — j’exclus la Suisse — qui est ainsi? La France est incandescente. Elle l’a été davantage sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, sans doute. Cependant, il y a une part qui ne dépend pas de lui, mais des Français.
Je vois deux facteurs. Premièrement, Emmanuel Macron doit changer d’attitude. Il faut qu’il gouverne davantage au centre. Il doit montrer qu’il est un homme de convergences plutôt que de divergences. Deuxièmement, je ne crois pas qu’il ait pour objectif de rassembler les Français. On l’a vu dans cette campagne. Son véritable objectif est de réunir un électorat suffisant pour être réélu. Il faut bien reconnaître que c’est peut-être de la realpolitik: il sait que les réformes ne pourront pas être acceptées par tout le monde et, vu son âge et son tempérament, il ne sera jamais Jacques Chirac ou François Mitterrand. La ligne Macron me semble assez bien avoir été résumée par son «emmerder les non-vaccinés»: il sait que pour réformer le pays, le moderniser, il aura toujours contre lui une partie de la population. Il a renoncé à être l’homme du rassemblement mais il veut être l’homme de la réforme majoritaire.
3. La montée des radicalités va-t-elle continuer en France?
C’est ce qu’on peut craindre. Mais il faut quand même prendre en compte deux éléments: la guerre en Ukraine n’aura-t-elle pas de facto créé une forme d’union nationale? Autrement dit, le contexte international ne tempère-t-il pas les colères? Deuxième point: je pense que les colères sont très nettement économiques, avec ce fameux sentiment d’inégalité. L’objectif prioritaire du nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron est d’avoir un ressenti qui ne soit pas inégalitaire.
4. Emmanuel Macron peut-il aussi gagner aux législatives de juin?
Mon problème avec la France, c’est que je suis de tempérament et d’analyse raisonnable et que je pense que ce pays est plus raisonnable qu’on ne le dit. Je me trompe peut-être. Je pense qu’il y a encore de vieux réflexes, qui sont encore bien ancrés dans la tête des Français. Parmi ceux-ci: donner une majorité au président pour gouverner. Le principe mélenchoniste, qui est de dire «élisez-moi Premier ministre pour empêcher le président que vous avez élu de gouverner», j’estime que c’est très antinomique avec la Constitution de la Ve République et les habitudes politiques des Français. Je continue de penser que le président conservera une dynamique aux législatives. Parce que c’est un peu inscrit dans l’ADN politique du pays.
5. Avec l’échec de Marine Le Pen, le Rassemblement national, c’est fini?
Non, pas du tout! Cela veut simplement dire que la dédiabolisation qu’elle a entamée n’est peut-être pas encore achevée. Et il lui reste deux écueils majeurs. D’abord, l’obstacle européen. La France est un pays fondateur de l’Union européenne. La France, ce n’est pas la Hongrie. Ni la Pologne — c’est un autre ADN, une autre histoire. Je ne vois pas comment le Rassemblement national pourra faire autrement que d’affronter cette question: comment être d’extrême-droite sans être anti-européen. Car, partout, l’extrême-droite finit toujours par vouloir sortir de l’Union européenne. Le second problème majeur, c’est le vote musulman. Il y a six millions de musulmans dans ce pays. Et ils ont voté majoritairement pour Jean-Luc Mélenchon. Elle devra donc trouver comment surmonter cet écueil.