La tranquillité des cimes du Bürgenstock ne restera sans doute dans les annales diplomatiques que sur les photos. Les 15 et 16 juin, sauf miracle dans les trois prochaines semaines (ce que personne ne voit venir), signeront l’échec des tentatives diplomatiques helvétiques pour ouvrir enfin un canal de négociation entre l’Ukraine et la Russie. Place donc à un sommet pour rien, malgré les appels du président ukrainien à ses alliés occidentaux pour qu’ils se mobilisent et fassent le déplacement en Suisse? Avouons-le: on risque bien de voir flotter le drapeau rouge à croix-blanche sur une réunion déconnectée des réalités.
Cette hypothèse frustrante ne signe pas, en soi, l’échec de la diplomatie suisse. Elle est juste le reflet des conditions sur les deux terrains qui comptent pour parvenir à un possible début de dénouement: celui des combats à l’est de l’Ukraine, et celui des rapports de force entre grandes puissances, au moment où un autre théâtre d’opérations, celui de Gaza, accapare l’attention des dirigeants et notamment de Joe Biden.
Poussée russe sur le front
Côté guerre d’abord: l’heure est à la poussée russe et à l’arrivée d’armes occidentales pour la contrer. On savait que mai et juin seraient des mois extraordinairement difficiles pour l’armée ukrainienne. C’est le cas. Imaginer que Zelensky négocie le dos au mur, et que Poutine ne cherche pas à maximiser son avantage militaire, n’a donc pas de sens. Les récentes purges décrétées par le maitre du Kremlin dans l’appareil militaire russe prouvent au contraire, selon les experts, que le Kremlin se prépare à une guerre longue. Pas question en outre pour Poutine, ulcéré par l'application suisse des sanctions européennes, de laisser la moindre chance aux pourparlers du Bürgentstock.
La question du rapport de force entre puissance est encore plus défavorable. Il existait une chance, début mai, que la Chine joue le jeu de la diplomatie. Pour l’heure, la réponse venue de Pékin est négative. La Chine observe. Elle soigne son allié russe, en affirmant qu’elle ne lui fournit pas d’armes. Tous les dirigeants, à Pékin comme à Moscou ou dans les autres capitales qui soutiennent la Russie ou commercent avec elle, attendent en fait la date qui manque au puzzle géopolitique: celle de l’élection présidentielle américaine le 5 novembre.
Très mal barré
Un sommet très mal barré: ainsi est l’incontournable réalité que le succès de la diplomatie hôtelière suisse, dans la foulée du sommet du G7 Italien dans les Pouilles, ne parviendra pas à transformer en succès. La question est maintenant de savoir si Berne doit persister, et maintenir d’autres rendez-vous après celui du Bürgenstock, pour initier un processus de paix, ou s’il faut accepter que d’autres, comme la Turquie, sont mieux placés pour organiser de futures négociations.
Il est, sur ce plan, trop tôt pour le dire. Les Européens, comme les États-Unis, ont intérêt à ce que le message de la paix soit asséné sur ce continent qui va commémorer le 6 juin le 80e anniversaire du débarquement allié en Normandie. Il ne faudra pas lâcher prise après la réunion du Bürgenstock. Même si celle-ci démontre que la neutralité et les bons offices helvétiques sont, dans ce conflit ukrainien, devenus d’inefficaces vertus.